Après des mois d’attente, un amendement ouvrant la voie à un marché du cannabis à usage adulte entièrement commercialisé a enfin été soumis au gouvernement tchèque.
ZEWEED avec Business of cannabis
Cet amendement, rattaché à un projet de loi sur l’auto-culture présenté en novembre dernier, oblige désormais le gouvernement à en débattre sous l’angle d’une réglementation complète. Une avancée qui survient alors que la Tchéquie tente de s’imposer comme le pays le plus libéral d’Europe en matière de cannabis, mais qui bute depuis des mois sur l’inertie politique : si le texte de loi est prêt, aucun élu n’a jusque-là osé le porter devant le Parlement.
À l’approche des élections de novembre, la course est lancée pour encadrer le secteur avant la fin du mandat.
Sortie de l’impasse ?
Depuis mai 2024, un projet de loi porté par l’ancien coordinateur national aux drogues, Jindřich Vobořil, et visant à instaurer un marché de vente au détail réglementé du cannabis, est prêt. Mais il végète aux portes du gouvernement, en attente qu’un Premier ministre ou un leader de la coalition se décide à le présenter officiellement devant l’assemblée.
Malgré un soutien populaire grandissant, le parti chrétien-démocrate KDU-ČSL ne cesse de s’opposer au texte. Un compromis a tout de même été trouvé sur l’auto-culture, avec la légalisation de la culture de trois plants de cannabis et la possession de petites quantités pour usage personnel.
En novembre, le gouvernement a validé un projet distinct qui modifie le Code pénal en ce sens : culture de trois plants et possession de 50g à domicile et 25g en public. Un premier pas, certes éloigné de la légalisation totale prônée par Vobořil, mais qui pourrait bientôt être dépassé grâce à l’amendement déposé.
Une avancée décisive, mais sous tension
L’amendement a été soumis par surprise par un député du Parti Pirate, fervent défenseur de la réforme. Ce coup de théâtre a cependant semé le trouble dans les rangs des partisans de la légalisation. Sur Facebook, Jindřich Vobořil s’en est pris au leader des Pirates, Ivan Bartoš, l’accusant d’avoir failli à son engagement en ne le soutenant pas activement lorsque lui-même portait la proposition. Autre grief : l’amendement a été déposé dans la discrétion la plus totale, sans communication préalable aux médias, ce qui aurait court-circuité un plan prévoyant qu’il soit porté par un élu du parti ODS du Premier ministre, spécialiste des questions de santé.
Un projet plus ambitieux que prévu
L’amendement, rédigé par le think tank Rational Addiction Policy avec des juristes spécialisés en droit pénal, vise à aller plus loin que la simple décriminalisation. Selon eux, la réforme pénale portée par le ministre de la Justice, Pavel Blažek, reste insuffisante et laisse la porte ouverte à la répression des consommateurs.
L’une des principales inquiétudes concerne la limite de 50g de fleurs séchées pour les cultivateurs domestiques. Jugée trop basse – un jardinier expérimenté pouvant produire entre 100 et 500g par plant –, cette restriction risque d’aboutir à une situation absurde où les petits cultivateurs seraient encore criminalisés. Une problématique similaire à celle rencontrée en Allemagne.
Pour MUDr. Pavel Kubů, cette contradiction entraînerait une poursuite des poursuites inutiles, gaspillant des ressources publiques précieuses qui pourraient être mieux investies ailleurs. De son côté, Dr Tomas Ryska, membre de l’association Rational Regulation (RARE), estime qu’avec cet amendement, la légalisation entre enfin dans l’arène politique : « Ils devront maintenant débattre du texte sous l’angle d’une régulation complète. Ce n’est que le début de la discussion. »
Un calendrier encore incertain
Si l’amendement est officiellement sur la table, aucune date n’a encore été fixée pour son examen en séance parlementaire. En attendant, la tension monte au sein de la communauté cannabis tchèque, notamment à cause d’un autre projet de loi controversé sur les substances psychoactives (PML).
Prévu pour entrer en vigueur en juillet 2025, ce texte prévoit une régulation plus stricte du CBD et du kratom, provoquant l’ire des militants. Certains accusent même cette réforme de détourner l’attention de la légalisation du cannabis récréatif.
Avec ce nouveau cadre législatif, la vente de CBD serait soumise à des restrictions accrues, ce qui pourrait étouffer l’industrie locale. Une campagne dénonçant ce « massacre du CBD » a récemment circulé sur les réseaux sociaux sous le slogan : « Gouvernement tchèque ! Ne nous laissez pas sans choix !»
Ironie du sort, selon Jindřich Vobořil et les architectes du PML, sans cette réglementation, le CBD risquait une interdiction pure et simple ou une classification comme « novel food », impliquant une procédure d’homologation longue et coûteuse.
En route vers une légalisation totale ?
Le dépôt inopiné de l’amendement relance le débat et met la pression sur les élus. Désormais, la République tchèque pourrait devenir le premier pays d’Europe à adopter une législation ultra-libérale sur le cannabis. Encore faut-il que le Parlement trouve le courage d’ouvrir enfin les discussions.