Légalisation

La République tchèque sur le chemin de la légalisation du cannabis récréatif

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Après des mois d’attente, un amendement ouvrant la voie à un marché du cannabis à usage adulte entièrement commercialisé a enfin été soumis au gouvernement tchèque.

ZEWEED avec Business of cannabis

Cet amendement, rattaché à un projet de loi sur l’auto-culture présenté en novembre dernier, oblige désormais le gouvernement à en débattre sous l’angle d’une réglementation complète. Une avancée qui survient alors que la Tchéquie tente de s’imposer comme le pays le plus libéral d’Europe en matière de cannabis, mais qui bute depuis des mois sur l’inertie politique : si le texte de loi est prêt, aucun élu n’a jusque-là osé le porter devant le Parlement.
À l’approche des élections de novembre, la course est lancée pour encadrer le secteur avant la fin du mandat.

Sortie de l’impasse ?

Depuis mai 2024, un projet de loi porté par l’ancien coordinateur national aux drogues, Jindřich Vobořil, et visant à instaurer un marché de vente au détail réglementé du cannabis, est prêt. Mais il végète aux portes du gouvernement, en attente qu’un Premier ministre ou un leader de la coalition se décide à le présenter officiellement devant l’assemblée.

Malgré un soutien populaire grandissant, le parti chrétien-démocrate KDU-ČSL ne cesse de s’opposer au texte. Un compromis a tout de même été trouvé sur l’auto-culture, avec la légalisation de la culture de trois plants de cannabis et la possession de petites quantités pour usage personnel.

En novembre, le gouvernement a validé un projet distinct qui modifie le Code pénal en ce sens : culture de trois plants et possession de 50g à domicile et 25g en public. Un premier pas, certes éloigné de la légalisation totale prônée par Vobořil, mais qui pourrait bientôt être dépassé grâce à l’amendement déposé.

Une avancée décisive, mais sous tension

L’amendement a été soumis par surprise par un député du Parti Pirate, fervent défenseur de la réforme. Ce coup de théâtre a cependant semé le trouble dans les rangs des partisans de la légalisation. Sur Facebook, Jindřich Vobořil s’en est pris au leader des Pirates, Ivan Bartoš, l’accusant d’avoir failli à son engagement en ne le soutenant pas activement lorsque lui-même portait la proposition. Autre grief : l’amendement a été déposé dans la discrétion la plus totale, sans communication préalable aux médias, ce qui aurait court-circuité un plan prévoyant qu’il soit porté par un élu du parti ODS du Premier ministre, spécialiste des questions de santé.

Un projet plus ambitieux que prévu

L’amendement, rédigé par le think tank Rational Addiction Policy avec des juristes spécialisés en droit pénal, vise à aller plus loin que la simple décriminalisation. Selon eux, la réforme pénale portée par le ministre de la Justice, Pavel Blažek, reste insuffisante et laisse la porte ouverte à la répression des consommateurs.

L’une des principales inquiétudes concerne la limite de 50g de fleurs séchées pour les cultivateurs domestiques. Jugée trop basse – un jardinier expérimenté pouvant produire entre 100 et 500g par plant –, cette restriction risque d’aboutir à une situation absurde où les petits cultivateurs seraient encore criminalisés. Une problématique similaire à celle rencontrée en Allemagne.

Pour MUDr. Pavel Kubů, cette contradiction entraînerait une poursuite des poursuites inutiles, gaspillant des ressources publiques précieuses qui pourraient être mieux investies ailleurs. De son côté, Dr Tomas Ryska, membre de l’association Rational Regulation (RARE), estime qu’avec cet amendement, la légalisation entre enfin dans l’arène politique : « Ils devront maintenant débattre du texte sous l’angle d’une régulation complète. Ce n’est que le début de la discussion. »

Un calendrier encore incertain

Si l’amendement est officiellement sur la table, aucune date n’a encore été fixée pour son examen en séance parlementaire. En attendant, la tension monte au sein de la communauté cannabis tchèque, notamment à cause d’un autre projet de loi controversé sur les substances psychoactives (PML).

Prévu pour entrer en vigueur en juillet 2025, ce texte prévoit une régulation plus stricte du CBD et du kratom, provoquant l’ire des militants. Certains accusent même cette réforme de détourner l’attention de la légalisation du cannabis récréatif.

Avec ce nouveau cadre législatif, la vente de CBD serait soumise à des restrictions accrues, ce qui pourrait étouffer l’industrie locale. Une campagne dénonçant ce « massacre du CBD » a récemment circulé sur les réseaux sociaux sous le slogan : « Gouvernement tchèque ! Ne nous laissez pas sans choix !»

Ironie du sort, selon Jindřich Vobořil et les architectes du PML, sans cette réglementation, le CBD risquait une interdiction pure et simple ou une classification comme « novel food », impliquant une procédure d’homologation longue et coûteuse.

En route vers une légalisation totale ?

Le dépôt inopiné de l’amendement relance le débat et met la pression sur les élus. Désormais, la République tchèque pourrait devenir le premier pays d’Europe à adopter une législation ultra-libérale sur le cannabis. Encore faut-il que le Parlement trouve le courage d’ouvrir enfin les discussions.

 

 

Quand Donald Trump se prononce en faveur de la légalisation du cannabis

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Farouchement prohibitionniste durant son premier mandat, Donald Trump a soutenu la légalisation du cannabis en Floride durant la campagne présidentielle de 2024, se fendant même d’un spot TV. Make weed great again!

En campagne, Donald Trump avait promis qu’il dépénaliserait le cannabis s’il venait à être élu . Le magnat de l’immobilier s’était même prononcé pour sa légalisation en Floride, fort d’un spot TV à découvrir ci-dessous. Un surprenant élan progressiste pour un va-t-en-guerre de la weed qui avait voulu empêcher de nouveaux Etats de sortir de la prohibition durant son premier mandat.

De son coté, Elon Musk oeuvrait en coulisse pour s’assurer que la promesse de campagne du candidat républicain se cantonne à l’effet d’annonce, en donnant en coulisse 500.000 dollars pour que le cannabis ne soit pas légalisé dans le Sunshine State.
On appréciera le cynisme politique du CEO de Space X, qui se targue d’être un ganja-enthousiaste  à grands coups de comm’, se soigne à la kétamine et dont la consommation de drogues psychédéliques inquiète le Pentagon.
Le 5 Novembre, dans un état où la course à la Maison Blanche est traditionnellement très serrée, Donald Trump a largement devancé Kamala Harris (56,1% contre 43,9%) après avoir fait les yeux doux à une partie de l’électorat démocrate. Quant à l’amendement 3, qui visait à légaliser le cannabis récréatif en Floride, il n’a pas obtenu les 60% de suffrages nécessaires à son adoption

 

Le cannabis en Chine, le guide.

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La Chine fascine par sa situation politique unique : une dictature démocratique, où le cannabis est strictement interdit et où chaque mouvement de la population est surveillé de près, notamment via WeChat. Ironiquement, c’est aussi par cette appli que certains parviennent à se procurer de l’herbe. Enquête dans l’empire de tous les paradoxes.

Une pratique ancestrale prohibée

Le terme chinois pour le cannabis, « dama » (大麻), est l’un des caractères les plus anciens de la langue, témoignant de l’importance historique de cette plante dans la culture chinoise. Cependant, la législation chinoise sur les drogues est d’une rigueur extrême. La simple possession de petites quantités de substances illicites, y compris le cannabis, peut conduire à des sanctions sévères, allant de la réhabilitation obligatoire à de lourdes peines de prison, voire à la peine de mort pour les trafiquants surtout s’ils sont étrangers. Une approche qui peut être utilisée comme arme diplomatique à la manière de la Russie.

We Chat, l’appli gouvernementale du deal.

Malgré le risque encouru par les fumeurs de marijuana : détention pendant 10 à 15 jours et condamnés à une amende de 2 000 yuans (~250 euros) ainsi que le système de récompense pour délation mis en place par la police, la belle herbe verte ne descend pas en popularité auprès des jeunes et des amateurs du monde de la nuit. Il n’est pas difficile de trouver “herbe” à son pied. En effet à la manière des dealers sur Snapchat, dans l’empire du milieu c’est We Chat qui est de mise. We Chat c’est l’équivalent d’un super Whats’App sous contrôle du gouvernement aux fonctions indispensables à la survie de tout individu en Chine tel que :  compte bancaire dématérialisé, commander un Taxi, payer son loyer ou bien même commander à manger. Malgré les risques élevés (toutes les données de WeChat sont susceptibles d’être vues par des agents du gouvernement), il suffit d’un message au bon contact pour se faire livrer à l’endroit désiré. Il faut compter l’équivalent de 300 Yuans (~30 euros) pour l’équivalent d’un 10 euros de d’herbe livré à domicile.

Coffee bars 

Mais contrairement à la France où les amoureux de la ganja se cachent relativement peu dans l’espace publique, c’est totalement l’inverse en Chine. Pour éviter d’avoir des problèmes avec les autorités et planer en toute sécurité, il est plutôt d’usage de fumer à l’intérieur, que cela soit chez soi ou de faire comme les jeunes, c’est à dire de reserver une chambre d’hotel pour pouvoir s’adonner aux plaisirs du cannabis sans risques.
Malgré une legislation qui fait partie des plus strictes du monde en ce qui concerne le cannabis, certains bars peuvent « faciliter » la rencontre entre consommateurs et dealers, tout en étant de mèche avec les autorités locales. Les dits-bars étant prévenus de la date exacte des descentes de police, permettant de faire place nette et éviter les forces de l’ordre.

Si la légalisation du cannabis en Chine semble lointaine,  alors que Xi Jinping et son gouvernement continuent d’imposer une politique des plus répressive en la matière dams le pays, les perspective économiques qui se profilent en Amérique du nord comme en Europe pourraient bien avoir raison de la tolérance zéro… tout du moins à l’export.

 

Allemagne : la légalisation du cannabis en péril?

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A quelque trois semaines des élections législatives, la CDU et son alliée bavaroise, la CSU, ont annoncé dans leur programme électoral vouloir « abolir la loi sur le cannabis du précédent gouvernement ». Avec ces partis en tête des sondages, cette promesse électorale pourrait bien faire revenir l’Allemagne à l’âge de la prohibition.

La CDU/CSU caracole en tête avec 31 % des intentions de vote. Mais pour gouverner, elle devra s’allier à un autre parti, excluant d’office l’extrême droite de l’AfD, actuellement deuxième dans les sondages. Un casse-tête qui pourrait la forcer à composer avec une formation pro-cannabis.
Le principal argument contre la légalisation ? L’explosion des prescriptions de cannabis médical, soupçonné de masquer un usage récréatif déguisé. Une situation amplifiée par la lenteur extrême du processus d’octroi de licences aux associations de culture.

Dans son manifeste électoral, la CDU/CSU martèle que la loi actuelle « protège les dealers et expose nos enfants à la drogue et à la dépendance ». Une rhétorique choc, mais floue : l’annulation de la loi signifierait-elle aussi le retour du cannabis médical dans la liste des stupéfiants ?
Interrogé par Handelsblatt, Tino Sorge, porte-parole santé du parti, a dénoncé la légalisation comme « une grave erreur à corriger« , sans préciser si cela impliquerait un retour au statut de stupéfiant.

L’argument phare des opposants ? L’accès trop facile au cannabis médical, qui deviendrait un détour pour les consommateurs récréatifs. Des entreprises comme Dr Ansay sont dans le viseur, accusées de profiter des failles du système pour permettre des prescriptions sans réel contrôle médical.
Un reportage choc de la ZDF révèle que la plateforme facilite l’obtention d’ordonnances via de simples questionnaires en ligne, évitant les consultations physiques. Pire encore, certains médecins de l’UE prescriraient du cannabis sans respecter les règles éthiques. Une praticienne autrichienne aurait délivré des ordonnances sans jamais rencontrer ses patients, son adresse professionnelle étant introuvable.

Economie florissante sous pression

En parallèle, l’imbroglio autour des associations de culture bloque l’accès légal au cannabis récréatif. À ce jour, seulement 90 licences ont été accordées sur 442 demandes, freinant l’essor du marché légal et alimentant la consommation via le marché noir ou le cannabis médical.
Malgré ces vents contraires, l’industrie du cannabis médical ne s’est jamais aussi bien portée. Selon un rapport du Bloomwell Group, les pharmacies ont enregistré une hausse de 1000 % des prescriptions entre mars et décembre 2023, boostée par la loi entrée en vigueur le 1er avril.

Les variétés disponibles ont presque doublé et le prix moyen au gramme a chuté, passant de 9,27 € en janvier à 8,35 € en novembre. Les souches à forte teneur en THC (plus de 25 %) gagnent du terrain, représentant 29 % des prescriptions en fin d’année.
À l’approche du scrutin du 23 février, les professionnels du secteur montent au créneau pour défendre le CanG Act. L’Association allemande des entreprises du cannabis (BvCW) a publié un manifeste intitulé Le cannabis, moteur de croissance : Opportunités industrielles et options politiques. Son président, Dirk Heitepriem, souligne l’importance de ce marché pour l’investissement étranger et l’économie allemande en crise.

David Henn, de Semdor Pharma, alerte : « Si la loi était abrogée, ce serait un séisme pour l’industrie. Je suis convaincu que 70 % des entreprises du secteur disparaîtraient en un an. »
Mais tout le monde n’est pas contre un encadrement plus strict, notamment pour les téléconsultations. Le BvCW plaide pour une modernisation des règles afin de mieux réguler ces pratiques tout en préservant l’accès des patients en zones rurales.
Dans ce contexte explosif, l’Allemagne joue à partir du 23 février une partie décisive pour l’avenir du cannabis sur le Vieux Continent.

ZEWEED avec AFP, Business of cannabis.

Amsterdam victime de son succès?

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Amsterdam a été le point de départ d’une nouvelle manière, à la fois révolutionnaire et pragmatique, d’envisager la lutte contre la drogue. Un modèle unique qui, bien qu’ayant porté ses fruits et influencé le débat mondial sur la dépénalisation et la légalisation du cannabis, semble aujourd’hui remis en question.

Contexte d’une avant-garde

À l’aube des années 1970, Amsterdam a des allures de point de rendez-vous par excellence de la contre-culture européenne. Le Vondelpark, l’un des plus grands parcs de la ville, est devenu le lieu de rassemblement des hippies et autres tribus urbaines en mal de révolution. Les artistes, musiciens et free spirits squattent dans le quartier Jordaan ; les punks se retrouvent dans l’emblématique salle de concert Le Melkweg, et les « Provos », mouvement politico-libertaire hollandais, organisent des happenings pour défier l’autorité et promouvoir des changements sociaux. Mais, derrière cette effervescence plutôt bon enfant se profile un tableau beaucoup plus noir : la longue tradition commerciale des Pays-Bas a fait de ce petit pays une des plaques tournantes de la fourniture de stupéfiants en tous genres.

L’esprit de « Koss » ou la voie d’une politique de la tolérance

Dans le fameux « quartier rouge », personne ne se cache pour vendre, acheter et consommer de l’héroïne, de la cocaïne ou bien du LSD. Les autorités de police sont débordées et, outre les problèmes de santé publique, la concurrence entre dealers fait rage et dégénère le plus souvent en pugilat. Dans le même temps, chaque samedi matin, sur les ondes de la radio publique, un jeune homme aux cheveux longs et chapeau noir à larges bords ne cesse de gagner en popularité. Il s’appelle Koos Zwart et n’est autre que le fils d’Irène Vorrink, la ministre de la Santé et de la Protection de l’environnement. Non content d’informer ses auditeurs sur le cours tarifaire des drogues disponibles à Amsterdam, il prône la tolérance et déborde d’idées. C’est lui, notamment, qui suggère à la direction du Paradiso, la boîte la plus en vue du moment, de se débarrasser des dizaines de dealers qui officient dans l’établissement pour embaucher un « dealer maison » afin de mieux contrôler les prix et la qualité des stupéfiants proposés.
En outre, il n’est pas étranger à la manière dont s’est déroulé l’immense festival Holland Pop organisé en juin 1970 sur les bords du lac de Kralingse, près de Rotterdam. Avec près de 100 000 personnes réunies trois jours durant pour écouter les Pink Floyd, Jefferson Airplane ou Carlos Santana, la police se retrouve face à un casse-tête : comment gérer ce qui se présente comme la plus importante réunion de fumeurs de cannabis jamais vue aux Pays-Bas ?
C’est alors que, inspiré par l’esprit de Koos Zwart, la police et les organisateurs du festival s’entendent pour expérimenter une nouvelle politique : chacun pourra fumer, et même vendre ce qu’il veut ; en contrepartie de quoi, des dizaines de médecins et de médiateurs bénévoles, secondés par une escouade d’agents de police déguisés en hippies, s’assureront que tout se passe au mieux. Au final, le festival est un succès, sans bagarres ni overdoses, et l’expérience, une réussite qui va donner des idées au gouvernement néerlandais. De fait, le tout-répressif ne fonctionne plus à Amsterdam. Il faut changer de stratégie, imaginer quelque chose d’autre.

« Opiumwet » : la loi révolutionnaire en faveur des drogues douces

Un premier comité d’étude propose, à la fin de l’année 1971, une évolution graduelle vers la « décriminalisation » des stupéfiants. Puis une autre commission, l’année suivante, publie un rapport qui finira par convaincre la coalition au pouvoir. En 1976 est votée une loi connue sous le nom d’ « Opiumwet », laquelle s’impose comme un des plus beaux exemples du pragmatisme batave. L’objectif est de concentrer les efforts de la police et du système judiciaire sur les drogues dures (héroïne, cocaïne, amphétamines…), tout en réduisant la stigmatisation et les poursuites contre les consommateurs de cannabis. Cette innovation véritablement révolutionnaire ouvre également la voie à la création de coffee shops agréés par l’État ; établissements spécialisés où la vente de petites quantités de cannabis est tolérée sous certaines conditions : pas de clients mineurs, pas de publicité, un stockage sur place limité et une vente par personne et par jour fixée à cinq grammes maximum. Cette politique a par ailleurs un avantage non négligeable puisqu’elle permet de contrôler la qualité du cannabis vendu et de diminuer du même coup les risques sanitaires associés à la consommation de produits de mauvaise qualité.

Dans les décennies suivantes, les coffee shops se multiplient, devenant partie intégrante du paysage urbain néerlandais. Et, bien que cette tolérance ait suscité des controverses, les données montrent que la consommation de drogues dures aux Pays-Bas demeure relativement faible par rapport à d’autres pays européens. Ce qui n’empêche les autorités d’ajuster leur politique. Dans les années 1990, par exemple, des mesures sont prises pour réduire le nombre de coffee shops dans certaines zones urbaines et limiter leur concentration près des écoles.

Vers la fin des coffee shops ?

Malgré ces ajustements à la marge, Amsterdam apparaît vite comme un phare de tolérance dans un océan de répression. Peu à peu, la ville s’impose comme une destination de choix pour les étrangers en quête d’expérimentations sans risques. À tel point que l’on estime qu’environ 30 % des touristes qui visitent Amsterdam le font principalement pour l’expérience des coffee shops. Or, avec plus de 20 millions de touristes qui longent ses canaux chaque année, certaines conséquences délétères de ce surtourisme ont directement participé à l’élection de Femke Halsema à la mairie de la ville en 2018. Ayant à cœur de réduire les nuisances que ce commerce inflige aux résidents locaux, cette ancienne dirigeante du Parti écologiste interdit dès 2023 de fumer du cannabis dans les rues du Quartier rouge ; une mesure couplée à un renforcement des restrictions sur l’alcool et à une fermeture plus tôt le week-end des cafés, bars, restaurants et maisons closes. Radicale, l’édile de la ville s’était d’ailleurs dit prête à interdire les coffee shops aux étrangers.
Cette menace est suspendue aux effets d’autres mesures drastiques sensées enrayé le surtourisme : augmentation de la taxe de séjour, mise en place d’une réglementation stricte sur la location saisonnière, bannissement des bateaux de croisière du centre-ville, ou encore interdiction de construire de nouveaux hôtels dans la ville. La crise du tourisme apparait pour la commune comme l’occasion de renouveler l’image d’Amsterdam. D’après la municipalité, la campagne « Renouvelez votre regard » lancée en 2023, constitue l’espoir d’attirer un autre type de visiteurs, davantage tournés vers les richesses culturelles de la Venise Hollandaise. Loin de tourner complètement le dos à un héritage d’avant-garde en matière de tolérance vis-à-vis de la consommation de drogue, Femke Halsema s’est dit favorable à une régulation des drogues dures comme la cocaïne et la MDMA. « On pourrait imaginer que la cocaïne puisse être obtenue auprès de pharmaciens ou via un modèle médical », déclarait-elle récemment dans un entretien donné à l’AFP. Affaire à suivre.

 

Brésil : désordres et progrès

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Fin juin, le plus grand pays d’Amérique latine dépénalisait l’usage et la possession de cannabis. Aussi progressiste soit-elle, la nouvelle législation est loin de faire l’unanimité. Enquête.

Si la possession personnelle de maconha vient d’être décriminalisée, le Brésil de Lula, réélu en 2022, continue à naviguer dans le flou : la filière du cannabis thérapeutique attend d’être légalisée depuis près d’une décennie. Dans la première puissance économique du continent sud-américain, les acteurs engagés en faveur d’une filière dédiée, sont éclectiques, des représentants de l’élite brésilienne aux haut-parleurs des quartiers populaires.

Voilà près d’une décennie que la décision était attendue. Depuis le 25 juin, la possession de maconha (cannabis) est considérée au Brésil comme une simple infraction, passible d’un avertissement délivré par la police. En votant en faveur de la décriminalisation du cannabis à usage personnel, 8 des 11 magistrats de l’institution de Brasilia ont mis fin à une procédure commencée en 2015 qui visait à statuer sur la constitutionnalité d’une loi adoptée en 2006 : celle-ci considérait comme un crime l’acquisition, la conservation ou le transport de tout type de drogue pour une consommation personnelle. Après examen, le STF (Tribunal suprême fédéral) avait finalement décidé de limiter le débat au seul cannabis.

La loi de 2006 ne punissait pas d’emprisonnement l’usage personnel de cannabis, préférant des mesures éducatives et des services d’intérêt général. Mais jusqu’alors, en l’absence de critères objectifs, l’appréciation était laissée aux policiers et aux juges des 26 États du pays. Or, selon ses détracteurs, celle-ci était à l’origine de nombreuses discriminations raciales et sociales, particulièrement si le consommateur était noir ou/et issu des favelas et quartiers populaires des métropoles du pays aux 215 millions d’habitants. En 2023, le juge Alexandre de Moraes, l’un des magistrats de la Cour suprême, avait d’ailleurs dénoncé le fait que « les jeunes, surtout les Noirs, sont considérés comme des trafiquants s’ils sont arrêtés en possession de quantité de drogues bien moins importantes que des Blancs de plus de trente ans ».

La décision de la Cour suprême devrait ainsi alléger le système pénitentiaire brésilien. Et désormais, les millions de fumeurs brésiliens pourront tirer avec moins d’angoisse sur leur maconha, chantée de Tim Maia à Erasmos Carlos, en passant par l’ancien ministre de la Culture, Gilberto Gil, militant de longue date de sa dépénalisation. « Pendant de nombreuses années, expliquait-il à la presse brésilienne cette année, j’ai expérimenté le cannabis, l’ayahuasca. C’étaient des choses guidées par mon peuple, par ma génération, par mes pairs, par mes collègues. »

72 % des Brésiliens se disent en effet opposés à l’usage récréatif du cannabis

Reste que cette avancée sociétale a été actée dans une large indifférence nationale : 72 % des Brésiliens se disent en effet opposés à l’usage récréatif du cannabis ; en premier lieu, les 22 % fréquentant les églises évangéliques menées par l’Église universelle du Royaume de Dieu.
Les habitants de la première puissance économique d’Amérique du Sud sont en revanche plus conciliants concernant l’usage du cannabis à des fins médicinales et industrielles, en particulier dans les cosmétiques – qui fait également l’objet de débats au Brésil : en 2022, la Cour Suprême a autorisé trois patients à cultiver du cannabis chez eux à des fins médicinales. Cette décision, qui pourrait faire jurisprudence, vient aux secours des 430 000 Brésiliens qui consomment aujourd’hui du CBD.
Jusqu’ici, ces derniers n’avaient qu’une option pour les obtenir : les faire venir de l’étranger ; au prix fort, en raison de coûts d’importation extrêmement élevés. Pour les magistrats brésiliens, cultiver quelques plants de cannabis chez soi ne constitue donc pas une menace pour la santé publique. Mais les sages de la Cour suprême prennent soin d’encadrer cette décision : pour planter du cannabis, les patients devront justifier d’une prescription médicale et obtenir l’autorisation de l’Agence nationale de surveillance sanitaire, l’Anvisa. Un cadre extrêmement rigoureux sur fond de grand flou juridique. Le cannabis médicinal n’a toujours pas été légalisé au Brésil : le projet de loi 399 attend l’approbation du Congrès depuis dix ans.

Militantisme, entreprenariat et économie nouvelle

Patrícia Villela Marino est l’une des activistes sur les starting-blocks (1). La P.-D.G. philanthrope de l’ONG Humanitas360 est l’une des leaders du mouvement brésilien qui défend la légalisation du cannabis médicinal. Quand elle n’est pas sur Brasilia, où elle est membre du Conseil de la Présidence de la République, cette Pauliste sillonne les provinces de la fédération pour assister à des forums et réfléchir aux politiques publiques qui permettraient d’accompagner l’usage médicinal du cannabis comme l’utilisation industrielle du chanvre. Sa fondation participe également au financement d’un think-tank dédié à cet enjeu : l’Institut de recherche sociale et économique sur le cannabis – « Il s’agit du droit à la vie des patients les plus pauvres.
Nous n’avons pas le droit de tarder à investir dans ce domaine », souligne-t-elle. Patrícia Villela Marino est à l’avant-garde du pragmatisme qui commence à s’emparer des milieux d’affaires, du patronat brésilien, et en particulier de ses agro-industriels, particulièrement conservateurs, vis-à-vis du potentiel économique du CBD et du chanvre industriel.
Mariée à Ricardo Villela Marino, issu d’une des trois familles contrôlant la holding brésilienne Itaúsa et la plus grande banque privée du pays, Itaú Unibanco, Patrícia Villela Marino est tout à la fois évangélique, mais aussi pro-Lula. « J’ai rencontré de nombreuses entreprises étrangères qui spéculent sur le fait que notre gouvernement se prononcera bientôt sur un cadre réglementaire et qui cherchent déjà à se positionner, comme the Green Hub, une société américaine. Si l’on veut éviter de se retrouver concurrencés dans son propre pays, il faut que nous accélérions : nos filières du café, tout comme celle du lait se sont effondrées. La nouvelle économie du cannabis industriel, qui pourrait être plus inclusive que nos anciens secteurs, est notre avenir, j’en suis convaincue. Mais plus nos législateurs tardent à s’emparer de cette question, plus nos start-up et sociétés pharmaceutiques brésiliennes sont menacées. »

Patrícia Villela Marino, milliardaire et pasionaria du cannabis thérapeutique

Pour cette progressiste fortunée, membre d’une famille « comparable aux Rothschild en richesse et en influence » note le magazine Forbes, « débattre du cannabis, c’est l’agenda de Jésus parmi nous, car cela nous demande de dépasser beaucoup de religiosité et de pharisaïsme ». Une hypocrisie qui n’épargne pas les milieux aisés d’un pays qui compte l’une des plus importantes inégalités de revenus au monde. « Presque tout le monde sniffe de la cocaïne en soirée, durant de chouettes parties, mais personne n’ose s’engager sur la légalisation du cannabis médical » ironise Patricia Villela Marino, qui a dû d’abord s’imposer dans son propre milieu, même si la fortune est un argument persuasif.

« Lula élu président, c’est une excellente nouvelle pour le cannabis au Brésil. » Rafael Arcuri, président de l’association nationale des producteurs de chanvre industriel

Selon le deuxième annuaire du cannabis médicinal au Brésil, publié par Kaya Mind en 2022, le cannabis brésilien, s’il était légalisé tant dans le domaine récréatif que thérapeutique, pourrait rapporter, après cinq ans de calage, jusqu’à 5,3 milliards de dollars à l’économie nationale et participer à la création de 328 000 emplois. « Les yeux du monde entier sont tournés vers notre pays », estime Viviane Sedola, fondatrice de l’entreprise en ligne Dr Cannabis, membre du Conseil économique et social brésilien et d’un groupe de travail au sein du gouvernement fédéral sur les substances psychoactives. Car une économie du cannabis médicinal s’est déjà développée au Brésil, sans attendre sa légalisation. Importateurs, sociétés pharmaceutiques, plateformes et associations : le millier d’entreprises brésiliennes opérant déjà dans le secteur du CBD a généré en 2023, 700 millions de reais (plus de 100 millions d’euros), soit une croissance de 92 % par rapport à 2022, selon les données collectées par Kaya Mind.
Les pionniers qui participent à cette économie naissante du cannabis médicinal brésilien forment un groupe diversifié. Certains sont rentrés dans le circuit après avoir expérimenté ses bienfaits pour la santé, comme l’ancien joueur de tennis professionnel Bruno Soares, quarante-deux ans, qui l’a d’abord employé pour ses effets anti-inflammatoires. En 2022, alors qu’il quittait le circuit professionnel, Soares a effectué, à travers son fonds MadFish, un investissement de plus d’un million d’euros dans le laboratoire Ease Labs de Belo Horizonte, dans l’État du Minas Gerais, qui importe et distribue des médicaments à base de cannabis médicinal. Le musicien carioca Marcelo Maldonado Gomes Peixoto, alias Marcelo D2, cinquante-six ans, leader du groupe Planet Hemp, vient de lancer sa propre gamme de produits à base de CBD, Koba by MD2, réalisée en partenariat avec la société paraguayenne Koba, qui « vise à démocratiser l’accès à ces médicaments ».

D’autres acteurs viennent du monde scientifique. Claudio Lottenberg, ancien P.-D.G. de l’hôpital Albert-Einstein (l’un des plus célèbres et meilleurs hôpitaux privés du Brésil) et aujourd’hui président du conseil d’administration de l’institution, dirige aussi ceux de Zion MedPharma et Endogen, des sites axés sur les produits à base de cannabis. À ses côtés, on retrouve Dirceu Barbano, ancien directeur de l’Agence nationale de surveillance sanitaire, l’Anvisa, qui a la tutelle sur la prescription et la délivrance de médicaments à base de cannabis. Tous ces opérateurs sont suspendus aux décisions qui seront prises à Brasilia : « Lula élu président, c’est une excellente nouvelle pour le cannabis au Brésil, notait en 2023 l’avocat Rafael Arcuri, président de l’association nationale des producteurs de chanvre industriel. Mais il est encore difficile de spéculer sur ce qui pourrait se produire et comment. La meilleure hypothèse est que le cannabis et le chanvre seront soumis à des réglementations plus larges, avec davantage d’utilisations autorisées pour les cannabinoïdes ou le chanvre. Mais la culture sur le sol brésilien reste une question délicate. Lula peut également utiliser ses pouvoirs pour proposer un nouveau projet de loi, plus adapté à ce Congrès, ou émettre un décret présidentiel réglementant différents aspects de la commercialisation du cannabis et du chanvre. » De l’ordre et du progrès… enfin ?

 

Jean-Christophe Servant

 

1) Les propos de Patrícia Villela Marino, qui a choisi pour l’heure de ne plus communiquer avec les médias, sont tirés d’entretiens donnés entre 2023 et 2024 à la presse brésilienne.

 

Canada : quelle politique sur le cannabis après le départ de Justin Trudeau ?

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Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a annoncé la semaine dernière son intention de quitter la direction du Parti libéral, sous la pression croissante de son propre camp et face à une chute marquée de sa popularité. Après une décennie à la tête du pays, son parti est désormais nettement distancé dans les sondages à l’approche d’élections. Analyse.

Depuis quelques mois, le premier ministre canadien Justin Trudeau fait l’objet d’appels à la démission émanant de hauts responsables libéraux, et ce en raison de sa gestion de la crise commerciale qui se profile avec les États-Unis et de son incapacité à enrayer l’inflation. Au delà de la crise politique, Trudeau laisse derrière lui un héritage majeur : celui d’avoir fait du Canada le deuxième pays au monde à légaliser le cannabis à usage récréatif.

Promesse tenue, bilan contrasté

Lors de sa campagne pour les élections fédérales de 2015, Justin Trudeau avait fait de la légalisation du cannabis un pilier de son programme, insistant sur la nécessité d’une régulation encadrée et d’une réduction des risques. Promesse tenue : dès 2018, le cannabis était légalisé au Canada, marquant une étape historique.
Mais ce succès est nuancé. L’industrie canadienne du cannabis reste confrontée à des défis structurels majeurs. En décembre 2024, l’administration Trudeau a annoncé son intention de réviser le système de taxation des entreprises du secteur en 2025, dans le but de simplifier les démarches administratives.

Dans son Énoncé économique de l’automne 2024, le gouvernement fédéral a proposé de passer des timbres fiscaux spécifiques à chaque province à un système national unique, une mesure réclamée de longue date par les acteurs du secteur. Mais avec des élections anticipées et une probable victoire des conservateurs, ces réformes pourraient être reléguées au second plan, voire abandonnées.

Meilleur ennemi de la légalisation libérale

Historiquement, le Parti conservateur canadien a adopté une position prudente, voire restrictive, en matière de politique du cannabis. Opposés à la culture à domicile, les conservateurs ont, en 2013, tenté d’interdire aux patients de cultiver leur propre cannabis médical ou de désigner une personne pour le faire, invoquant des risques de détournement vers le marché noir.
Même après la légalisation, le parti a favorisé les grands producteurs agréés, au détriment des petits cultivateurs ou des particuliers. Bien que la Loi sur le cannabis ait permis d’élargir l’accès à la chaîne d’approvisionnement réglementée, notamment pour les petits producteurs, les conservateurs pourraient, dans une logique de réduction des coûts et de simplification administrative, privilégier les grandes entreprises au détriment des acteurs plus modestes.

Avenir incertain 

L’héritage de Justin Trudeau sur le cannabis pourrait donc se heurter à un revirement sous une administration conservatrice. Alors que le secteur représente 20 % du PIB lié à la production agricole, les petites entreprises pourraient pâtir d’un environnement réglementaire moins favorable.
« Une politique pragmatique et accessible, respectant des normes strictes de qualité », c’est ainsi que certains décrivent l’approche réglementaire du gouvernement Trudeau. Pourtant, cet équilibre pourrait être menacé si les conservateurs revenaient au pouvoir, avec des priorités centrées sur un contrôle accru et une moindre flexibilité pour les petits producteurs.
Si la légalisation du cannabis restera l’un des actes fondateurs de l’ère Trudeau, son impact à long terme dépendra en grande partie de la continuité ou du renversement des politiques actuelles dans un paysage politique en pleine mutation.

ZEWEED avec Business of Cannabis

Eric Coquerel : « La légalisation des usages va peser sur la prochaine présidentielle. »

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Alors que la légalisation du cannabis avance un peu partout dans le monde, la France intensifie sa répression tous azimuts. Est-ce la bonne solution ? « Pas du tout ! » s’exclame Éric Coquerel, député de La France insoumise, qui rêve d’un autre monde.

ZEWEED: Éric Coquerel, avec Bruno Retailleau comme ministre de l’Intérieur, peut-on dire adieu à la légalisation ?
Éric Coquerel : Avec lui, oui. Mais, comme je pense qu’il ne tiendra pas longtemps, c’est un adieu très provisoire et tout ça reviendra vite d’actualité. Et peut-être plus rapidement qu’on ne l’imagine parce qu’en réalité, c’est la seule solution pour que l’on commence à avancer à tous niveaux, en termes de politique sanitaire comme de sécurité.

Bruno Retailleau parle de « mexicanisation » de la France. La légalisation ne serait-elle pas un moyen de justement « démexicaniser » les quartiers ?
Attention au vocabulaire utilisé ; pour moi, c’est là n’envisager la question de la politique vis-à-vis des stupéfiants que d’un point de vue répressif. Et comme je pense que ce n’est pas la bonne voie, je n’ai pas très envie de reprendre le lexique très va-t-en-guerre du ministre de l’Intérieur.

Et donc ?
Je dirais qu’il faut amoindrir les effets des trafics en légalisant le cannabis, y compris dans la production et dans la diffusion, sous contrôle de l’État. Le Canada le montre : sa politique de légalisation a considérablement diminué les trafics et a permis de mettre en place une politique de santé publique plus efficace. Ça, c’est le premier point. Mais je pense qu’il faut également envisager une dépénalisation des usages de tous les stupéfiants, comme c’est le cas au Portugal. Ça ne réduira pas les addictions (ça, j’en suis sûr), mais on pourra au moins avoir une politique de santé publique digne de ce nom et une police qui sera utilisée contre les trafiquants et pas contre les usagers. Une solution tout-répressif ne réglera rien. La preuve : malgré tous ses efforts, la France est l’une des championnes du monde de la consommation de produits stupéfiants !

Vous parlez en votre nom propre ou en celui de La France insoumise (LFI) ?
Jusqu’à la légalisation, je parle au nom de LFI. Sur la dépénalisation, en mon nom propre.

« Au Canada, ils ont à peu près réduit de 60 % le trafic, c’est-à-dire que 60 % de la consommation du cannabis est passée dans le commerce légal. Ça donne un ordre d’idée de ce que ça pourrait rapporter »

Vous voyez un frémissement politique ?
Je le vois dans les débats qu’on a. Et, d’ici peu de temps, il va y avoir une proposition de loi transpartisane, initiée par plusieurs députés, dont moi-même, pour aller dans ce sens-là.

Une proposition qui réunira des députés de gauche et de droite, ou essentiellement à gauche ? 
J’espère qu’il y aura des députés de gauche, mais on peut imaginer aussi qu’il y ait des députés du centre, pourquoi pas ? J’ai fait deux propositions de loi lors des deux derniers mandats : une sur la légalisation du cannabis et une autre pour réduire le trafic de stupéfiants, qui reprenait exactement l’exemple portugais.

Eric Coquerel © Sachat Lintignat LFI (1)

Ça fume beaucoup de cannabis chez les députés ?
Je n’en sais rien et je n’essaye pas de savoir. Mais je ne vois pas pourquoi la proportion de consommation de cannabis que l’on constate dans la société ne serait pas la même à l’Assemblée nationale.

Il y a quand même un devoir d’exemplarité, de respect de la loi des représentants du peuple…
Oui, oui, oui. Il y a aussi un devoir d’exemplarité sur la consommation d’alcool. Ça n’empêche pas des gens de boire d’une manière importante à l’Assemblée.

Vous-même, vous fumez un peu ou pas du tout ?
Non, je ne fume plus de cigarette et je ne fume plus rien d’autre. Mais ce n’est pas par devoir d’exemplarité, mais plutôt par manque d’envie.

Y a-t-il des lobbies qui freinent la légalisation en France ?
Oui, il y en a de très puissants, au premier rang desquels les trafiquants. Il y a une telle masse d’argent en jeu que je ne vois pas pourquoi ce capitalisme-là (on va dire « délinquant ») ne s’organiserait pas comme le capitalisme officiel pour susciter des consommations.

« Je serais contre se contenter d’un modèle de type nord-américain où vous laissez au marché le soin de régler cette question parce qu’alors on ne réglera rien »

Les partis politiques ont-ils peur d’abattre un tel marché illégal qui leur assure une paix relative dans les quartiers ? 
Ça va peut-être vous paraître naïf, mais j’espère que personne ne va jusqu’à formuler cette question dans ces termes. Parce qu’au-delà de la paix relative, assainir tout ça, ça va être un boulot énorme. Ces trafics foutent la vie en l’air de beaucoup de gens, que ce soient les usagers ou ceux qui subissent les trafics, y compris les petites mains, d’ailleurs. À partir de là, je serais contre se contenter d’un modèle de type nord-américain où vous laissez au marché le soin de régler cette question parce qu’alors on ne réglera rien. Donc, pour aller vite, il faudrait que ce soit sous le contrôle de l’État avec une politique qui se préoccupe de la santé publique et non de faire du business. Le pays au monde où ils l’ont fait [le Portugal, NDLR] a eu des résultats exceptionnels, en transférant entre autres la politique de coordination des stupéfiants du ministère de l’Intérieur au ministère de la Santé.

Au moment où les caisses de l’État sonnent creux, légaliser ne serait-il pas un moyen de les remplir en partie ? Avez-vous pu chiffrer cet éventuel apport dans le PIB, par exemple ? 
De mémoire, le chiffre d’affaires annuel du trafic de stupéfiants s’élève, en France, à six milliards d’euros [Étienne Blanc, le rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur l’état du narcotrafic en France, l’a évalué dans une fourchette allant de trois milliards et demi à six milliards d’euros, NDLR]. C’est l’équivalent de la moitié du budget du conseil départemental de Seine-Saint-Denis ; ça pèse dans le PIB quand même. Au Canada, ils ont à peu près réduit de 60 % le trafic, c’est-à-dire que 60 % de la consommation du cannabis est passée dans le commerce légal. Ça donne un ordre d’idée de ce que ça pourrait rapporter. Chez nous, ça ferait un point de PIB, par exemple. Et je ne parle pas des effets induits sur la santé publique…

Il y a six millions de consommateurs de cannabis en France. Porter le débat sur la légalisation de manière forte serait un bon moyen d’intéresser les jeunes à la politique et, de manière plus cynique, de s’assurer un sacré réservoir de voix. Ce débat va-t-il peser dans la prochaine élection présidentielle ?
Au moins sur la légalisation, j’espère. Je ne sais pas si l’on ira jusqu’à assumer la question de la dépénalisation de tous les usages mais, sur la légalisation, oui, je pense qu’il pèsera à partir du moment où le sujet est devenu aussi massif nationalement.

Entretien Raphaël Turcat

Cet article est issu du dernier ZEWEED mag. Pour le trouver près de chez vous, cliquez sur ce lien

Le Maroc, future royaume du cannabis légal?

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Pionnier africain dans la régulation du cannabis, le Maroc a franchi une étape majeure en 2024. Avec un secteur légal désormais solidement structuré et un respect scrupuleux des normes de conformité, le royaume chérifien se positionne comme un modèle en matière de gouvernance du cannabis.

C’est à Rabat, lors de l’assemblée générale annuelle de l’Agence Nationale de Régulation des Activités liées au Cannabis (ANRAC), que Mohamed El Guerrouj, directeur général de l’agence, a dévoilé les performances impressionnantes du secteur.
« En 2024, environ 4 000 tonnes de cannabis ont été produites sur une surface de 2 169 hectares », s’est félicité M. El Guerrouj. Une progression qui reflète la montée en puissance d’une industrie légale en pleine expansion. Mais au-delà des volumes, c’est l’absence totale de non-conformité réglementaire qui inquiète « Aucune infraction liée à la non-conformité n’a été enregistrée », précise à cet égard le directeur de l’ANRAC

Un écosystème structuré et inclusif

Cette réussite est le fruit d’une collaboration étroite entre autorités locales, ministères concernés et institutions publiques. Un dispositif renforcé par des mécanismes de soutien destinés aux agriculteurs et aux opérateurs du secteur, afin de leur permettre de répondre aux exigences strictes de production et de distribution.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur les 4 158 demandes de licences déposées en 2024, 3 371 ont été approuvées, soit un taux de validation avoisinant les 81 %. Parmi celles-ci, 3 056 permis ont été octroyés à 2 907 agriculteurs, contre seulement 430 licences accordées en 2023. Une augmentation spectaculaire qui traduit la volonté du gouvernement d’intégrer les petits producteurs dans ce marché légal. En parallèle, 315 licences ont été attribuées à 158 opérateurs industriels.

Manne économique

Cette régulation ne se limite pas à encadrer le marché : elle redessine les perspectives économiques du pays. Création d’emplois durables, augmentation des revenus des agriculteurs et structuration d’un secteur privé compétitif figurent parmi les bénéfices attendus.
« Nous voulons formaliser l’industrie, consolider les bases légales et accompagner les acteurs locaux dans leur développement » appuie El Guerrouj. L’objectif est clair : faire du Maroc une référence internationale dans le secteur du cannabis légal.
Pour 2025, l’ANRAC voit plus grand encore. La priorité sera donnée à l’intensification des mesures de traçabilité des produits et au renforcement de la compétitivité du marché national.

Investisseurs internationaux

L’ambition ? Attirer davantage d’investissements étrangers et stimuler les exportations.
En s’appuyant sur une politique rigoureuse mais ouverte, le Maroc aspire à devenir un acteur incontournable d’un marché mondial en pleine mutation. Avec des réformes pensées pour conjuguer croissance économique et gouvernance exemplaire, le royaume entend prouver qu’une régulation stricte peut rimer avec opportunités pour les communautés rurales et dynamisme pour le secteur privé.
Alors qu’il mise sur une vision aussi audacieuse que  transparente, le Maroc est en passe de gagner son pari : s’imposer comme un leader de l’or vert, fort d’un modèle socio-économique qui a tout pour faire école, que ce soit Afrique, en Asie ou encore en Europe.

 

ZEWEED avec Prohibition Partners, APANews et Reuters

Cannabis thérapeutique : les patients français en sursis dans un contexte politique des plus flous

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Des milliers de patients français sous traitement de cannabis à visée médical ont obtenu un sursis temporaire, leur permettant de poursuivre leurs soins pour six mois supplémentaires… en vue de trouver d’autres alternatives.

Dans un contexte de chaos politique persistant, les participants à l’« expérimentation » française sur le cannabis médical – qui entre dans sa cinquième année – ont frôlé une interruption brutale de leurs traitements, souvent cruciaux, au 31 décembre 2024.
Malgré une nouvelle prolongation du programme, initialement prévu pour se terminer en 2023, l’incertitude plane toujours sur la « généralisation » du cannabis médical, comme promis par le gouvernement, et son intégration au système national de santé.
Cette prolongation intervient alors que le tout nouveau ministre de la Santé, Yannick Neuder, affirme que « la voie du cannabis thérapeutique » doit encore être « étudiée », en raison de son efficacité sur des douleurs « rebelles, souvent non soulagées par d’autres médicaments ».
Pourtant, face à l’inaction successive des gouvernements sur ce dossier et au retard de la généralisation prévue pour janvier 2024, patients et défenseurs du cannabis restent sceptiques. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), dans son annonce de la nouvelle extension, a précisé que celle-ci vise à donner aux patients le temps de se sevrer et d’envisager des alternatives.

Quatre ans d’expérimentation

En décembre, des associations de patients avaient alerté sur une interruption imminente des traitements, faute de cadre clair pour la suite de l’expérimentation. Lancée en 2021, celle-ci devait poser les bases d’un système complet de cannabis à visée médicale. Après de multiples prolongations, accusé de « repousser l’échéance », le gouvernement avait annoncé que la généralisation serait pour 2025.
Depuis 2024,  le programme était dans une « phase de transition » : aucun nouveau patient ne peut s’inscrire à l’essai, mais les participants inscrits continuaient de recevoir leurs traitements et à être remboursés, et ce jusqu’à ce qu’un système pérenne soit établi. Or, cette phase a pris fin le 31 décembre 2024, sans plan ni budget pour permettre aux milliers de patients de poursuivre leurs soins.

Espoir ou moratoire? 

Sous une pression croissante, l’ancienne ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, avait prolongé l’essai jusqu’au 30 juin 2025, une décision validée par son successeur, Yannick Neuder. Ce dernier a toutefois insisté sur la nécessité pour les patients de se sevrer et de consulter pour envisager d’autres solutions.
Neuder a déclaré que cette extension permettra aux patients de « continuer leur traitement en attendant de réorganiser et de consulter pour voir si nous pouvons créer une filière autour de cette nouvelle source de médicaments ». Il a ajouté : « Je pense que nous devons étudier cette voie du cannabis thérapeutique, car elle couvre une gamme de douleurs rebelles souvent non soulagées par d’autres médicaments : traitements contre le cancer, raideurs, douleurs faciales. »

Avenir incertain

L’avenir du cannabis médical en France reste flou. Les autorités médicales françaises expriment des doutes quant à son efficacité, malgré une étude de référence publiée en 2021 dans le British Medical Journal et les résultats positifs de l’expérimentation menée depuis quatre ans.
Selon des données publiées par l’ANSM en 2023, sur 2 204 patients inclus dans l’essai, 91 % se sont déclarés favorables à la légalisation du cannabis médical en France. Pourtant, l’expérimentation se concentrait davantage sur les aspects logistiques de mise en place d’un cadre légal que sur les données d’efficacité et de sécurité.

Dans un contexte d’ instabilité politique marquée et des priorités faites à l’immigration, l’insécurité, et la dette publique, le cannabis médical passe au second plan. Son avenir dépend désormais du budget 2025, au cœur du chaos politique.
Pour que le cannabis médical soit généralisé, les amendements  nécessaires devront être inclus dans le PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale), qui sera débattu dans les semaines à venir. Le nouveau Premier ministre, François Bayrou, a par le passé défendu la généralisation du cannabis thérapeutique et a promis d’annoncer sa position « prochainement ».

 

Zeweed avec Prohibition Partners, Business of Cannabis et AFP
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