Volodia Opritchnik

Ancien militaire, passé à l’activisme écologique, Volodia arrose désormais les ennemis du climat à coup d’articles. Créateur de L’Usine à GES, première lettre francophone sur la politique et l’économie du réchauffement, Volodia partage son temps libre entre les dégustation de vins et de cigares. Deux productions qui ne renforcent pas l’effet de serre.

Climat : Et si l’on optait pour les solutions naturelles ?

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Pour stabiliser rapidement le réchauffement, nous devons réduire nos émissions et aspirer une partie du carbone déjà présent dans l’atmosphère. Les chercheurs s’opposent : faut-il disséminer des aspirateurs à carbone ou miser sur les solutions engendrées par la nature ? Explications.

Les ouvrages du GIEC ne sont pas que des catalogues de mauvaises nouvelles. Il y a tout juste deux ans, le réseau mondial de climatologues publiait un rassérénant rapport sur les façons d’atteindre le plus ambitieux des objectifs fixés par l’Accord de Paris. Le texte signé à l’issue du sommet mondial de Paris, en 2015, commande à la communauté internationale de stabiliser le réchauffement entre 1,5 °C et 2°C. De prime abord, le premier objectif apparaît particulièrement ambitieux : le thermomètre mondial s’étant déjà, en moyenne, échauffé de 1,1°C. Et pourtant !

Agir vite et fort

Les scientifiques sont formels ! En agissant (très) vite et (très) fort, nous pouvons encore espérer stopper l’ascension du mercure du thermomètre planétaire à 1,5°C. Reste à savoir comment. Déploiement massif d’énergies décarbonées, économies d’énergie, révolution agricole : les solutions sont connues. Et insuffisantes. Nous avons probablement déjà émis suffisamment de gaz à effet de serre (GES) pour dépasser le 1,5°C. Ces GES ont généralement une longue durée de vie et nous ne cessons d’en rejeter dans l’atmosphère. Conséquence : en plus de décarboner nos modes de vie et de développement, nous allons devoir extraire du carbone de l’atmosphère.

Aspirateurs à carbone

Cette recommandation a été bien comprise par certains physiciens suisses et nord-américains. Leurs compagnies, Climeworks, Carbon Engineering, proposent d’installer sur toute la planète de gigantesques aspirateurs à CO2 (captage directe du carbone dans l’air ou DAC). Nettoyé, comprimé, séché, ce dioxyde de carbone pourrait être ensuite injecté dans une structure géologique étanche (un ancien gisement d’hydrocarbures par exemple) ou réutilisé. À Hinwil, près de Zurich, les 18 aspirateurs de Climeworks captent 900 tonnes de gaz carbonique par an, qui sont vendus à un maraîcher pour accélérer la croissance des fruits et des légumes. La solution ?

Solutions naturelles

Ce n’est pas l’avis de Pierre Gilbert. Pour ce prospectiviste français, se fier à ces techniques c’est nourrir l’espoir que tous nos excès carboniques peuvent être facilement compensés par la technique. Or, le DAC est loin d’avoir fait ses preuves. Et les technologies concurrentes (bioénergie avec captage et stockage du CO2 ou BECCS) n’existent que sur le papier.
D’où l’idée de recourir à des solutions « naturelles » expérimentées depuis des siècles voire des millions d’années. La plantation massive de forêts, la modification des pratiques agricoles (moins d’engrais azoté et moins de labours, notamment), la préservation du permafrost, notamment, permettraient d’absorber 40% du carbone que nous émettons, estime l’ancien analyste du ministère français des Armées.
Considérable !

A Venise, Moïse arrête les acqua alta

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Un système de barrage appelé MOSE (Moïse en italien) protège désormais la cité des doges des fortes marées. Un phénomène qui s’est accru ces dernières décennies et qui n’est pas près de s’éteindre.

Une petite flaque. C’est une petite mare que les Vénitiens ont joyeusement piétinée le 3 octobre. Preuve que Moïse peut sauver la Sérénissime des eaux. L’automne, c’est habituellement le début de la longue saison (qui s’étend jusqu’au printemps) des hautes eaux (acqua alta).
Sous l’effet de la pluie, du Sirocco, de la pression atmosphérique, Venise connaît des pics de marées qui peuvent submerger tout ou partie de la cité des Doges. Un phénomène amplifié par l’affaissement de la ville. En se basant sur les tableaux de Veronese, Canaletto et de Belloto, les scientifiques de l’Institut des sciences de l’atmosphère et du climat de Padoue estiment que le niveau moyen de l’eau de la lagune s’est élevé de 70 cm ces trois derniers siècles.

Acqua alta en hausse

Cette montée des eaux s’est accélérée à la suite à la construction de la raffinerie de Marghera, du pont de chemin de fer reliant Venise au continent et du chenal marin pour les pétroliers. Autant d’infrastructures qui ont perturbé la circulation de l’eau dans la lagune. A cela s’ajoute la dilatation de l’eau marine induite par le réchauffement climatique. Conséquence logique de cette accumulation : les épisodes d’acqua alta sont devenus plus fréquents. Depuis les années 1990, Venise subit 4 à 5 inondations par an : quatre fois plus qu’en 1900.
Le 12 novembre 2019, la cité a été noyée par une marée de près de 1,9 mètre au-dessus du niveau de la mer. Des dizaines de palais et d’églises classées ont été endommagées. Du jamais vu depuis un demi-siècle. Cet épisode tragique pourrait appartenir au passé.

Modélisation d’une Digue du plan MOSE (Moïse ne italien)

78 barrières sous-marines

Désormais, les trois passes de la lagune (Malamocco, Lido et Chioggia) sont tapissées de 78 barrières sous-marines, arrimées à des structures en béton. En cas de haute marée, ces caissons d’acier, dont certains affichent plus de 300 tonnes sur la balance, se redressent en quelques minutes, barrant l’accès de la lagune à l’Adriatique. En théorie, ils peuvent résister à une marée de 3 mètres au-dessus du zéro marégraphique
Imaginé dans les années 1980, le programme MOSE (Moïse en italien) a failli ne jamais émerger. Difficultés techniques, scandales financiers, contraintes environnementales, ont ralenti les travaux et alourdi le montant du devis. Au total, les contribuables italiens et européens ont probablement déboursé plus de 7 milliards d’euros pour financer cette installation : cinq fois plus que les estimations initiales.

Pétrole et sel

Efficace Moïse ? Plutôt. La marée du 3 octobre atteignait 135 cm au-dessus du niveau de la mer. De quoi remonter l’eau jusqu’au genoux des Vénitiens dans les quartiers les plus bas de la ville lacustre. Ca n’a pas été le cas, cette fois-ci. Suite à l’alerte des services météo, les ingénieurs de Venezia Nuova ont déclenché le système. En moins de 30 minutes, les caissons sous-marins avaient chassé l’eau de leur ballast et se dressaient à la verticale. La mer est restée au large.
Ces digues amovibles suffiront-elles pour protéger la Sérénissime ? Bonne question. Si Moïse constitue un rempart sans faille aux fortes marées, il n’est d’aucune aide contre l’affaissement du sol de la cité. Ce phénomène géologique est imputable à l’exploitation des gisements d’hydrocarbures dans la lagune et au pompage de la nappe phréatique. Autre menace : le sel. Avec la montée du niveau moyen de l’eau saumâtre, de très nombreuses structures (murs, fondations) sont rongées par le sel. Un cancer qui n’est pas prêt de reculer. Au rythme actuel d’émission de gaz à effet de serre, le niveau moyen de l’eau pourrait bondir de plus d’un mètre d’ici la fin du siècle dans la lagune, estiment les climatologues italiens. La capitale de la Vénitie n’est pas totalement sauvée des eaux.

 

 

 

Pourquoi la côte ouest américaine est la proie des flammes.

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Réchauffement, urbanisme, mauvaise gestion des forêts sont les combustibles qui nourrissent, chaque année un peu plus, les méga feux qui dévastent l’Ouest, le vrai.

On croyait avoir tout vu des incendies qui ravagent, chaque année, la côte ouest des Etats-Unis. En novembre 2018, Camp Fire avait battu tous les records : 62 000 hectares de forêts californiennes ravagés par les flammes, une centaine de morts, sans compter la destruction de plus de 18 000 bâtiments. Nous n’en sommes plus là.Dans l’Oregon, en Californie, dans l’Etat de Washington, les pompiers tentent de contenir plusieurs centaines d’incendies simultanés, qui s’étendent sur près de 400 000 hectares. A lui seul, l’August Complex Fire consume la forêt de Mendocino sur plus de 190.000 hectares. Comment expliquer pareille succession de sinistres ?

La faute au réchauffement
Le changement climatique a sa part de responsabilité. En accroissant la température de l’air et du sol, le phénomène multiplie les vagues de chaleur et leur durée tout en réduisant le volume de précipitation. Dans les années 1970, la saison annuelle des incendies en Californie durait 140 jours, contre 230 jours depuis le début du siècle.Le plus riche Etat des Etats-Unis subit des sécheresses à répétition. Entre 2011 et 2020, le Golden State comptabilise 7 années sèches, dont 5 consécutives. Pareil stress hydrique affecte la végétation. La Commission californienne de régulation des services publics estime que les massifs situés autour de Paradise comptent 130 millions d’arbres morts.

Réserve de combustible
Cette fantastique réserve de combustible n’attend qu’une étincelle pour s’embraser. Incidents sur les réseaux de distribution d’électricité, orages, barbecues tout est bon.Durant l’été 2020, le changement climatique a créé des conditions favorables à la formation de formidables orages, souvent secs. En quelques heures, ce sont ainsi des milliers d’éclairs qui frappent le sol, occasionnant des centaines de départs de feux que les pompiers ne peuvent combattre.Les flammes sont attisées par les vents de Santa Ana. Bien connus des Californiens, ces puissants vents catabatiques descendent chaque automne du Grand Bassin et du désert de Mojave vers la côte du Pacifique. Ils poussent les fumées des feux vers la côte. Ce qui explique les effrayantes photos prises dans la baie de San Francisco, ces derniers jours.

Des décennies d’urbanisation
Toujours plus important, les dégâts sont aussi le résultat de décennies d’urbanisation des zones forestières. Depuis 1990, rappelle Headwaterseconomics, un centre de recherche sur la gestion des risques, 60% des nouveaux logements construits en Oregon, dans l’Etat de Washington et en Californie, l’ont été en zone forestière. La moitié de la population de ces trois Etats réside en lisière de bois. Des massifs qui sont mal entretenus, faute de crédits, notamment fédéraux, dédiés au débroussaillement.

Mépris des normes
Les Californiens ne sont pas exempts de tout reproche non plus. En 2008, les pompiers ont établi des normes visant à réduire le risque d’incendie dans les zones forestières : zones déforestées à proximité des habitations, utilisation de matériaux ignifugés pour réaliser l’enveloppe des constructions. Autant de règles efficaces qui n’ont pas été appliquées par les propriétaires. Au premier brandon venu, les maisons flambent comme des torches. Jusqu’à présent, les parlementaires californiens ont réussi à imposer aux compagnies d’assurance de dédommager les victimes des flammes. Cela ne devrait plus durer.

 

Incendies, tempêtes de neige: les plantations de cannabis US pris dans l’étau climatique.

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Les événements météorologiques extrêmes, directement imputables au réchauffement climatique, frappent sévèrement les producteurs américains de cannabis.

De mémoire de Coloradien, on n’avait jamais vu ça. Entre le 7 et le 8 septembre, la température diurne régnant sur une bonne partie de l’Etat du Colorado est passée de 40 °C à … 0 °C. En moins d’une journée, l’été torride a laissé la place à l’hiver le plus frais enregistré en 15 ans. Après avoir poussé les climatiseurs à fond pour le Labour Day, de nombreuses villes se sont réveillées sous 20 cm de neige le lendemain. Pas bon.

Tempêtes de neige sur les champs

Sur les carte météo, le contraste est saisissant. Alors que le centre et le sud du Centenial State grelotaient, le nord-ouest continue de souffrir de la canicule. Largement imputable au Global Warming, ces phénomènes météorologiques extrêmes sont particulièrement préjudiciables aux cultivateurs
Nombre d’entre eux continuent à faire pousser la belle plante à l’extérieur, en plein champ.
Et là, les dégâts s’annoncent considérables. Dans la région de Pueblo (sud), les plantations avaient déjà été touchées par des gelées précoces en octobre dernier. Cette nouvelle couche devrait provoquer des millions de dollars de dégâts pour les cultivateurs.
Autre latitude, autre problème.
Sur la côte ouest, ce sont les incendies qui menacent les producteurs de weed. En Oregon, plus de 400 entreprises liées à l’industrie légale de la marijuana se trouvent dans des zones menacées par les flammes. Selon l’Oregon Liquor Control Commission, environ 80 planteurs ont dû être évacués pour échapper au pire. La plupart se trouvent dans l’Illinois Valley (sud-ouest), région reine du cannabis dans l’Etat du Castor.

Bilan incertain

A quelques encablures plus au sud, en Californie, les incendies font notamment rage dans les comtés de Mendocino, d’Humboldt et de Trinity, gros producteurs d’herbes, eux aussi. Dans l’Etat de Washington, 20 à 40% des plantations auraient déjà été réduites en cendres, selon un bilan provisoire.
Quels seront les impacts commerciaux de ces dévastations ? Il est beaucoup trop tôt pour le dire. Nombre d’incendies sont, pour le moment, « hors de contrôle ». Leur devenir dépend du courage des pompiers, des précipitations.
Sachant que la saison des feux s’étend désormais jusqu’au début du mois de novembre, le bilan du millésime weed 2020 ne sera connu avant la fin de l’année. D’ici là, tout est possible. Y compris la réélection de Donald Trump. Mais c’est une autre catastrophe.

 

 

Le télétravail: une bonne idée contre la Covid-19, une mauvaise contre le réchauffement climatique.

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Bon pour le moral des salariés et la baisse des embouteillages, le télétravail n’est en revanche  d’aucune utilité contre le réchauffement climatique.

C’est la mesure consensuelle par excellence. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, généralisons le télétravail. Tout le monde y gagne. Les travailleurs gaspillent moins de temps dans les transports. Ce qui offre quelques gains de productivité aux entreprises qui les emploient. Moins de trajets domicile-travail, c’est aussi moins de voitures sur les routes et moins de pollutions dans les airs. Le récent confinement a d’ailleurs donné d’excellents résultats. En avril, la demande mondiale d’essence et de gazole a chuté de 15 millions de barils par jour (-29%).

Calculette en main

Dans les métropoles, le trafic automobile s’est contracté de 65 à 95%, selon la dureté des mesures de confinement. A New Delhli, la concentration moyenne de dioxyde d’azote (puissant irritant des voies respiratoires) a diminué des deux tiers. En France, la convention citoyenne pour le climat considère qu’il faut urgemment développer le télétravail pour réduire notre empreinte carbone. Est-ce une aussi bonne idée que cela ? Deux analystes de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ont pris leur calculette. Et le résultat de leur cogitation fait réfléchir. Ariane Millot et Daniel Crow imaginent qu’une journée de télétravail hebdomadaire soit instaurée mondialement pour les 20% de salariés potentiellement concernés.

Hausse de la consommation domestique

Cela fera certes baisser la consommation d’énergie des immeubles de bureau, mais grimper la demande d’électricité des logements, pas toujours dotés des équipements les plus sobres. Au Royaume-Uni, la consommation d’électrons des foyers télétravaillant pendant le confinement a bondi de 15%, en moyenne. Or, dans les pays où la production d’électricité est carbonée, cette surconsommation peut alourdir le bilan carbone national. De plus, cette consommation peut s’accroître, en été, dans certains pays, comme les états-Unis, où la climatisation règne en maîtresse.

L’équivalent de 6 heures d’émission mondiale

Finalement, les deux chercheurs estiment qu’une telle mesure réduiraient la demande mondiale d’énergies de 8,5 millions de tonnes équivalent pétrole, de quoi éviter l’émission de 24 millions de tonnes de CO2 par an. Pas mal, pensez-vous ? Cela représente 0,07% du gaz carbonique que génère, chaque année, notre appétit d’énergie. Utile, peut-être, pour améliorer la qualité de vie des salariés, réduire les congestions routières, le télétravail ne sert à rien pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais c’était bien essayé.

 

https://www.iea.org/commentaries/working-from-home-can-save-energy-and-reduce-emissions-but-how-much

 

 

Pourquoi Bruxelles veut plus d’arbres en Europe.

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Plus d’arbres dans l’UE, c’est l’indispensable action imposée par Bruxelles pour atteindre l’objectif fixé d’ un bilan carbone zéro en 2050. Un plan de reforestation qui permettra d’adapter nos villes au réchauffement tout en réduisant notre empreinte. Une très bonne nouvelle.

On le sait peu:  l’Union européenne est le seul espace géopolitique d’importance à vouloir à réduire à néant son bilan carbone d’ici à 2050. Ça n’a l’air de rien, mais il s’agit tout de même de diviser par six ou sept nos émissions de gaz à effet de serre en trois décennies. Essayez un peu pour voir ! Durant le confinement, les Français n’ont grosso modo réduit les leurs que de 7 à 8%. Cela donne une idée de l’ampleur de l’effort qu’il reste à produire.

Une part du Pacte vert

Derrière les plans de relance, gigantesques, la Commission européenne déploie, sans bruit, sa stratégie carbone. Ce pacte vert liste une série de mesures qui modifieront les pratiques dans les domaines de l’industrie, des transports, de l’agriculture, de l’énergie, de la finance, de la fiscalité.Objectif : réduire d’au moins 3% par an nos rejets de gaz à effet de serre (GES). Au vu de l’état des économies et des capacités d’adaptation des populations, il sera difficile de faire mieux. A la fin des courses, nous continuerons donc d’injecter dans l’atmosphère des centaines de millions de tonnes de gaz carbonique (surtout), de méthane, de protoxyde d’azote et autre hexafluorure de soufre.

Séquestrer le carbone

Notre stratégie carbone n’est pas seulement basée sur l’atténuation (réduction des émissions) mais aussi sur le stockage du carbone. Partant du principe que certains milieux naturels (forêts, mangroves, prairies) absorbent naturellement le dioxyde de carbone de l’air et le séquestre dans le sol, les experts de la Commission proposent d’augmenter rapidement les surfaces forestières. Dans un plan de reforestation, présenté en mai dernier, la Direction générale de l’environnement propose de planter 2 milliards d’arbres sur 400.000 km2 : l’équivalent de la surface de l’Italie, de la Suisse, de la Belgique et des Pays-Bas réunis !

Rafraîchir les villes

Le plan vise à reforester d’anciennes friches, si possible à la lisière des villes. Bien sûr, cela permettra de mettre le carbone six pieds sous terre, mais aussi de restaurer la biodiversité urbaine, bien mal en point après des décennies de bétonisation. Last but not least, des massifs forestiers permettront de faire baisser la température ambiante au cœur des villes. Ce qui ne sera pas du luxe pour les étés de ces prochaines décennies.

 

Volodia Opritchnik

 

 

Le Cloud : bien plus crade qu’on ne le croit

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Les géants du numérique proposent de plus en plus de services aux compagnies pétrolières. De quoi accélérer le réchauffement sans se mettre une goutte d’or noir sur les mains.

Je ne vous apprends rien : le net n’est pas clean. Les experts du Shift Project, un think tank français, estiment que les technologies numériques sont à l’origine de 4% des émissions anthropiques de CO2. Nos ordis, les data centers, les Smartphones, les réseaux de télécom contribuent autant au renforcement de l’effet de serre que l’aviation commerciale. Le seul visionnage de vidéo porno génère plus de 80 Mt CO2 par an : autant que l’Autriche.
Son piètre bilan carbone noircit le blason du « digital ». Ce qu’ont bien perçu les Gafam. Émettant plus de 100 Mt CO2/an, Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft s’engagent à ne plus consommer que de l’électricité produite par des énergies renouvelables. Ce qui leur permet de réduire leurs émissions, d’améliorer leur image, d’investir dans des activités rentables, puisque subventionnées. Et éventuellement de tester quelques offres commerciales. Que du bon !

Conjugaison de talents

L’histoire ne s’arrête pas là. Les géants du net sont aussi des pros de l’intelligence artificielle. Cela a de bons côtés. Il n’a jamais été aussi simple de comprendre un texte en une langue étrangère depuis que Google Translate est en ligne. Les Gafam gagnent un argent considérable en proposant des services dans les nuages. Dans le Cloud, on peut, bien sûr, stocker ses données, accéder à de nombreux services.
Depuis une poignée d’années, certains géants du net conjuguent leurs savoir-faire en matière de Cloud et d’intelligence artificielle pour développer de nouvelles offres. Ils mettent à disposition de scientifiques ou d’entreprises de grandes capacités de calcul. Ce qui est très prisé pour réaliser des modélisations complexes : effets du réchauffement climatique, comportement d’un agent pathogène exposé à un médicament, etc.

Services aux pétroliers

Google, Amazon Web Services (AWS) et Microsoft proposent des services très pointus de modélisation aux compagnies pétrolières et parapétrolières. En épluchant à grande vitesse leurs relevés sismiques, les algorithmes ciblent les zones de forage les plus prometteuses. La machine va beaucoup plus vite que l’ingénieur, faisant gagner un temps (et un argent) précieux aux chercheurs d’or noir.
En contrôlant en temps réel des myriades de paramètres, les Gafam peuvent aussi anticiper des pannes dans les raffineries, les oléoducs ou les systèmes de contrôle des réservoirs d’hydrocarbures. Une surveillance bien utile si l’on garde en tête que le coût d’un arrêt inopiné d’une raffinerie se chiffre en centaine de milliers d’euros par heure.
Vous l’aurez compris, Google, AWS et Microsoft travaillent main dans la main avec les géants du pétrole et du gaz. Les deux premiers ont même créé des filiales spécialisées. De l’avis de Greenpeace USA, Microsoft n’est pas loin derrière. La compagnie cofondée par Bill Gates a fait son outing lors du salon du pétrole d’Abou Dhabi en 2018. Depuis, elle a convaincu Shell de faire gérer ses 44.000 stations-services par son système Azur. Les ingénieurs de BP utilisent le Cloud de Microsoft pour évaluer la productivité de leurs puits de pétrole. Grâce aux outils de la plateforme Azure Data Lake, ExxonMobil espère accroître de 5% le productible de ses gisements texans. De quoi alourdir de plus de 3 millions de tonnes par an le bilan carbone de la Major. Selon Bloomberg New Energy Finance, le chiffre d’affaires pétrolier des Gafam pourrait septupler en 10 ans et atteindre 15 milliards de dollars en 2030.

Nouveaux débouchés

Indirectement, les géants du numérique accélèrent le réchauffement. Mais, après tout, le changement climatique, aussi, est un business. Bill Gates, encore lui, soutient la recherche sur la géo-ingénierie. Le milliardaire américain finance notamment les travaux de David Keith et Ken Caldeira. Les deux climatologues imaginent « refroidir » le réchauffement en détournant de la terre une partie du rayonnement solaire. Ne reste qu’à concevoir le modèle d’affaires.

 

Volodia 

Et si la Covid-19 emportait le pétrole?

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La crise sanitaire a considérablement affaibli les compagnies pétrolières. Aiguillonnés par les progrès techniques et la peur du risque climatique, les investisseurs sont tentés de miser sur les alternatives à l’or noir. Une première.

Et si le « monde d’après » se jouait sans pétrole ? Question aussi saugrenue que celle de la nationalisation de la vente de weed. Et pourtant. L’or noir a mal supporté la pandémie de Covid-19. Et nul ne sait s’il s’en remettra. Tout commence, en mars, par le refus des pétroliers saoudiens et russes de diminuer leur production, alors que la demande mondiale plongeait, confinement oblige. Le résultat ne s’est pas fait attendre : les cours ont chuté vertigineusement. Dans le sud des États-Unis (où les stocks étaient archipleins), on a vu des prix négatifs. Inédit en 150 ans d’histoire pétrolière!

Production à perte

Les cours se sont rétablis aux alentours de 35 $/baril, ce qui est très inférieur au coût de production du pétrole de schiste américain. Or, ces bruts non conventionnels représentent les deux tiers de la production US. Amis de Donald Trump, les pétroliers texans produisent à perte. Les faillites s’enchaînent et les banques héritent de puits de pétrole dont elles ne savent quoi faire.
Ailleurs, la situation n’est guère plus favorable. L’arrêt des transports terrestres, aériens, maritimes a réduit de 20% la consommation mondiale d’hydrocarbures. De quoi saigner à blanc certaines compagnies. Toutes sabrent dans les budgets d’exploration (pour trouver de nouveaux gisements) et de production. À ce rythme, avance l’agence internationale de l’énergie, les investissements pétroliers chuteront d’un tiers en un an. La perspective d’une rupture d’approvisionnement n’est pas à exclure d’ici à 2025. Il est urgent d’attendre, disent certains : Big Oil en a vu d’autres.

Un choc différent

Vrai. Mais la situation actuelle diffère sensiblement des précédents chocs pétroliers. Doucement, mais sûrement, le climat et ses drivers sont perçus comme des risques financiers par les investisseurs. Il gonfle le flot de banques, de fonds de pension et de spéculateurs qui s’interdisent de placer nos sous dans les énergies fossiles. Et parce qu’il faut réduire notre empreinte carbone, les alternatives aux produits pétroliers se multiplient.
On connaît bien sûr les agrocarburants. La fabrication des produits de première génération concurrençait la production de denrées alimentaires. Rouler ou manger, il allait falloir choisir. Heureusement, on sait désormais utiliser des plantes non alimentaires, voire les parties non comestibles des végétaux, pour produire essence, gazole et kérosène. Consommant 7% du pétrole mondial, cargos, pétroliers et porte-conteneurs pourraient aussi carburer à l’ammoniaque et à l’électricité.

La révolution hydrogène

À terre, une autre révolution énergétique s’amorce : l’hydrogène. Utilisées dans les capsules Apollo, les piles à combustible se démocratisent. Ces engins qui « transforment » l’hydrogène en électricité, en chaleur et en vapeur d’eau peuvent alimenter des moteurs électriques de toute taille : du téléphone mobile, à la locomotive, en passant par la centrale à cogénération. Vecteur énergétique prometteur, l’hydrogène (aujourd’hui produit dans les raffineries de pétrole) peut être extrait de l’eau par des énergies décarbonées : nucléaire, solaire ou éolien.
Si les transports, qui engloutissent 75% du pétrole mondial, changeaient de carburant, l’exploitation de l’or noir perdrait sa raison d’être. Signe des temps, les compagnies pétrolières européennes font évoluer leur modèle d’affaires. Total espère réaliser 20% de son chiffre d’affaires en vendant des énergies décarbonées. BP, Shell investissent lourdement dans les énergies renouvelables. L’ENI italienne veut planter des massifs forestiers qui absorberaient le CO2 généré par ses activités. Le début de la fin du pétrole ? Pas impossible. Une lecture attentive des plans de relance de l’économie permettra de répondre à cette question. Rendez-vous dès la fin de la pandémie !

Volodia Opritchnik

Le solaire se lève sur Nantes

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Entreprise nantaise quasi centenaire, Armor a développé un procédé d’impression de composés semi-conducteurs, à base de polymères organiques, sur des films plastiques minces. Ou comment produire des cellules photovoltaïques adaptables à toutes les formes.

Le solaire, c’était moche. Pour imaginer produire l’électricité nécessaire au bon fonctionnement de sa maison, il fallait couvrir sa toiture de lourds panneaux photovoltaïques noirs. Du plus mauvais effet architectural.

Les ingénieurs se penchent sur la question de l’intégration des cellules solaires au bâti depuis des lustres. Non sans résultat. Le pollueur du ciel, Tesla propose des toits solaires dont les éléments ressemblent étonnamment à des tuiles ou des ardoises, selon le modèle choisi. Le tout avec un bon rendement énergétique : 150 watts-crête/m2. Comptez, tout de même un peu plus de 200 €/m2 de tuiles. Sans compter les batteries.

Tuiles invisibles

D’autres industriels, comme Edilians ou Dyaqua (dont l’Invisible Solar est la copie conforme d’une tuile romaine), ont mis sur le marché des produits concurrents, mais plus chers et moins performants que ceux de Tesla. Problème : voilà 5 ans que l’industriel californien annonce la commercialisation de ses Solar Roofs. On attend toujours !

Les adorateurs de l’autoproduction sont-ils condamnés à dénaturer le design de leur maison ? Certainement pas. Et ce grâce à une innovation nantaise. Entreprise familiale, quasi centenaire, Armor était spécialisée dans la fabrication de film et papier carbone. La société s’est, depuis, reconvertie dans les technologies d’impression hi-tech. C’est précisément en conjuguant ses savoir-faire en matière d’enduction et de gravure laser que le groupe présidé par Hubert de Boisredon a conçu un module photovoltaïque souple imprimable.

Film ultraléger

Cette technologie Asca permet d’imprimer à grande vitesse des tombereaux de modules solaires souples adaptables à toutes les formes, tous les matériaux. Semi-transparentes, ces « vitrophanies » productrices d’électricité peuvent être posées, très simplement, sur des baies vitrées, des murs, des toits. Un mètre carré de ces cellules minces et souples pèse 450g : 30 fois moins que les autres technologies photovoltaïques.

Depuis la présentation des premiers prototypes, le procédé d’enduction sur film mince a bien évolué. Armor peut désormais produire des cellules épousant n’importe quelle forme : toiture de mobilier urbain, feuille de palmier, sac à dos, remorque de camion, serre maraîchère. En jouant sur la couleur des encres, les cellules peuvent prendre des teintes bleues, vertes, grises ou rouges : autre facteur d’intégration.
Proche du produit jetable, à l’origine, les cellules d’Armor sont aujourd’hui proches du durable. Leur rendement atteint 8% (deux fois mieux qu’il y a deux ans) pour une durée de vie de 20 ans, contre 4 ans pour les premiers modèles.

Last but not least, la fabrication des cellules Asca n’utilise aucun composant rare ou toxique et est bien moins énergivore que la réalisation de panneau photovoltaïque classiques.

 

 

Les bons côtés de la vie au temps du corona

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En paralysant vie quotidienne et économie, la pandémie de Covid-19 diminue notre empreinte environnementale. Un bienfait à terme.

La pandémie, c’est un peu comme la Guerre des étoiles. Du côté obscur de la force, il y a le coronavirus qui, rapide comme l’éclair, a emporté en quelques semaines, 13.000 personnes (chiffre à actualiser avant mis en ligne, nda) dans le monde, comptabilisent l’Organisation mondiale pour la santé. Aussi important soit-il, ce chiffre mérite d’être relativisé. La pollution de l’air urbain tue entre 400 et 800 fois plus de monde chaque année[1], sans que personne ne trouve rien à y redire. Évoquer la qualité de l’air permet d’aborder le côté lumineux de la force de Covid-19.

En mettant leur population en quarantaine, les gouvernements chinois, italien, français ou californien ont ralenti l’activité économique, et, conséquemment, l’émission de polluants. Début mars, des satellites de la Nasa et de l’Agence spatiale européenne montraient des baisses spectaculaires (-10% à -30%) des concentrations de particules fines et de dioxyde d’azote au-dessus des régions industrialisées de Chine et d’Italie.

Bonne nouvelle, car la mauvaise qualité de l’air pourrait faciliter la propagation du Covid-19, rappelle la société italienne pour la santé environnementale. S’il venait à durer, l’assainissement de l’atmosphère métropolitain pourrait épargner plus de vies que la pandémie n’en emportera.
Je vous parlais des avions. Reprenons le fil de la conversation. Si les Boeing, Airbus et autres Bombardier restent cloués au sol, c’est autant de kérosène qui ne sera pas brûlé et d’émissions de CO2 économisées. À cela, il faut ajouter le quasi-arrêt de l’industrie lourde. De quoi réduire sensiblement la consommation d’énergie. En France, la demande de gaz naturel et d’électricité a déjà chuté de 10% à 15%, ces derniers jours par rapport à des journées « normales » d’un mois de mars. Cette baisse d’activités carbonées fait dire à certains experts que les émissions mondiales de GES pourraient chuter en 2020 : une première depuis la crise financière de 2009 !

La pandémie, c’est aussi plein d’effets positifs inattendus. À Venise, la suspension du trafic des vaporetti et des gondoles a redonné à l’eau des canaux sa transparence originelle.
En Europe et aux États-Unis, les administrations promettent des milliers de milliards de dollars aux entreprises et aux particuliers pour relancer l’économie. La preuve, s’il en était besoin, qu’en cas de danger, les gouvernements peuvent faire abstraction de leurs promesses de rigueur financière. Ça tombe bien !  Enrayer le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité demandera d’investir beaucoup d’argent pendant une génération ou deux. Le pli est pris. Ce serait dommage de s’arrêter en si aussi bon chemin.

Volodia Opritchnik

[1] Tout dépend si l’on inclue dans le bilan sanitaire certains effets indirects comme le déclenchement de maladies non transmissibles (diabète ou hypertension).
[2] Selon étude réalisée, en 2016, par EY pour le compte de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et du Conseil national du bruit (CNB).

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