C’est un rapport parlementaire peu commun qui a été envoyé en février aux élus de l’Assemblée nationale. Dans ce document de 322 pages sur la lutte contre le trafic de stupéfiants, les députés Antoine Léaument (LFI) et Ludovic Mendes (Renaissance) préconisent la légalisation du cannabis et la dépénalisation de toutes les autres drogues. Une proposition qui a le mérite d’ouvrir une autre voie que le tout répressif. Député Léaument, au parloir !
ZEWEED : Antoine Léaument, comment naît l’idée d’un tel rapport ?
Antoine Léaument : Le Sénat avait lancé une commission d’enquête sur la lutte contre le narcotrafic qui a été rendu public il y a un an. Il y a eu la volonté d’une formule parallèle avec la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Nous avons donc lancé la mission d’information en octobre 2023 pour qu’il y ait deux sources d’informations sur le sujet.
Comment s’organise-t-on pour écrire un tel rapport?
Il faut voir un maximum de monde qui se rapproche de notre sujet ; en l’occurrence, la lutte contre le trafic de stupéfiants : addictologues, personnes qui travaillent sur l’entrée dans la consommation, l’entrée dans la délinquance, auditions avec l’instance de l’ONU qui s’occupe de la lutte contre le trafic… En tout, nous avons réalisé 80 auditions et 6 déplacements. Nous sommes allés dans tous les angles morts de la commission d’enquête faite par le Sénat. Par exemple, nous sommes remontés à la source du problème en nous rendant en Guyane, où nous avons pu rencontrer un certain nombre d’acteurs qui nous ont montré les pirogues qui transportent la cocaïne sur le fleuve Maroni. En Guyane, on a pu auditionner les douaniers, le préfet, les gendarmes, la police, la police des frontières, pour avoir une idée très précise de la situation et comprendre comment un kilo de cocaïne vendu 3 000 euros sur place s’échange, après avoir été coupé cinq fois, 30 000 euros en France.
Dans ce rapport, vous préconisez la légalisation du cannabis et la dépénalisation de toutes les autres drogues en dessous d’une possession de trois grammes. Pourquoi trois grammes ?
Parce qu’il faut quand même conserver une frontière qui permette de différencier les gens détenant de la drogue pour leur usage personnel de ceux qui comptent en faire la vente. La limite est un peu arbitraire mais elle permet de dire qu’au-delà de trois grammes, on peut soupçonner la personne d’organiser ou de participer à un trafic.
Parlons des AFD (amendes forfaitaires délictuelles) qui sont actuellement une alternative aux poursuites judiciaires. Que préconisez-vous ?
Là-dessus, nous divergeons avec Ludovic Mendes. Lui propose de maintenir les AFD entre trois et six grammes et propose une voie judiciaire au-delà. Moi, je considère que, pour faire baisser la consommation de stupéfiants, il est plus utile de faire de la prévention que de mettre des AFD. Je propose donc, au-delà de trois grammes de possession, le passage par la voie judiciaire qui permet des compositions pénales et des parcours de soins.
« Ce que nous préconisons pour que ce soit efficace, c’est que le prix permette de rémunérer les producteurs, que nous souhaitons français, et qu’il soit moins cher que celui du marché illégal »
Sachant que le prix serait un enjeu majeur pour lutter contre le trafic de cannabis, quel est celui que vous préconisez pour le gramme d’herbe et pour le gramme de shit vendus de manière légale?
On ne fait pas le distinguo entre l’herbe et le shit ; on parle de cannabis. Pour le prix, nous laissons le pouvoir public le déterminer. Mais ce que nous préconisons pour que ce soit efficace, c’est que le prix permette de rémunérer les producteurs, que nous souhaitons français, et qu’il soit moins cher que celui du marché illégal. Partant de cela et sachant que le gramme de cannabis coûte un peu moins d’un euro à la production, nous estimons que le prix de vente devrait tourner autour de sept euros, taxes comprises. Enfin, je propose que l’ensemble de la chaîne soit placé sous le monopole de l’État pour qu’il n’y ait pas de discussion autour du profit.
Certains opposants avancent que les doses de THC ne seraient pas assez fortes et que les consommateurs iraient chercher des produits plus puissants du côté du marché illégal. Que leur répondez-vous ?
Je leur réponds que c’est effectivement un risque. Mais, justement, c’est l’un des éléments qu’on a pris en compte dans le modèle que nous proposons. Nous désirons que les taux de THC soient assez forts mais respectent des niveaux qui seront définis par des équipes médicales pour que ce ne soit pas dangereux pour les consommateurs. Notre certitude, c’est que nous devons être compétitifs vis-à-vis du marché illégal, parce que si l’on vend des produits qui ne correspondent pas aux attentes des consommateurs, ce sera un flop, tout en sachant qu’on ne fait jamais totalement disparaître un marché illégal. Si l’on prend l’exemple canadien, on s’aperçoit que la redirection vers le marché légal ne s’appuie pas seulement sur la question du prix ou les taux de THC, mais aussi sur la confiance qu’on peut avoir dans les institutions publiques pour avoir des produits sains.
« Le cannabis français doit être pensé comme une filière d’excellence. »
À ce propos, il y aura un système de formation pour les producteurs ?
Il y aurait un système de licence pour les producteurs avec un certain nombre de règles, notamment environnementales, sur l’usage des pesticides, par exemple. Le cannabis français doit être pensé comme une filière d’excellence. Mais c’est surtout dans la vente que nous souhaitons qu’il y ait de la formation, parce qu’il est hors de question que cela se fasse en mode open bar: il faut qu’une personne qui vende du cannabis soit formée aux risques associés à la consommation, notamment pour les plus jeunes, et qu’elle puisse, au moment où elle vend, suivre un certain nombre de règles.
Comme quoi ?
L’âge, par exemple. Sur ce sujet, nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec Ludovic Mendes. Lui souhaite interdire la vente aux moins de vingt et un ans ; moi, au moins de dix-huit ans parce que je sais très bien que si les plus jeunes n’ont pas la possibilité d’aller se fournir dans un magasin légal, soit ils se dirigeront vers le marché illégal, soit ils demanderont à des adultes d’acheter à leur place.
« En faisant cette mission d’information sur un an et demi, j’ai vraiment pris conscience que l’alcool est le produit le plus problématique en France »
À votre avis, pourquoi les Français se droguent-ils autant ?
Alors ça, c’est la bonne question. Il faudrait déjà qu’on commence par parler de l’alcool, parce que la vérité, c’est que c’est la principale drogue consommée en France et qu’elle est parfaitement légale. D’ailleurs, en faisant cette mission d’information sur un an et demi, j’ai vraiment pris conscience que l’alcool est le produit le plus problématique en France, en nombre de consommateurs, de comportements problématiques et de dépendance. Comme c’est culturel, on ne se rend pas bien compte de l’importance du phénomène mais, lorsque l’on regarde les choses de manière un peu honnête, wow, c’est chaud ! C’est chaud aussi sur certains médicaments qui créent une forme de dépendance et altèrent en partie certaines fonctions cognitives.
Comment ça se passe quand un Insoumis travaille avec un macroniste ?
Ça se passe plutôt bien sauf à certains moments, comme quand Ludovic a posé une question au gouvernement odieusement agressive contre les Insoumis – tout juste ne nous accusait-il pas d’être des complices du terrorisme. Là, ça a mis une sale ambiance entre nous [rires]. Mais Ludovic est un député Renaissance un peu particulier : il vient du PS et, sur le sujet de la légalisation, il est ouvert, pas du tout dans une logique répressive de gros bras. Et puis nous sommes, l’un comme l’autre, d’un naturel plutôt sympathique et la discussion a donc été assez facile.