Kira Mouniakov

Journaliste, peintre et musicien, Kira Moon est un homme curieux de toutes choses. Un penchant pour la découverte qui l'a emmené à travailler à Los Angeles et Londres. Revenu en France, l'oiseau à plumes bien trempées s'est posé sur la branche Zeweed en 2018. Il en est aujourd'hui le rédacteur en chef.

Turquie : les gendarmes brulent 20 tonnes de cannabis et intoxiquent toute une ville

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À Lice, ville turque de 25 000 habitants, une opération de destruction de cannabis tourne à l’intoxication générale. La combustion en centre ville et en plein air de 20 tonnes saisies a provoqué nausées, hallucinations et colère chez les riverains.

Le 18 avril dernier, les autorités turques ont procédé à l’incinération de 20 tonnes de cannabis confisquées lors de 226 opérations anti-drogue réalisées en 2024 à Lice, dans l’est de la Turquie. Si la valeur du cannabis détruit atteint 10 milliards de livres turques (environ 261,4 millions de dollars), l’opération, menée par le commandement local de la gendarmerie, s’est rapidement transformée en crise sanitaire pour les 25 000 habitants. Pendant plusieurs jours, un épais nuage de fumée toxique s’est installé au-dessus de la ville, provoquant étourdissements, nausées et hallucinations parmi la population. En cause : l’étonnante initiative de mener l’opération en plein centre ville. 

Un gendarme turque met le feu à des ballots de cannabis confisqués lors d’une opération d’élimination massive à Lice, Diyarbakir, le 18 avril 2024. (Photo via Tele1)

Bis repetita

« Tout comme la fumée de tabac nuit aux fumeurs passifs dans les espaces clos, la fumée issue de la combustion de ces stupéfiants peut provoquer de graves désagréments, une intoxication, des étourdissements, des nausées et des hallucinations », soupire Yahya Oger, président de l’association Green Star, engagée dans la lutte contre les addictions. Cinq jours après la destruction, les effets néfastes perdurent, contraignant les habitants à des allers-retours incessants à l’hôpital. « Nous n’avons pas pu ouvrir nos fenêtres pendant des jours à cause de l’odeur », confie un habitant sous couvert d’anonymat, déplorant une situation qui se répète…  chaque année depuis 3 ans.

Une épaisse fumée de cannabis s’élève au-dessus des immeubles résidentiels alors que les autorités brûlent 20 tonnes de cannabis confisqué à Lice (Photo via Haber1)

Indignation et demandes de solutions alternatives

L’opération a suscité l’indignation, notamment en raison du choix controversé des autorités d’utiliser 200 litres de diesel pour brûler les stupéfiants en plein centre-ville, une méthode qualifiée de « non-professionnelle ». Comble de la provocation, les agents avaient disposé les paquets de cannabis de façon à écrire le nom « Lice », un geste qu’Oger juge « inacceptable ». Green Star recommande désormais aux autorités de procéder à l’élimination des drogues dans des usines équipées de cheminées filtrées ou à l’écart des zones habitées. L’association propose aussi des programmes éducatifs de sensibilisation aux drogues destinés aux forces de l’ordre et aux écoles. Malgré les troubles de santé persistants, aucune plainte officielle n’a encore été déposée auprès de Green Star, alors même que les habitants continuent de signaler leur mal-être aux médias et organisations locales. Enfin, le bureau du gouverneur a indiqué que les opérations à l’origine de la saisie avaient donné lieu à des poursuites judiciaires contre 1 941 personnes.

Avec Turkiye Today 

Le Fantastic Mr Murray

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Incarnation sublime du décalé décalqué, toujours au centre de l’action mais toujours à côté de la plaque,  Bill Murray a imposé en quarante ans de carrière un délicieux profil d’agité débonnaire, élevant au rang d’art la notion de coolitude bien frappée. Portrait d’un acteur qui, de son arrestation pour trafique d’herbe à la fausse annonce de sa mort, est resté fidèle à sa devise : It doesn’t matter”.

Ganja Buster
Ce sera à l’aéroport Chicago O’Hare, flanqué de deux énormes valises en métal et de cinq kilos d’herbe que le facétieux Bill Murray rencontrera son premier public.
Le jeune homme s’apprête à rallier Denver pour y entamer des études de médecine. Les temps étant un peu durs et la consommation de ganja dans l’air du temps, Bill se dit que ce serait  un bon coup d’allier détente et revente de weed sur le campus de son université. C’est donc avec 10 livres de sinsemilla mexicaine que le comique  se présente à l’enregistrement en ce 21 septembre 1970. Précisément le jour de son 20e anniversaire.

« Je transporte deux bombes« : pas un bonne idée de blague quand on essaie de faire passer 5 kilos d’herbe à l’aéroport

Est-ce un état un peu fébrile, les réminiscences des volutes consommées la veille ou un sens très pointu du comique de situation?
Toujours est-il que dans la file d’attente, lorsqu’un voyageur lui demande, dans un souci de conversation légère ce qu’il peut transporter dans de si lourdes valises,  Murray lui glisse, complice:  “deux bombes”.
La bouffonerie, définitivement très Bill Murray, ne fera pas rire le bouffonné qui ira avertir les autorités aéroportuaires. Le bouffon, lui, voyant la farce tourner court quitte presto la file d’attente pour se précipiter vers les consignes où il tentera frénétiquement et en vain, de faire rentrer ses deux malles dans un casier trop petit. Il est arrêté, les valises sont ouvertes, et l’aspirant interne se retrouve derrière les barreaux.  “Mais pas sans que j’ai eu le temps d’avaler le chèque d’un de mes clients” (de l’avantage des munchies?) “Ce type me doit aujourd’hui sa carrière et sa réputation” s’en amusera-t-il ensuite. N’ayant aucun antécédent judiciaire,  il n’écopera miraculeusement que de cinq ans de mise à l’épreuve. Ses études de médecine, elles, sont mortes. Bill Murray se retourne alors vers un vieil ami qui lui propose une collocation à New York: John Bellucci.

John Bellucci

De Hunter S. Thompson à Wes Anderson.

La rencontre avec le talentueux et stupéfiant John Belushi lui ouvre, à coup de grands hasards, les portes du petit écran. Sa première apparition en tant que comédien sera dans le  “Saturday Night Live “ (NBC), émission culte outre-Atlantique. Le succès est immédiat.  Le public ne se lassant pas des apparitions de ce clown  lunaire, désabusé, toujours à deux doigts du dérapage mezzo-controlé. Sa carrière est lancée.

Son premier succès au cinéma sera Caddyshack, en 1980 dans lequel il campe un employé de club de golf, tout à fait initié aux subtilités de l’herbe magique. Il y livre d’ailleurs une analyse de  vrai connaisseur « Il s’agit d’un hybride de bluegrass du Kentucky et  de sensemilia du nord de la Californie. Ce qui est étonnant, c’est que vous pouvez jouer 36 trous en fumant tout l’après-midi, puis, en rentrant à la maison le soir, vous défoncer encore plus, du genre au-dessus et en dessous de la ceinture”.C’est noté, Bill.

Fidèle à ses convictions comme à ses mentors et finalement peu versé dans les rôles de composition, Murray incarnera en 81 ( bien avant Johnny Depp) un Hunter S. Thompson aussi barré que nature dans “Where The Buffalo Roam”. Dans le très bon “Broken Flowers” de  Jim Jarmush en 2005, lors d’une scène où il partage un gros joint avec son voisin,  on l’entend deviser entre deux tafs et dans une voix en apnée   “Ça… ça oui, c’est juste de la très bonne Sativa”. Ce laconisme cash, son trademark.

« Stoner of the year » en 2005

Dans La Vie Aquatique de Wes Anderson en 2005, il campe un ersatz de commandant Cousteau ne cachant pas son amour immodéré pour la weed. (amour immortalisé dans  la mythique scène du joint partagé avec Owen Wilson, son fils, sur un fond de “Life on Mars “de Bowie).
Autant de choix de rôles de smoker de ganja sympa et easy-going qui lui vaudront  le très convoité titre  de… “Stoner of the year 2005” lors des  Stony Award organisés par le hautement respecté High Times magazine. (Le précédent lauréat était Snoop, le suivant sera Seth Rogen… La barre du bong était haut placée).

Puis Zombieland en 2009 : Il y jouera son propre rôle avec un tantinet de fiction (il se retrouve reclus dans sa maison de Beverly Hills à la suite d’une invasion de zombies). Un caméo d’un quart d’heure tournant autour d’un magistral bong-chicha de skunk partagé avec Woody Harrelson et Emma Stone, et les jeux de stoner goofy découlant de ladite inhalation cannabique. En l’occurrence une tentative de remake assez fumeuse d’une scène de Ghostbuster.

 » Vie et leçons d’un homme mythique”

C’est en 2018 que  l’art imitera la nature (de Bill Murray) avec l’improbable documentaire de Tommy Avalone “The Bill Murray Stories : Life and lessons learned from a mythical man.”

Le pitch: depuis quelques années trainent de nombreuses légendes urbaines au sujet de Bill Murray.
L’acteur-performer se serait par exemple pointé à l’improviste dans une fête d’une cinquantaine d’étudiants à Austin qu’il ne connaissait absolument pas. Pour y faire un peu la bringue tout d’abord, puis pour jouer avec le groupe local après avoir fait le roadie en portant amplis et drum-kits. Puis, plus tard dans la nuit pour convaincre la police venue pour tapage, de les laisser faire. Avec succès. Les trois policiers dépêchés sur place esquisseront même quelques pas de danse… le double effet Murray.

Bill Murray, le happening permanent

Dans la même ville, il aurait été spotté dans un pub où il n’avait jamais mis les pieds, et aurait fini par faire le barman. Pour donner un coup de main au vrai barman . Le (vrai) barman lui  aurait annoncé qu’il devait  s’éclipser pour s’occuper de son chien malade. Et qu’il fallait donc qu’il ferme le pub un moment. Bill, pas de chien, aurait pris la relève derrière le zinc avec le sourire.

On l’aurait aussi vu s’incruster dans la cabine déjà réservée d’un karaoké à Charlottesville (oui, un peu comme dans Lost in Translation) pour le plus grand bonheur des quatre chanteurs en herbe présents.
Dans l’état de New York, on  l’aurait aussi vu débarquer dans la maison d’un couple qu’il connait à peine, mais dont il avait appris que c’était l’anniversaire de mariage. Pour les aider à préparer le diner, le partager avec eux puis faire la vaisselle à la fin.
Évidemment, tout est absolument vrai, démontrera Avalone dans le documentaire.

La Vie Cannabique

Au sujet du cannabis (et de sa légalisation, pour laquelle il milite activement), l’acteur estime “(qu’il) trouve tout  de même très ironique que la chose la plus dangereuse au sujet de la weed, soit de se faire arrêter en  sa possession”.

Plus direct et politique, il a affirmé que “la marijuana est la cause d’une grande partie des incarcérations, pour le seul crime d’auto-médication. Et cela coûte des millions et milliards de dollars d’emprisonner des personnes pour ce crime contre elles-mêmes. Les gens réalisent que cette guerre contre la drogue est un échec (…) ne créant qu’une armée de personnes (de l’administration pénitentiaire NDLR)  et d’incarcérés.”

Ou plus récemment “le fait que les états passent des lois en faveur de l’herbe prouve bien que le danger supposé du cannabis a été nettement surévalué. Les psychologues recommandent de fumer plutôt que de boire si on a besoin de se détendre” “Personnellement, je joue la carte de la sécurité. Je fais les deux. Je ne plaisante pas avec ça: c’est une question de rigueur”.
Amen.

 

Joey Starr : l’entretien quatre étoiles bien toquées

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Plus de trois décennies après la sortie d’Authentik, le premier album de NTM, Joey Starr continue d’étonner et détonner. Que ce soit sur scène, devant ou derrière une caméra, dans sa distillerie ou en cuisine avec les plus grands chefs, le Jaguar saute avec une déconcertante aisance d’une passion à l’autre. Olivier Cachin a réussi à le rattraper pour lui poser quelques questions.

« C’est quoi le nom de ton magazine ? Zeweed ? Les drogues de beatnick j’ai arrêté depuis longtemps ! » Quand JoeyStarr débarque, c’est toujours l’heure de la punchline. Artiste depuis une quarantaine d’années, l’homme que sa maman appelle Didier a grandi sous les yeux du public, passant du rôle de barbare du rap français à celui de star du petit écran avec 11 millions de téléspectateurs pour le feuilleton Le Remplaçant, dont il est à l’origine. L’ancien rappeur de NTM est désormais réalisateur de documentaires, acteur sur les planches et sur grand écran, metteur en scène de théâtre et auteur d’un émouvant récit autobiographique, Le petit Didier, récit de ses jeunes années. En plus de tout ça, il mange et boit avec des chefs cuisiniers, il en a même fait un magazine. Pour Zeweed, il nous raconte tout ça, et plus…  

Zeweed : Bonjour Didier. L’autre jour j’ai vu Zoxea des Sages Poètes de la Rue, qui était touché par le fait que Kool Shen ait arrêté d’écrire. Et toi ?
Joey Starr :J’écris toujours, mais plus comme avant. Je n’écris plus de chansons, mais du docu à caractère social axé aussi sur le mémoriel. Netflix nous a acheté les développements, donc on n’est pas en train de bricoler, j’ai monté une prod’ avec trois gars, on fait de la coécriture, je suis en train de faire un roman graphique avec eux, cinq histoires autour de l’ivresse, l’éthylisme et la distillation. Quand j’ai des velléités de faire de la musique, c’est Tuco qui écrit pour moi (L’ex Nathy, avec qui Joey a monté le duo Caribbean Dandee, NDLR). Si on refait un Caribbean Dandee, je vais regratter, mais là j’ai mis ça de côté. Mon mode d’écriture est complètement différent quand c’est pour le théâtre ou la fiction. Et j’ai fait Le Petit Didier

Le rap en solo, c’est fini ?
Je fais des Sound Systems et des Food Systems, il y a toujours de la musique. Ça peut m’arriver de faire de l’impro, j’anime beaucoup, comme un ambianceur, et je reprends des vieux standards. 

Tu as l’impression d’être devenu une star grand public ?
Ça je m’en fous. Avec le temps, je comprends que j’ai une fibre artistique qui ne va pas que dans le sens d’écrire du rap. Je traine avec des gens très apaisés, avec qui on échange beaucoup pour écrire. Mais je me sens dans la continuité de ce que j’ai fait avec ces documentaires ou ces deux magazines que j’ai sorti (Five Starr et Le Guide Bistronomique, ndr) qui sont des alibis pour parler de legs, faire du mémoriel, du social. Five Starr c’est pas des recettes de cuisine, je passe beaucoup de temps à table avec des chefs, les mecs ont toujours des histoires de ouf concernant les produits, mais qui t’emmènent sur des histoires humaines. La plupart des plats français sont des plats métissés. Si on prend l’exemple de la choucroute, le chou vient de Chine, ce sont les marins qui ont rapporté ça pour combattre le scorbut… Moi et ceux avec qui je suis, on aime raconter ces histoires de France méconnues qui vivent dans les travées. Hier je suis allé voir l’expo Sarah Bernhardt, elle était sculptrice, productrice de théâtre, comédienne, peintre, je crois que c’est ça être artiste, pas simplement se cantonner à un seul truc. Quant à être artiste grand public, déjà quand j’ai eu l’idée originale du Remplaçant, je ne pensais même pas que TF1 reviendrait vers moi ! Du coup ça s’est inscrit comme ça, tac tac, moi je l’ai pris dans la gueule comme la mère de mes enfants qui m’appelle pour me dire « Didier, t’as fait onze millions ! » Woaw. D’ailleurs si elle ne m’avait pas appelé, je crois que j’aurais été au courant une semaine après. Je suis dans ma dynamique. Cette histoire de mise en scène de Cette petite musique que personne n’entend, c’est Clarisse Fontaine qui est venue me voir. J’ai aimé son texte, ça m’a fait le même déclic que la première fois que je suis allé faire des lectures. J’avais envie d’en être. 

« C’est quoi le nom de ton magazine ? Zeweed ? Les drogues de beatnick j’ai arrêté depuis longtemps ! »

Fini l’image de barbare des débuts ?
Je suis père de famille, j’ai aussi une strate qui s’inscrit dans la normalité. J’ai la sensation de m’inscrire dans une continuité, je n’ai pas besoin d’exister, et la promo me fait toujours autant chier. J’étais -et je suis encore- en construction, il m’arrivait des trucs ou je provoquais des choses dont je n’étais pas au contrôle. J’étais un bel électron libre, je le suis encore mais je suis un chef de tribu, ça change bien la donne. Je ne refuse pas d’être un artiste grand public, mais je n’en ai rien à foutre en fait. Je ne pense pas à mon image, je fais les choses pour moi. Je ne vis pas dans l’œil de l’autre. Je me suis retrouvé à faire une dégustation d’absinthe dimanche, j’ai encore les cheveux qui tirent, ça envoie bien, j’adore. La moustache, ça me plait. Je suis très Chartreuse absinthe en ce moment. Les herbes, hein !

C’est mieux que de chasser le dragon…
C’est un autre sport, encore. Mais je me suis inscrit dans un autre truc. On fait du rhum, je cherche des financiers pour les magazines…

Tu fais du rhum ?
On monte une marque, ça s’appelle Carnival Sun Juice, toujours un peu yélélé. On fait venir de la mélasse de Belize, la Barbade et la Jamaïque, on a des trucs qui vieillissent au Cap Vert, de la mélasse d’Afrique qu’on va recevoir, on fait des assemblages, on fait vieillir, c’est un carnet de voyage. Pour la musique, je suis toujours collé avec DJ Naughty J et Cut Killer pour les Sound Systems. Cut je l’ai foutu sur le scoring de Cette petite musique que personne n’entend, il a fait toutes les ambiances musicales, et il est aussi sur le score du Remplaçant. Je ne suis pas parti comme l’autre jouer au poker et salut tout le monde. J’ai toujours ce besoin de live, de performance, que je retrouve au théâtre. Mouiller le maillot, parce que c’est bien beau de gratter mais j’avoue que j’ai des moments où je tourne en rond et je suis content d’avoir des Food Systems. L’autre jour je suis parti jouer avec deux chefs et Naughty J, j’ai animé de 17h à minuit quoi, tout en cuisinant machin. Je suis encore dans cette hyperactivité-là, en fait. 

Crédits : Ralph Wenig/Zeweed

Tu as essayé le CBD?
J’avais un pote qui était en pension à Clamart, donc je devais avoir treize ou quatorze ans,
et ce type, je l’ai retrouvé il n’y a pas longtemps. Il a vu que j’étais branché dans la cuisine et il me raconte qu’il a rencontré un chef d’une tribu dont les membres consommaient un truc qu’il a ramené en France. C’était du CBD. Il m’explique que ça a plein de propriétés, que ci, que ça, tac tac. C’est comme ça que j’ai découvert le truc, en fait. J’en consomme parce que tu sais,j’ai le corps qui tire et qui m’envoie des signaux, vu que je ne fais pas de sport, donc effectivement ça a des vertus thérapeutiques assez intéressantes. Sinon j’ai arrêté les drogues de beatnik, je ne fume plus ; enfin, juste mes petites cigarettes – c’est mon petit plaisir. Je ne fume pas de CBD ; en revanche, j’en prends pour mon dos, pour mon épaule… Donc vive le CBD!

Un Food System, c’est la gastronomie plus le Sound System ?
Les chefs avec qui je traine, ce sont des bons vivants. On boit, on mange, ça me va très bien. Il y a des gens qui me demandent pourquoi je fais ça, mais je me fais plaisir ! Ils croient que c’est une contrainte par corps ? Les mecs sont mes potes, ils m’apprennent des trucs, ils sont de bonne compagnie. La donnée intéressante des Food Systems, c’est qu’on joue devant des gens après les avoir fait manger, et ils ne sont pas acquis à ce qu’on va faire. Parfois la tête des gens en face c’est camping, et on arrive à les jeter avec de l’électro, de la trap, c’est magnifique. Ça me rappelle le théâtre, où le public est tout autre que ce que j’ai vécu dans la musique. Il y a plein de gens que j’ai conquis par ça et qui reviennent, et surtout j’ai une partie de mon public qui quand il voit une affiche avec écrit JoeyStarr se dit : « Nous on pensait que t’allais chanter ! », des têtes de tortue comme ça. Le Food System, l’idée c’est de les faire manger, de les faire digérer et peut-être qu’après on ira calibrer leurs étrons après digestion ! C’est des journées passées à bouffer avec des chefs, il y a de la musique, Naughty J est là aussi, et d’un seul coup tu te dis « Ça, on peut le proposer au public ». J’ai fait des soirées dans le Sud-Ouest avec un petit bar alternatif, Éric Ospital en train de cuisiner sur une plancha, les mecs sont sous MDMA, on arrive à les faire bouffer sous MD ! L’autre il leur cuisine sous le nez de ces trucs ! Si on arrive à faire ça, on peut aller plus loin. J’ai cette fibre entertainer qui est très forte.

« Je passe beaucoup de temps à table avec des chefs, les mecs ont toujours des histoires de ouf » 

Ton premier rôle de fiction c’était en 1990 dans l’épisode « Taggers » de la série Le Lyonnais.
Ouais, un truc comme ça. Je ne comprenais pas ce que je foutais là ni même ce que je racontais mais j’étais avec mes potes donc ça m’allait. Ma vraie première sensation au cinéma, je ne te cache pas, c’est Le Bal des actrices avec Maïwenn. Où je suis en impro totale, elle m’a pris au dernier moment, elle est partie en écriture pour moi, elle a senti que j’avais le débit pour la connerie assez facile, elle s’est dit « Je vais le mettre là-dedans, dans son rôle ». C’était assez jubilatoire. Après je me suis retrouvé à apprendre des textes, enfin Polisse ça n’était pas complètement écrit non plus, je me suis encore surpris. Même pour Elephant Man, je me disais que j’allais galérer pour faire rentrer tout ça. Quand j’ai commencé à lire, wow… Mais j’ai appris en chemin que j’aimais l’acting, et je me suis rendu compte que le théâtre m’apportait beaucoup. C’est une sensation particulière de se retrouver là après avoir passé 25 ans avec les mêmes personnes dans notre microcosme. Quand David Bobée m’a proposé Elephant Man, j’ai dit « Trois heures, t’es un ouf, je n’y arriverai jamais ! » Et il me dit que si je lui fais confiance, on va y arriver. Tu vois ce que fait Bobée, quand il a envie de toi tu ne peux pas dire non. Et en fait je ne savais pas que ça existait mais il m’a mis un répétiteur avec qui on s’est très bien entendu, on a beaucoup ri. Il me faisait faire des conneries, des exercices mnémotechniques, et ça marche grave ! Surtout je pensais qu’avec ce que je m’étais mis dans le cornet, je devais être un peu altéré à ce niveau-là et en fait non. Quand l’envie y est, le corps suit. Bien sûr il y a des séquelles, on ne peut pas être à la fois protagoniste et spectateur, mais ça ce n’est pas à moi d’en parler. 

Tu es un peu hypocondriaque ?
J’ai 55 piges, frère ! J’ai fait des roulades avant, nanana, mais j’ai vraiment envie de voir grandir mes fils parce que je suis très fier d’eux, les trois à leur façon, ils me régalent donc j’ai envie d’être là. Si j’étais en phase descendante, je ne sais pas comment je serais mais ça n’est pas du tout le cas en fait. Et puis je ne fais pas tous les jours la même chose : Là je fais une interview avec toi, de la promo pour la pièce Cette petite musique que personne n’entend qui va se jouer un mois au Festival d’Avignon, où on m’attend au tournant parce qu’avec mon passif et vu ce que la pièce raconte, voilà…

Crédits : Ralph Wenig/Zeweed

Ton dernier trip ?
J’ai été à Majorque faire les cérémonies Ayahuasca. Avec des vrais Amazoniens hein, pas des pompes à vélo. J’ai dû partir dix jours avant pour faire un régime sans alcool, sans viande, sans drogue, sans sel, sans sucre, sans lactose. Il reste légumes et poisson mais sans sel mec, t’as la rage. C’est une copine comédienne qui m’a engrainé. Au départ je me suis intéressé à ça pour faire un doc, finalement je me suis dit que j’allais faire don de mon corps à la science, et j’y suis allé. Dix jours sans drogue et sans alcool, eh ben ça s’est très bien passé en fait. Ensuite on a fait les cérémonies pendant quatre cinq jours et ils m’ont gardé trois jours après pour la ré acclimatation. J’étais curieux, c’est un truc que j’avais envie de raconter. 

On te revoit quand à l’écran ?
Là on repart sur une saison complète du Remplaçant, on va tourner six épisodes dans la région de Bordeaux, ça va me faire du bien. J’ai rencontré un mec que je kiffe particulièrement, Michaël Abiteboul, avec qui j’ai tourné Machine, une série qui arrive sur Arte où je joue le rôle d’un vieux Marxiste. C’est une fiction sensée raconter la différence entre le syndicalisme, le marxisme et le capitalisme, tout ça sur fond de kung-fu avec une petite blonde très menue, Margot Bancilhon. Elle a taffé : Elle démonte sept gros Coréens alors qu’elle doit peser 50 kilos ! (Il se lève, NDLR) OK c’est bon pour toi ? Alors moi, je vais vaquer à de nouvelles aventures !

 

Propos recueillis par Olivier Cachin

Orlus@orlus.fr

 

Hollyweed : la ganja au cinéma en 8 films

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ZEWEED célèbre en 8 films  la relation centenaire complice, déchirante et passionnelle entre le grand-écran et la fumette. Rétrospective pour élargir ses perspectives…

Reefer Madness (1936), ou comment Hollywood, bien qu’enfumé, édifia le cannabis en substance diabolique

À Hollywood, il était tacitement acceptable de fumer un joint ; la plupart des travailleurs du cinéma étaient de temps à autre complètement high. Pourtant, à l’écran, les quelques films de l’époque traitant de la substance sont des pamphlets redoutables et exagérés. C’est qu’en cette fin des années 1920, début des années 1930, une importante campagne anti-herbe a envahi la presse sensationnaliste et s’impatiente de s’en prendre au 7e art. Dès 1933, commencent à s’enchaîner des productions qui font de la marijuana une substance absolument démoniaque. C’est dans ce contexte qu’une communauté religieuse chrétienne commande au réalisateur Louis J. Gasnier, l’aujourd’hui culte Reefer Madness (Stupéfiants dans sa version française), qui, initialement, était destiné à être projeté dans les écoles. Dans Reefer Madness, une bande d’adolescents rencontre un dealer de cannabis qui, tour à tour, leur fait fumer leur premier joint. Les conséquences sont atroces et inimaginables : un premier renverse un piéton et, rongé par la culpabilité, perd totalement les pédales pour finir neurasthénique dans un asile de fous ; une autre manque de se faire violer avant d’être accidentellement abattue par son copain, qui est en pleine hallucination ; un autre encore, bat à mort le dealer avec une matraque, pendant qu’une dernière est traversée par une crise de rires spasmodiques et incontrôlables, avant de se jeter par la fenêtre à cause d’un adultère. Voilà de quoi vous faire une petite idée de l’ambiance du film et du pouvoir extraordinaire que donnèrent les scénaristes d’Hollywood, probablement défoncés et en pleine crise de paranoïa, au cannabis. D’ailleurs, dans les années 1970, le film a paru tellement excessif qu’il en est devenu culte. Il est entré dans les classiques des midnight movies, aux côtés de films comme El Topo d’Alejandro Jodorowsky (1970) ou Eraserhead de David Lynch (1977).

Militantisme : 0/5
Degré de yeux rouges : 5/5
Impact sociétal : 5/5
Qualité cinématographique : 1/5

 

Easy Rider (1969), ou comment les hippies firent souffler un vent nouveau et capiteux, mais aussi diablement rentable sur le cinéma

Dans une ville comme Los Angeles, à la fin des années 1960, être sous influence du mouvement hippie n’a rien d’exceptionnel, et il faut imaginer que des mecs comme des agents immobiliers pratiquent le Yoga Hatha, mènent une vie sexuelle délurée et sont fascinés par des notions telles que les vies antérieures ou le voyage astral. Pourtant, sur les écrans, rien de nouveau : défoncé, tard dans la nuit, toujours les mêmes westerns avec John Wayne ou les commissaires délavés de Felony Squad. Ainsi, la sortie du film Easy Rider intervient comme un véritable réalignement des planètes entre Hollywood et ses spectateurs ; un vrai petit miracle. Pourtant, l’idée est simple : Dennis Hopper, acteur encore partiellement célèbre et longtemps banni des studios, reçoit un coup de fil de Peter Fonda lui proposant de « faire un road trip avec deux mecs, des motos, du sexe, de la came et des bouseux en pick-up qui les flinguent ». Pour une somme dérisoire, le fils du patron de Colombia Pictures les produit. Le tournage sera chaotique ; le scénario n’est que partiellement écrit, car leur script doctor s’est fait la malle ; Dennis Hopper, qui vient de se faire larguer par sa femme, est tout le temps défoncé et n’arrête pas d’insulter les techniciens ; presque toutes les scènes sont improvisées ; et, qui plus est, Jack Nicholson est le seul interprète à connaître ses lignes. Pourtant, à la fin du tournage, ils sont convaincus du chef-d’œuvre. À Cannes, le film est un franc succès et, malgré un accueil mitigé de la critique américaine, Easy Rider explose au box-office et devient l’un des films les plus rentables de l’histoire du cinéma. Pour la première fois sur la toile, la marijuana est représentée comme un moyen de subvertir le regard, d’ouvrir de nouvelles perceptions ; elle n’est plus seulement dangereuse mais émancipatrice, créatrice d’un trip existentiel, permettant au montage toutes les audaces formelles et sensibles. Easy Rider deviendra le film culte d’une génération.

Militantisme : 4/5
Degré de yeux rouges : 5/5
Impact sociétal : 5/5
Qualité cinématographique : 4/5

Taking Off (1971), ou comment administrer une leçon de fumage de joint à des parents inquiets

Forts du succès d’Easy Rider, les producteurs d’Hollywood abandonnent studios et films à gros budget, pour récupérer de jeunes réalisateurs subversifs. Parmi eux, Milos Forman : enfant terrible de la nouvelle vague tchèque, fraîchement arrivé aux États-Unis, après avoir échappé à la sanglante répression du Printemps de Prague, en 1968. Il a déjà réalisé trois films aux narrations novatrices et aux tons irrévérencieux. Taking Off est son premier film américain. Le tournage commence l’été 1970 à New York : casting sauvage, budget minimum, aucune vedette, aucune barrière, ni coiffeur, ni maquilleur, ni loge, ni caravane. On y suit Jeannie, quinze ans, qui a fugué de chez ses parents pour vivre avec un chanteur hippie, puis ceux-ci, partant à sa recherche et arpentant les rues du New York baba cool en costard trois-pièces et tailleur Chanel. S’enchaînent les ballades folks et les scènes cocasses et satyriques jusqu’à l’instant paroxystique où un groupe de darons se fait administrer une leçon de fumage de joint en bonne et due forme. Avec Easy Rider, Taking Off posera les premières pierres du nouvel Hollywood. Cette génération de réalisateurs américains inspirés par la Nouvelle Vague et le néoréalisme italien, réalisera une succession de films révolutionnaires, de M.A.S.H. de Altman à Conversation secrète de Coppola, en passant par Taxi Driver de Scorsese, qui décrasseront la représentation de la société américaine, tout en faisant la joie des gros studios, car ils coûtent si peu à produire et rapportent tellement. Peu à peu, le discours de ces jeunes réalisateurs s’estompera, digéré par les géants comme la Warner ou la Fox, et la fumée du joint disparaîtra emporté par les vents glacés de l’échec de 68, Nixon, Giscard ou encore la Manson family, avant que le spectateur ne se réveille définitivement pour le bad trip que vont être les années 1980.

Militantisme : 3/5
Degré de yeux rouges : 4/5
Impact sociétal : 4/5
Qualité cinématographique : 4/5

 

Midnight Express (1978), ou comment traumatiser une génération d’adolescents à propos du cannabis

Dix ans ont passé depuis la folle équipée de Dennis Hopper : la fin d’un rêve, d’une parenthèse enchantée. Nixon est passé par là, les punks chantent « No Future », les soixante-huitards dépriment, et les derniers terroristes du flower power vivent planqués comme des cafards. Le pire sera encore à venir : Reagan, les golden boys et leurs décapotables, et le durcissement des peines requises dans les tribunaux… La « War on Drugs » carbure à plein régime et, au même titre que l’héroïne, le cannabis a été désigné comme ennemi public numéro un des États-Unis. C’est dans ce climat global que le réalisateur britannique Alan Parker décide d’adapter le témoignage de William Hayes ; jeune Américain qui a bien failli passer trente années dans une prison turque pour avoir tenté de sortir du pays avec deux kilos de cannabis, avant de parvenir à s’évader dans des circonstances qui sont restées jusqu’à aujourd’hui assez floues (à la nage, en barque, avec ou sans l’aide de la CIA…). Le scénario est confié au tout débutant Oliver Stone qui, on le sait maintenant, n’allait pas toujours faire dans la dentelle. De la surdramatisation du script allait naître une image mensongère mais saisissante de la Turquie, que Stone et Hayes désavoueront eux-mêmes plus tard. La prison a des allures dantesques, remplie de cavernes et de tunnels parallèles ; la plupart des Turcs portent des fez, ce qui revient à peu près à mettre des hauts-de-forme à des Français des années 1970 ; les gardiens sont d’une très grande cruauté, souvent huilés et toujours adeptes du viol. Autant de clichés racistes qui allaient pour longtemps collés à la peau des Turcs, si bien que le film, là-bas, sera interdit jusqu’en 1993. Pour autant, avec sa B.O. géniale et novatrice signée Giorgio Moroder et sa grande puissance tragique et existentielle, le film allait marquer tout l’inconscient collectif d’une génération ; étrange avertissement subliminal des châtiments terribles que peuvent attendre des adolescents boutonneux au moment de fumer leur premier joint.

Militantisme : 3/5
Degré de yeux rouges : 4/5 
Impact sociétal : 4/5
Qualité cinématographique : 4/5

Friday (1995), ou comment la black exploitation lança l’inépuisable filon des stoner movies et redora l’image de la marijuana

Après le vide qu’ont représenté les années 1980, le cannabis fait un retour en force au cinéma dans les années 1990. Clinton vient d’être élu ; la loi s’est assouplie et, d’ici un an, la Californie va être le premier État à légaliser l’herbe. À la même période, le hip-hop prend une telle ampleur que certains rappeurs deviennent d’énormes personnalités médiatiques et passent régulièrement au cinéma. C’est le cas d’Ice Cube, membre fondateur de N.W.A. qui a déjà tourné dans Boyz n the Hood – un des premiers drames où l’on dépeint frontalement la violence des ghettos (le film inspirera largement La Haine de Kassovitz, en 1995). Ice Cube veut remettre le couvert mais, cette fois, avec un film de sa propre initiative. Il veut faire une chronique de Compton, par-delà l’image parfois éculée et sensationnaliste de la violence des gangs ; ce sera une comédie, un stoner movie. Le pitch est simple et deviendra un classique inépuisable : deux hédonistes (ici, Ice Cube et le plus tard célèbre Chris Tucker) dont l’un (Ice Cube) vient de se faire virer, passent l’après-midi ensemble à fumer des joints dans leur canapé. Ajoutez à cela un élément perturbateur (ce pourrait être une bande de nazis super méchants qui vous prennent pour un autre, ou une grosse dalle avec un fast-food comme une quête du graal, ou bien d’être carrément pris en chasse par des psychopathes du KGB…), les deux buddies doivent 200 balles à un dealer avec une coupe de cheveux inquiétante qui les menacent de les abattre de deux balles dans la tête s’ils ne le remboursent pas d’ici demain. Suivra une succession de rencontres hallucinée dans le ghetto, drôles, souvent tendres, toujours édifiantes ; faisant du film un portrait loufoque mais sensible du South Los Angeles. Pour la première fois, le cannabis est représenté au cinéma sans inquiétude, avec une vraie légèreté. Friday ouvrira la voie à des dizaines et dizaines d’autres stoner movies.

Militantisme : 4/5
Degré de yeux rouges : 5/5 
Impact sociétal : 4/5
Qualité cinématographique : 4/5

 

 

The Big Lebowski (1998), ou comment les Coen firent un crochet par la comédie cannabique

En 1998, la réputation des deux frères n’est plus à faire : depuis Blood Simple (Sang pour sang, 1984), ils ont multiplié les prouesses cinématographiques, entre thrillers implacables et comédies macabres, créant une vision inédite des US, peuplés de loosers magnifiques évoluant dans des trames cauchemardesques et kafkaïennes, jusqu’à remporter la Palme d’or en 1991, avec l’hollywoodien et introspectif Barton Fink. Depuis quelques années et leur rencontre décisive avec Jeff Dowd (producteur nébuleux de L.A., ex-militant anti-Vietnam War qui, dans les années 1960, purgea une petite peine de taule pour ses exploits en manifs), les Coen mûrissent les aventures d’un alter ego de celui-ci, à la différence qu’il ne pratique pas le softball mais le bowling – sport encore largement plus épicurien. Pour l’incarner, ils choisiront Jeff Bridges qui semble avoir été le Dude toute sa vie. Ce personnage culte prendra forme à coups de détails savoureux ; à commencer par ce peignoir trop petit dans lequel il se trimballe partout, son énorme consommation de joints roulés à la marocaine, son obsession pour les White Russian et ses habitudes dans un fameux club de bowling où il retrouvera, tout le long du film, une galerie d’énergumènes hilarants, dont son meilleur ami, Walter Sobchak – synthèse entre un hippie et un fan d’armes à feu. Mais, rapidement, sa dolce vita va se retrouver bouleversée par un quiproquo aux allures de complot qui a tout d’un bon coup de paranoïa, à la suite d’une consommation excessive, rassemblant des néonazis accompagnés d’un furet mangeur de couilles, une artiste juchée sur une balançoire faisant une action painting à l’accent particulièrement vaginal, ou encore un magnat philanthrope et lugubre à la recherche de sa toute jeune deuxième femme dont les ravisseurs semblent avoir coupé un gros orteil qu’elle venait d’avoir soigneusement verni. Ce stoner movie des Coen, aux accents assumés de roman de Chandler, est devenu tellement mythique qu’une religion vénérant le Dude et son mode de vie a été créée : le Dudéisme.

Militantisme : 1/5
Degré de yeux rouges : 5/5 
Impact sociétal : 4/5
Qualité cinématographique : 5/5

 

Pineapple Express (2008), ou comment le stoner movie devint aussi pop qu’une paire de Converse

Près de la moitié des États d’Amérique ont légalisé le cannabis ; le capitalisme s’est finalement rendu compte que la verte était plus que rentable. En France, la loi s’est en partie assouplie, et fumer un joint n’est plus seulement réservé aux jeunes babas cool ou aux vieux marginaux. La plupart des ados consomment entre les cours, et des darons coincés fument leur petit « pétou » comme on dégusterait un verre de bourgogne. C’est dans ce contexte que débarque Pineapple Express (Délire Express dans sa version française), énième stoner movie depuis que le genre a complètement explosé à la fin des années 1990, début des années 2000. Pourtant, Pineapple Express marquera les esprits comme un grand cru. Seth Rogen y joue un jeune huissier branleur, fumant joint sur joint, maqué à une meuf encore au lycée, meilleur ami avec son dealer attitré, joué par l’éternel des stoner movies : James Franco. Tout roule, jusqu’au jour où Dale Denton (Seth Rogen), après être allé pécho la fameuse « Pineapple Express » (variété de cannabis aux effets particulièrement considérables), est témoin, alors qu’il s’apprête à faire une saisie, d’un meurtre commis par un gangster et un flic corrompu. Il est repéré et, prenant la fuite, laisse derrière lui un joint de la fameuse variété. Il se réfugie chez son dealer, mais les deux assassins, grâce au pétard, les prennent facilement en filature. Commence alors une course-poursuite hilarante et baroque où les deux meilleurs amis découvriront leurs multiples talents cachés et la force de la relation qui les unit. Aux États-Unis, le film a eu un tel succès qu’il a détrôné au box-office le dernier Batman.

Militantisme : 1/5
Degré de yeux rouges : 5/5 
Impact sociétal : 4/5
Qualité cinématographique : 5/5

Inherent Vice (2013), ou comment finir cette liste par un ultime trip karmique

Adapté du roman éponyme de Thomas Pynchon, grand manitou de la littérature postmoderne américaine à la prose particulièrement déliée et psychédélique, le film de Paul Thomas Anderson a des allures de labyrinthe dans lequel il serait bon de se perdre. L.A., années 1970 : Doc Sportello, détective à gros charisme, incarné par Joaquin Phoenix, fume joint sur joint et nage dans les eaux troubles d’un mauvais complot karmique avec une détente désarmante. Le cannabis donne à Sportello une sorte de sixième sens, et la trame avance, hallucinée, toujours à la lisière entre paranoïa et extrême lucidité. Pour les besoins de l’enquête (dont le raisonnement logique nous échappe toujours, même après trois visionnages) se succède une galerie de personnages étranges et exubérants, comme des apparitions dans le brouillard des fumées d’un rêve ou d’un cabinet d’opiomane : magnat juif de l’immobilier adhérant aux fraternités ariennes, masseuse thaïe au talent de détective, dentiste cocaïnomane, membre d’un consortium qui vend de l’héroïne, flics à la John Wayne (ultrasensible mais nixonien), et ex-petite amie entêtante aussi lointaine et impalpable que les nuages… Une fois terminé, le film nous laisse le sentiment étonnant d’un ensemble diablement logique, mais aussi mystérieux qu’une suite d’idées après avoir trop tiré sur un joint. Comme certains chemins qu’empruntent les films de David Lynch, ces scènes désaccordées semblent davantage s’accorder comme des corps que des idées : le sensible l’emporte sur la logique, l’intuition sur la déduction, la matière sur la structure, et ainsi cet ensemble paraît au spectateur incroyablement organique. Bref, rarement un film aura aussi bien restitué l’impression d’être défoncé et rarement le cannabis nous aura paru aussi poétique.

Militantisme : 4/5
Degré de yeux rouges : 5/5 
Impact sociétal : 1/5
Qualité cinématographique : 5/5

 

Par Bartholomé Martin

Le cannabis au secours des dépendants aux opioïdes?

Une étude pilote menée au Canada explore l’usage du cannabis pour accompagner les patients en traitement contre la dépendance aux opioïdes* Les résultats sont prometteurs, mais des freins subsistent.

 

Peut-on utiliser le cannabis médical pour aider les personnes qui luttent contre la dépendance à d’autres substances ? C’est la question à laquelle ont tenté de répondre des chercheurs en menant une étude pilote, récemment publiée dans le Journal of Studies on Alcohol and Drugs. Menée à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC Okanagan) et de la Thompson Rivers University, l’étude a cherché à mieux comprendre comment patients et personnel vivent l’usage encadré du cannabis thérapeutique dans un centre de désintoxication.
L’étude s’est concentrée sur le centre Maverick Supportive Recovery, situé en Colombie-Britannique, au Canada. Ce type de centre propose un hébergement structuré où les patients admis en désintoxication pour des problèmes d’addiction aux opioïdes reçoivent des soins et un accompagnement en milieu hospitalier.

Aide au sevrage 

Les participants à l’étude rapportent que l’usage de cannabis thérapeutique durant le sevrage les aidait à mieux supporter des douleurs chroniques, à gérer anxiété et dépression ainsi que de les aider à trouver le sommeil — des symptômes très marqués pendant un processus de désintoxication.
Autre effet relevé et pas des moindres : une diminution de l’envie de replonger dans les opioïdes, avec à la clé une santé mentale globalement améliorée.
Pour le professeur Zach Walsh, psychologue et co-responsable de la recherche, ces premiers résultats sont porteurs d’espoir : « Nos observations montrent que le cannabis médical pourrait réellement aider à réduire les envies et favoriser la poursuite des traitements. Les participants ont clairement souligné des bénéfices, aussi bien physiques que psychologiques. »

Stigmatisation et formation

Pour autant, l’étude pointe un frein majeur : la stigmatisation qui entoure encore l’usage du cannabis. Les entretiens réalisés avec le personnel du centre révèlent un besoin urgent de mieux former les équipes et d’intégrer plus clairement le cannabis à visée thérapeutique dans les protocoles de soins.
Pour la professeure Florriann Fehr, co-auteure de l’étude et interrogée par Cannabis health news « Réduire la stigmatisation grâce à une formation ciblée des professionnels est crucial. Le scepticisme de certains vient surtout d’une méconnaissance du cannabis en tant que véritable traitement médical. Cela ouvre la voie à des améliorations importantes dans la prise en charge des patients. » 

Des résultats à confirmer

Même si ces résultats sont encourageants et corroborent nombre de témoignages recueillis ces dernières années (20 % des patients en traitement de substitution d’opioïdes disent utiliser du cannabis pour soulager les symptômes de manque lors du sevrage d’opioïdes**), les chercheurs appellent à la prudence. Des études plus larges seront nécessaires pour confirmer ces observations et évaluer précisément les avantages et les risques liés à l’usage du cannabis médical dans les programmes de désintoxication.
Cette étude a été financée par la Interior Universities Research Coalition et le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique. La professeure Fehr doit présenter les résultats de ces travaux en juin au Congrès du Conseil international des infirmières, à Helsinki. 
En France, le cannabis thérapeutique fait toujours l’objet d’une expérimentation pilotée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) depuis 2021. À ce jour, il reste très peu accessible ( seul 2300 patients en bénéficient, pour quelques 300 000 français pour qui le cannabis à visée médical serait une efficace alternative aux traitements conventionnels, addictifs et lourds d’effets secondaires***).

*Les opioïdes sont une classe de drogue extrêmement addictives (heroïne, morphine, fentanyle, tramadol), responsables de 70 000 décès par overdose aux Etats-Unis en 2024.
**source : Santé Canada
*** Les traitements que le cannabis thérapeutique pourrait remplacer sont les opioïdes, les benzodiazépines ou encore les somnifères hypnotiques, tous trois extrêmement addictifs physiquement).
ZEWEED avec Cannabis health news

Chilly Gonzales : l’interview ganja-pantoufles

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Maestro troll en peignoir, le franco-canadien Chilly Gonzales jongle entre génie provoc’, entertainer d’avant-garde et pianiste sérieux avec une désarmante aisance. Olivier Cachin l’a rencontré pour parler de sa weed sacrée, des rappeurs, des vrais musiciens’ et son dernier album Gonzo.

Il est canadien, mais la France l’a adopté. Entertainer « déglingo », Jason Beck, le « gonzo » du piano, mieux connu sous le nom de Chilly Gonzales, s’est découvert une passion pour le rap français qui l’a mené à enregistrer, en 2023, l’album French Kiss avec, en featuring, Teki Latex et Bonnie Banane, mais aussi Arielle Dombasle et Richard Clayderman (vous avez bien lu). Une addition notable à une discographie foutraque, qui va de la relecture du classique techno minimal de Plastikman, Consumed, à une participation au dernier album de Daft Punk (deux titres sur Random Access Memories) en passant par quelques disques au piano solo et un album chic, Room 29 (2017), en duo avec Jarvis Cocker chez Deutsche Grammophon. Sur Gonzo, son dernier projet, il compare Kanye West à Richard Wagner (« Fuck Wagner ») et invite le rappeur de Detroit, Bruiser Wolf (« Open The Kimono »), sur des productions signées Renaud Letang. Bref, un homme de goût qui cause sans filtre. La preuve dans cette interview, en français dans le texte.

ZEWEED : Comment définir Chilly Gonzales ?
Chilly Gonzales  : C’est écrit sur mon bio Instagram : « Composing entertainer ». Composing, c’est mon côté bon élève, la quête de la maîtrise et, en même temps, entertainer, qui accepte de vivre dans un système capitaliste – qui marche de moins en moins d’ailleurs.

Avec la généralisation de l’électronique et des machines, on parle désormais de « vrais musiciens ». Il y en a des faux ?
Je crois que les rappeurs et les beatmakers sont vraiment les musiciens de notre époque ; c’est plutôt moi qui suis démodé dans mon choix d’instruments, mais ça ne change pas le fait que j’ai envie de vivre sur ce terrain de jeu. Je passe mon temps à collaborer avec des rappeurs de plusieurs générations. Les séances sont pleines de joie et de spontanéité, ça rejoint ma définition de ce que doit être la musique. J’ai l’impression que je plais énormément aux dieux de la Musique et de la Créativité en travaillant comme ça. Les rares fois où je me retrouve en studio avec un vieux chanteur de rock, je suis étonné par son côté rabat-joie, sérieux, prétentieux. S’il y en a qui veulent snober les rappeurs et les beatmakers en disant que ce ne sont pas des vrais musiciens, c’est plutôt l’inverse. Ma génération qui joue classique, jazz et pop, ce sont eux les « faux musiciens » de notre époque ; ils sont démodés dans plein de sens.

Dans « Gangstavour », sur ton album French Kiss, tu dis qu’Aznavour était presque sourd…
Ce sont des faits et, pour moi, c’est un morceau hommage. Je le vois comme un rappeur qui sort des punchlines ludiques et très liées à un caractère fort, à un certain ego démesuré et assumé : «Quand il est arrivé au studio la première fois / Il a dit : “Mais y’a pas d’ascenseur ici ? J’ai un ascenseur chez moi.” / Il chantait pour sa petite-fille si tendrement / Je n’oublierai jamais les paroles de son chant : “C’est que pour toi que grand-papa chante gratuitement”. » Ce qui me dérange, c’est l’hypocrisie, les gens qui veulent se montrer comme des faux généreux, modestes, gentils. Les artistes ont ces qualités, bien sûr, mais aussi des trucs qui sont moins flatteurs. Aznavour, au moins il était cash sur ses motivations. J’ai passé du temps avec lui ; je ne pense pas qu’il aurait renié le fait qu’on lui dise qu’il est radin ou compétiteur, qu’il veut dominer les autres chanteurs de sa génération. Et, en même temps, j’imagine qu’il n’était pas comme ça tout le temps. Les gens sont complexes. Être quasiment sourd et faire un album à quatre-vingts ans, ça veut dire qu’il a pris le dessus sur ses problèmes de surdité et qu’il a réussi à être un grand monsieur de la musique jusqu’à ses derniers jours ; moi, c’est respect total ! Quand je joue le morceau sur un plateau télé à « C à vous » à côté de quelqu’un comme Fabrice Luchini, c’est plutôt lui avec qui j’ai eu un clash, parce qu’il avait mal compris l’attitude. Il est connu dans le milieu comme quelqu’un de complexe qui aime beaucoup s’entendre parler. Je n’ai pas de problème avec ça, je suis comme ça aussi, mais lui n’assume pas ; il fait semblant d’être modeste et gentil, ce qu’il n’est pas.

« Les rares fois où je me retrouve en studio avec un vieux chanteur de rock, je suis étonné par son côté rabat-joie, sérieux, prétentieux »

En pantoufles et peignoir avec l’orchestre philharmonique, c’est de la provocation ou de l’entertainment?
C’est un peu tout, c’est un côté positif et chaleureux : vous êtes au Philharmonique de Paris, mais vous êtes aussi chez moi. Et ça n’est pas un peignoir comme dans un spa pour sortir de la piscine, c’est un truc de gentleman, quand même. Il y a un côté pratique aussi : je le mets et, tout de suite, ça fait de moi Chilly Gonzales sans que j’aie à faire beaucoup de maquillage ; c’est presque instantané. Ça me transforme.

Quand un artiste belge a du succès, il est souvent considéré comme français. Est-ce la même chose pour les artistes canadiens aux États-Unis ?

On a l’impression qu’au moment où certains Canadiens ont réussi à avoir du succès aux States, ils voulaient renier leur côté canadien, ils en parlaient très peu, ils se disaient que ça n’allait pas les aider. Drake a fait la stratégie inverse : il a fait d’une ville à l’image très fade, Toronto, une ville citée dans des couplets de rappeurs. Il a fait que Toronto s’est rajoutée à New York, Los Angeles, Miami, Atlanta, Houston et plein d’autres villes. Un artiste qui arrive à changer cette image, c’est un accomplissement. Moi, j’ai été adopté par les Français et les Allemands. Ça n’a pas autant marché en Angleterre, au Canada ou au Japon, même si j’y vais de temps en temps, mais c’est vraiment en France que je me sens très compris et que je rentre en relation avec mes auditeurs de manière profonde. Je me sens franco-allemand plus que canadien, finalement.

Au Canada, c’est OK pour le cannabis…
En Allemagne aussi ! La différence entre le Canada et l’Allemagne, c’est qu’au Canada, ils ont été assez malins pour rentrer dans le jeu financièrement et récupérer des vrais millions de dollars canadiens pour justifier ce truc auprès du public, et montrer qu’il y aurait des bénéfices au niveau de l’infrastructure policière et criminelle, mais aussi qu’il n’y aurait pas forcément un gros problème au niveau de la santé de la population. En Allemagne, ils n’ont que les arguments de salubrité publique. Ce qui est étonnant pour ceux qui sont de grands consommateurs de cannabis comme moi depuis très longtemps, c’est que ça ne change pas grand-chose finalement. En France, le CBD est légal mais je crois que le pire, c’est l’Angleterre : on peut vraiment aller en prison pour une journée si on a un peu de cannabis sur soi. Des pays comme le Canada ou l’Allemagne ouvrent la voie à d’autres, mais j’en veux aux Allemands de ne pas en profiter financièrement, parce que ça aurait pu faire un bon argument pour la France, par exemple, qui a des problèmes de déficit. Et puis certains partis politiques qui veulent attirer les jeunes, qui pour l’instant vont vers la droite et l’extrême droite, pourraient en profiter – on verra.

« C’est le seul vice que j’ai, je ne bois pas d’alcool et je ne fais pas les drogues dures, mais j’ai passé une grande partie de ma vie avec le cannabis »

Au Canada, c’est grâce au capitalisme que la légalisation a eu lieu.
Oui, d’ailleurs même le conservateur qui va sans doute remplacer Justin Trudeau bientôt a dit qu’il n’allait pas changer la loi.

On retrouve le sujet dans pas mal de vos textes : «J’allume un joint ou deux peut-être », « Je fume du cannabis, c’est mon somnifère », « Je ris comme Erik Satie fumant de la Sativa ».
 Dans mes albums en anglais aussi, toutes les deux ou trois chansons, il y a une référence à ça. C’est le seul vice que j’ai, je ne bois pas d’alcool et je ne fais pas les drogues dures, mais j’ai passé une grande partie de ma vie avec le cannabis. C’est la drogue, je crois, qui se prête le plus à faire de la musique, à l’exception des chanteurs qui ont parfois besoin d’alcool pour aller sur scène. Mais, pour tous les musiciens, techniciens, beatmakers et mixeurs, c’est quasiment un sacrement. Je fais aussi beaucoup de rimes sur ma façon vestimentaire, parce que parler de comment on s’habille, c’est une grande tradition dans le rap. Je parle de ma moustache : «C’est ton chouchou Chilly Gonzo, moustache de gigolo comme dans un film porno» ; c’est des rimes à trois syllabes – j’en fais beaucoup : « Il me reste des millions de joints à fumer, / Mon futur et mes mains sont assurés, / Amuseur assumé, ton public s’endort assommé. »

La weed, c’est pour la création ou la récréation ?
Il n’y a pas de différence pour moi. Quand je fais de la musique, je vais dans un état d’exubérance, même si je joue un morceau plutôt introspectif et mélancolique. Je prends l’exubérance dans ma mélancolie, dans chaque émotion que j’incarne. Et la weed enlève le filtre qui peut mettre certains doutes, ou une certaine intellectualisation, et ça me permet d’aller plus loin dans les idées de manière plus instinctive. Bon, après ça part en couille comme avec Luchini. No filter. Moi, j’ai toujours été comme ça, dès les années 2000, on m’appelait un troll avant que je sache ce qu’était un troll (il prononce « traule », NDLR et MDR). Avant les réseaux sociaux, je voulais provoquer les gens. Ce qu’on veut, c’est créer des situations inédites sur scène, en studio et dans les interviews.

Finalement, tu es un entertainer d’avant-garde.
L’avant-gardisme, pour moi, c’est compris dans le mot « entertainer». C’est mon job de rendre ma musique accessible aux gens qui ont le potentiel de la comprendre. Je sais au fond de moi, que le confort, c’est l’ennemi. Dans mes projets, je me mets des pièges exprès, je me manipule. Je joue avec une seule main, avec un instrument que je ne connais pas, avec un clavier cassé dont la moitié des notes font des bruits bizarres. Pour avoir l’œil du tigre dans ce que je fais sur scène. C’est la vie d’un grand monsieur de la musique que je suis.

Propos recueillis par Olivier Cachin

Album Gonzo disponible chez Gentle Threat

 

Camille Bazbaz : Radical Feeling

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Ça démarre fort pour Camille Bazbaz, qui a vingt-deux ans quand il fait ses débuts discographiques au sein du Cri de la mouche, groupe « punkoïde » signé sur le label de Michel Sardou. La suite ? Une dizaine d’albums entre Paris et Kingston avec des musiciens devenus des amis, comme Winston McAnuff, cinq B.O. pour son « poto » Pierre Salvadori et, aujourd’hui, l’aboutissement d’un projet de quinze ans : The Salmon, enregistré avec Tchiky, alias Jérôme Perez, et le chanteur Kiddus I – inoubliable interprète de « Graduation In Zion » dans le film de Theodoros Bafaloukos, Rockers (1978). C’est chez moi qu’il s’est livré et prêté au jeu de la divine interview.

Propos recueillis par Olivier Cachin

ZEWEED : Cinq mots pour te définir ?
Camille Bazbaz : Douceur, colère, amour, reggae, punk-rock.

Trois lieux qui te définissent ?
Paris, Brest, Kingston.

Cinq albums à emporter au Paradis
- J. J. Cale, Troubadour
- Gregory Isaacs, Cool Ruler
- Erik Satie, Gnossiennes
- John Barry, le générique de The Persuaders (Amicalement Vôtre)
- Serge Gainsbourg, Mauvaises Nouvelles des étoiles

Plutôt paradis céleste ou artificiel ?
Ni l’un ni l’autre. L’enfer est sur Terre, c’est ma certitude. Je ne suis pas obsédé par les défonces non plus, ni par l’idée d’un meilleur ailleurs. J’aime bien la vie sur Terre : même si c’est difficile, c’est ici que ça se règle. Je ne crois pas à l’au-delà.

Crédits : Sathy Ngouane

Une journée au paradis de Bazbaz, ça serait quoi?
C’est écrire une chanson, faire de la musique avec les gens que j’aime, boire un coup au comptoir avec mes potes ou me réveiller le matin avec ma chienne, quand j’en ai une, c’est ça mon paradis. Je n’ai pas de fantasme de groupe idéal comme Yarol, je n’ai jamais eu de poster de rock star chez moi, même si j’aime Gregory Isaacs, Jim Morrison, Sly Dunbar, John Bonham. La musique, c’est un peu comme faire l’amour sans se toucher : il y a une intimité partagée. Je m’en fous de Jimi Hendrix et des rock stars, je les aime et je les emmerde.

Ta source préférée de paradis artificiel ?
L’herbe et le whisky.

Quels souvenirs gardes-tu du Cri de la mouche ?
Ma première et plus grande histoire d’amour. J’étais un ado plein de boutons, si je n’avais pas rencontré cette bande de mecs au lycée, je ne suis pas sûr que j’aurais fait de la musique. Dans cette bande de mecs avec qui je traînais depuis la sixième, il y avait le génial Thomas Kuhn ; le chanteur qui, malheureusement, est mort à trente piges. Faire le Belmondo à seize ans, escalader les grues pour impressionner les meufs et les débiles dont je faisais partie, OK, mais avec dix ans de rock’n’roll et d’excès dans la gueule, et peut-être plus… Moi, derrière, qui essaie de le rattraper : « Non, tu ne sauteras pas du Pont-Neuf. Non, tu ne monteras pas sur cette moto bourré »… C’est un peu pour ça que je me suis barré du groupe ; moi, j’avais envie de vivre.

Ton premier album, Dubadelik, est influencé par le reggae…
Les Clash, les Pistols, tous les groupes anglais étaient copains avec les rastas londoniens. Ce sont eux qui m’ont amené au reggae. Mes parents écoutaient « Could You Be Loved » de Bob Marley ; pour moi, c’était un peu du disco débile. À quinze ans j’écoutais The Cure et les Clash, je n’aimais pas le funky à la Kool & The Gang. C’est « Police and Thieves », version Clash, qui a tout déclenché. Je tombe sur l’original de Junior Murvin et je me prends une baffe. Pas du tout le reggae de Marley ! J’ai découvert LKJ parce que j’avais vu une photo, dans Rock & Folk, de Sid Vicious avec un badge de LKJ. Je pensais que c’était un truc antifasciste. Il avait son tee-shirt avec la croix gammée cassée, super provoc’. Je finis donc par écouter Linton Kwesi Johnson et ça me retourne. Je me dis qu’il n’y a pas que la puissance de la guitare, il y a aussi la violence de la basse. Les Jamaïcains ont mis leur hargne dans la basse et le riddim minimal.

Tu as fait cinq B.O. pour les films de Pierre Salvadori.
Ça a commencé très pro avec un message du producteur sur mon répondeur : « Bonjour, M. Pierre Salvadori aimerait beaucoup vous rencontrer et pourquoi pas travailler sur la musique de son film. » En plus, je venais de voir Les Apprentis (1995) ; j’avais l’impression qu’il racontait ma vie ! On se rencontre et on devient potes instantanément. On a passé une après-m à parler de tout sauf du film. Sex Pistols, Tina Turner, Creedence, Jim Morrison… La musique, c’est un passeport, un langage. Et il m’a fait confiance. La musique de film, c’est hyper différent : tu as un cadre, un boss. J’adore me mettre au service des autres.

« Winston McAnuff est un gros smoker. Il ne boit pas, il ne prend pas de drogues dures, il a soixante-sept ans et il fume comme des petits-bourgeois prennent du Xanax »

Tu as aussi travaillé avec un musicien jamaïcain, Winston McAnuff, avec qui tu as notamement joué à la Bob Marley tribute party, organisé par ZEWEED au NoPi en mars dernier.
Bosser avec Winston m’a appris que le reggae est une musique punk, proche du rock’n’roll. Winston me disait : « Quand tu joues ta note, ta caisse claire, imagine que tu es à la chasse au canard. Tu prends ton fusil. » Moi, je voyais Elmer Fudd et Daffy Duck dans les dessins animés. « You want to shoot the bird, shoot BEFORE ! » C’est avant, parce que le temps que ton cerveau donne l’ordre à ton bras, c’est déjà trop tard. C’est génial. Des petites phrases Carambar dub mais, en vrai, ce sont des choses que j’applique toujours. Winston est  un gros smoker. Il ne boit pas, il ne prend pas de drogues dures, il a soixante-sept ans et il fume comme des petits-bourgeois prennent du Xanax. C’est pas un junkie psychopathe sous Fentanyl !

Crédits : Thomas Boujut

Raconte-nous ta rencontre avec Winston.
Le jour où il vient en studio, je prépare un reggae comme un con, parce qu’il est jamaïcain. Il écoute et il me dit que c’est de la merde. Je ne savais pas tuer l’oiseau, j’avais oublié mes années punk. Je le ramène à son hôtel, on se dit à peine au revoir, je me dis que c’est un gros con, je retourne chez « oim », je raconte ça à ma chérie et elle me dit : « Mais tu ne lui as pas fait écouter tes trucs à toi ? » À l’époque, je maquettais mon album Sur le bout de la langue (2004) qui a cartonné. Elle me dit que je suis un con, la nuit passe et je me réveille en me disant qu’elle a raison en fait. Je rappelle Winston, je lui propose de venir écouter d’autres trucs. Et là, il kiffe. Il me dit : « Enlève ta voix, j’ai une idée. » Ce qui aurait vexé des grands chanteurs de variétés, mais moi, connaissant le modus reggae où ,avec un instru’, on peut faire 100 chansons, direct j’enlève ma voix sur deux-trois titres, on commence l’album A Drop (2005) et notre amitié est née. Winston m’a rappelé ce que disait ma grand-mère bretonne : « C’est pas à une Bigoudène qu’on apprend à faire des crêpes. » J’ai revu la tête de ma grand-mère Yvonne mélangée à celle de Winston, il avait trop raison, ce con !

« Lee Perry me demande ce que je fous là, je lui réponds que je suis venu voir si je pouvais lui pomper tous ses plans, il me regarde méchamment… et se marre »

C’était comment, ton premier trip à Kingston ?
Je déboule avec mon ingé son ; à l’aéroport, on attend nos valises qui n’arrivent pas. On va au comptoir Air Jamaica où il y a trois pin-up genre SAS trop sexy qui nous regardent à peine. On sort de l’aéroport, on dit à Winston que nos bagages sont perdus, il va au guichet, tape sur le comptoir, dit aux trois nanas : « Hey man ! » et règle l’histoire. Je passe quinze jours là-bas et quand je repars, je regarde par le hublot et je m’attends à voir Ricardo Montalban et Hervé Villechaize – le nain de L’Île fantastique ! C’était vrai tout ce qu’on a vécu ? Aller acheter du poulet à minuit avec U-Roy qui faisait la queue, Kiddus que je rencontre en studio le troisième jour et qui me saute dans les bras en me disant qu’on va aller acheter des bières à la station-service… Et il y avait un mec dans le studio planqué au fond, Winston me fait : « Tu veux rencontrer Lee Perry ? » Lee Perry est en mode Roland-Garros, comme s’il s’était enduit d’huile et jeté dans un bain de terre battue : il est rouge, sur un trône. Lee Perry me demande ce que je fous là, je lui réponds que je suis venu voir si je pouvais lui pomper tous ses plans, il me regarde méchamment… et se marre. Et tout était comme ça. J’avais une « beuh de ouf », la kiki ; je dormais avec, sous mon oreiller. J’y suis retourné avec Yarol [Poupaud, NDLR] ; je n’y suis jamais allé en touriste, toujours pour la musique.

Comment démarre l’aventure de The Salmon ?
Kiddus, je l’ai rencontré dans un bar à Belleville, en 2008. À force de discuter avec Winston qui savait que j’avais vu Rockers, il a déboulé avec Kiddus : « Tiens, je te présente ton chanteur préféré ! » Je suis en train de boire un café calva, à 11 heures ; il me demande ce que je bois, je lui en commande un, il goûte et trouve ça génial. On s’en enfile 10, on rigole. Punky reggae party ! On s’entend bien ; au bout de deux heures, on trace à mon studio, on commence à bosser. Et ça nous a pris quinze ans. On a enregistré, au fur et à mesure, The Salmon, il y a dix ans ; « Wiggling » il y a un an ; « The Long Road » il y a quinze ans, avec mon pote guitariste Jérôme « Tchiky » Perez, qui a fini par réaliser l’album et le mixer avec moi. Kiddus, on ne savait jamais quand il venait… C’est un tigre blanc ! Un jour, on avait un flûtiste en studio, un autre jour un violoncelliste ; trois ans plus tard, Pam Hall, la choriste de Peter Tosh, un tromboniste, deux percussionnistes dont Fabrice Colombani, alias Cubain, le bassiste des Roots Radics, des batteries de Sly Dunbar, Style Scott et Raphaël Chassin, le bordel total ! On doit être 27 sur l’album.

Kiddus I est une personnalité à part…
C’est un prince mais il est en haillons. À force de ne pas vouloir louvoyer dans le monde de Babylone en l’attaquant frontalement, voilà ce qui se passe. Il vit dans les collines à Kingston. Il déboule à Paris fin octobre pour deux mois. Les paroles de Kiddus sont géniales, on comprend ce qu’il dit, pas comme les nouveaux mecs du dancehall, ils ont perdu de la poésie. C’est pas rigolo le monde dans lequel ils vivent et, en même temps, le Trenchtown de Bob Marley, ça n’était pas mieux, même pire, mais il y écrivait « Three Little Birds ». Maintenant, les mecs te gueulent dessus, tu ne comprends même pas l’insulte ! Je fais mon vieux con, mais j’ai du mal. D’ailleurs, ils n’écoutent plus que du R & B de merde, limite Céline Dion.

Propos recueillis par Olivier Cachin

Album The Salmon chez 22D Music Group

Insta : @bazbazcamille

 

On a retrouvé la ganja de bob Marley!

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En 2014, un botaniste  s’est mis en tête en 2014 de ressusciter, à défaut de Marley, l’herbe que consommait en abondance le King of Reggae. Après cinq années d’intensives recherches en laboratoire, le docteur Emanuel Machel a réussi à recréer la Ganja Suprême, cette variété landrace dont les vertus créatrices étaient chantées par Bob, Lee Scratch Perry et Peter Tosh .

C’est avec de la bonne Ganja qu’on fait du bon Reggae” affirmait le regretté Bunny Wailer. Et avec de vieilles variétés qu’on produit la meilleure weed ? C’est en tous cas ce dont semble être persuadé le Dr. Emanuel Machel, de la West Indies Univesity (WIU) de Kingston. En 2014, ce Dominicain de souche, lui-même grand amateur d’herbe, s’est mis en tête de reproduire la “Supreme Ganja” ou « Lambsbread ». La variété disparue qui aurait été l’instrument indispensable à la composition de tous les albums des Wailers, aimait à raconter Bob Marley.

Docteur en botanique et dread locks

« Aujourd’hui, la Lambsbread est une variété qui a littéralement disparu de l’île », explique Emanuel Machel, 35 ans, dreadlocks dans le dos, doctorat « horticulture spécialisée adaptation des plantes au climat » en poche. Dans un jardin à ciel ouvert alloué par la WIU au sein du département de biologie, le rastafari en blouse blanche a gagné son pari : donner une seconde vie à la zeb’de Bob. Une 100%  sativa qu’il a pu faire renaître de ses cendres en remontant sa généalogie, de graines en graines, de récoltes en récoltes. Un travail de fourmi autant que d’explorateur : en quatre décennies, les descendants de la « Lambsbread » s’étaient répandus aux quatre coins des Caraïbes.

Les recherches du weed-doctor l’auront conduit en Guadeloupe, à Trinidad ou en Dominique, à la recherche de Rastas-cultivateurs, qui, reclus à l’abri de toute civilisation, continuaient à faire pousser des variétés proches de la « Lambsbread ». Machel se souvient d’une de ces expéditions « On m’avait parlé d’un rastafari, un homme qui vivait seul depuis 35  ans et qui n’avait pas vraiment été en contact avec la civilisation au cours de ces dernières années. Or, la Lambsbear a disparu il y a 35-40 ans. C’était très prometteur. Il m’a fallu six heures de marche pour rejoindre sa baraque et ses champs. Il cultivait, mais ne vendait pas. Ou très peu. Il faisait surtout du troc. Et qu’avec d’autres Rastas. En arrivant, j’ai fumé ce qu’il faisait pousser. Au lieu de repartir directement, je suis resté trois jours dans des conditions très spartiates… mais j’ai tant appris et passé des moments inoubliables avec cet improbable ermite « .

Emanuel est évidemment reparti avec de précieuses graines. « Ce n’était pas de la « ganja suprême », mais ça a fait avancer mes recherches.  Sur un niveau personnel en revanche…  J’ai passé trois jours hors du temps, hors de moi. C’est assez indescriptible. J’en suis redescendu changer.  Pour faire court : ça vaut les six heures de marche. Le double, le triple même »
Aux murs de son labo de savant fou, des photos de l’empereur éthiopien Haïlé Sélassié, considéré comme un messie par les rastas. Une religion dont Machel se réclame

Ganja suprême

« Jusqu’aux années 1970,  les variétés de cannabis qui poussaient dans l’île était quasi exclusivement de type Landrace  » explique le chercheur en herbe.
Les Landrace jamaïcaines comme la Thyme ou la Goshen (et par défaut la Lambsbread) sont caractérisées par un arôme terreux borderline moisi et un effet cérébral tonique qui fit la renommé des fleurs jamaïcaines. Le genre de weed qui vous donne envie de parler, de rire, de danser…ou de faire de la musique. Par exemple: Sur le plan chimique, la proportion est  proche du « 2 :1 ». C’est-à-dire deux unités de THC pour une de CBD. En l’occurrence, le THC se situant entre 8 et 11% et le CBD entre 5 et 6%. Pour cette « Ganja Suprême/Lambsbread ». Des plants qui pouvaient atteindre 3,50 mètres de haut pour un cycle de vie de graine à fleurs mature qui était de 24 semaines. Soit 6 mois, soit… beaucoup de patience au regard d’autres variétés.

Si les effets sont remarquables (grâce à des alcaloïdes parfaitement répartis et solidement figés par une longue exposition à la lumière naturelle) la Ganja Suprême est peu rentable car à croissance très lente.
Qui plus est, est très facilement repérable par les autorités à cause de sa grande taille.

A la recherche des phénotypes perdus

« Dans les années 1980, pendant la guerre américaine contre les drogues, les Landrace ont disparu. Que ce soit en avion, hélicoptère et même au sol, il était très difficile de les cacher. Trop larges, trop hautes. Alors, au fil du temps, des hybrides Indica/Sativa, plus courtes et plus petites, ont remplacé les Landrace. » appuie le Dr cannabis. « Ces variétés importées produisent également une teneur plus élevée en THC mais présentent des inconvénients. Elles sont par exemple plus sensibles aux parasites et aux moisissures. Si vous exposez une Landrace et une hybride génétiquement modifiée aux mêmes conditions sur la même durée, la variété indigène primera en restant inchangée. »

Des recherches qui ne seraient pas uniquement dues à son amour de l’horticulture. Dans la lancée, l’homme de science a également mis au point un plan de marketing complet pour vendre les fleurs du fruit de son travail. Des plaquettes prototype pour le lancement d’une semence  LandRace Jamaïque * sont en préparation. L’argumentaire évoque une herbe « pure » et « ancienne », utilisée par Bob Marley - un argument séduisant pour les amateurs de cannabis et musiciens épris de good vibes. « On pourrait aussi avoir un produit unique basé sur une indication géographique, comme pour le Champagne en France. Ce serait un bon argument pour vendre le cannabis jamaïcain« , envisage aussi le rasta en blouse blanche.
Babylone n’est jamais loin.

*A ne pas confondre avec « Bob Marley Seeds », entreprise corporate de vente de graines de cannabis, fondée il y a cinq ans par le trust de la famille Marley.

Interview : Mila Jansen, 60 ans dans l’arène du hash

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Du Royaume-Uni au Népal, d’Amsterdam à Katmandou, en passant par le Maroc et Goa, Mila Jansen alias « The Queen of hasch », a vécu tambour battant mille existences sans jamais se défaire de son légendaire sourire et du joint qui l’accompagne. Entretien avec la reine de tous les voyages.

ZEWEED : Comment avez-vous appris à faire du hasch ?
Mila Jansen : J’ai appris la théorie en Afghanistan, au Pakistan et en Inde, puis, en 1968, toujours en Inde, j’ai commencé en faisant du charas. J’avais appris l’art du hasch making en regardant pendant des années les cultivateurs frotter et tamiser les fleurs. Quand je suis revenue à Amsterdam, en 1988, j’ai recommencé à en produire alors que je gérais, avec des amis, 13 plantations. En 1988, je passais encore mes fleurs au tamis jusqu’à ce qu’un jour, en regardant tourner mon sèche-linge, j’invente le Pollinator*. 
À cette époque, le concept des cannabinoïdes et terpènes n’était pas connu – pas de nous en tout cas. Ce qui m’a valu pas mal d’expérimentations pratiques avant de trouver le bon équilibre [rires]. J’ai adoré cette période de mise au point. Et je voulais surtout proposer à Amsterdam un bon hasch, trouvant médiocre celui qui était vendu dans les coffee shops. Après vingt ans passés en Inde, où l’on trouvait de l’afghan, du népalais, du cachemirien, et produire le nôtre, je suis devenue exigeante !

ZW : Réussir dans un milieu aussi dangereux que masculin relève de l’exploit…
MJ. : C’est l’intelligence et une bonne idée qui m’ont donné l’occasion de percer, en créant en premier une machine qui fait tout le travail manuel, réservé aux hommes ! Cette innovation a permis aux cultivateurs de faire leur hasch en gagnant un temps fou. Quand j’ai créé mon entreprise, parce qu’il fallait bien que je nourrisse mes quatre enfants, je ne m’étais pas inquiétée d’une quelconque compétition avec les hommes parce que je n’étais pas en compétition avec eux. Oui, j’entrais dans un monde réservé aux hommes, mais mon business n’interférait pas avec les activités classiques de production, de semences, de lampes ou d’engrais qui sont aux mains de la gent masculine. Je suis certaine que si j’avais créé une banque de graines, par exemple, leur attitude aurait été très différente.

Mila à Goa

ZW : Vous êtes une icône féministe. Vous aviez le militantisme dans le sang ou c’est arrivé sans que vous n’y pensiez ?
MJ. : Il y a quelques jours, je suis tombée sur une citation de Shakespeare : « Les uns naissent grands, les autres se haussent jusqu’à la grandeur, d’autres encore s’en voient revêtir. » [Troïlus et Cressida, 1609 NDLR] J’appartiens définitivement à cette dernière catégorie car je n’ai jamais eu pour objectif de devenir une quelconque icône. J’étais mère célibataire jusqu’à ce que je crée mon entreprise. J’étais féministe et militante, oui, mais uniquement durant le peu de temps libre que j’avais, bien trop occupée à prendre soin de ma famille.

ZW : Vous avez habité à Goa, en 1968, soit les premières heures de ce qui allait devenir une Mecque de la contre-culture hippie. Ça ressemblait à quoi ?
MJ. : Goa en 1968 était le paradis que nous recherchions, niché entre les palmiers et un océan chaud. Il n’y avait que 11 voyageurs routards, cette année-là. L’année suivante, ils étaient 200 ! Il n’y avait pas d’électricité, la musique sortait d’une flûte en argent et de quelques tables, avec toujours le bruit de la mer en fond sonore. Nous faisions du stop à bord d’une charrette à buffles pour nous rendre au marché hebdomadaire, qui regorgeait de fruits, de poissons et de légumes frais, cueillis le matin même par les vendeuses du marché. Une explosion de couleurs, de soleil. Sur la plage, on achetait une douzaine de poissons frais pour deux cents américains ! Et, contre un coup de main pour relever les filets, le poisson était gratuit. Nous passions toute la nuit autour d’une énorme bougie, au son de la flûte, parfois des tablas, mais la plupart du temps juste avec le son des vagues qui s’échouaient sur le sable. Et les couchers de soleil sous LSD… Sortir de l’océan comme si nous étions les premiers à fouler cette Terre…

ZW : Vous avez connu le marché clandestin. De quel œil voyez-vous la légalisation ?
MJ. : J’espère que la légalisation arrivera le plus rapidement possible, même si je constate qu’elle semble s’accompagner d’un sacré paquet de permis, de documents, de coûts, etc. Il y a trop de règles, de contraintes ; ce qui est loin d’être idéal. Le fait que le gouvernement légalise ne veut pas dire qu’il peut mettre son nez partout. D’une manière ou d’une autre, cela semble faire le jeu des grandes entreprises, pendant que le petit agriculteur dévoué est mis à l’écart et condamné, à terme, à disparaître. Maintenant qu’on a un peu de recul, la légalisation ne semble pas vraiment rendre plus heureux quiconque que je connais.

La Mila famille au naturel

ZW : Quel est le meilleur hasch que vous ayez fumé ?
MJ. : C’est dans l’Himalaya, au-dessus de Kullu, au-dessus de la limite des arbres, que j’ai trouvé le meilleur hasch. Nous étions avec des sâdhus locaux (hommes saints indiens qui fument des chillums) à la recherche de plants de cannabis qui avaient survécu à l’hiver sous la neige ; nous les avons frottés et avons récupéré le hasch de nos mains. Nous l’avons mis dans un chillum et l’avons fumé de suite. C’était plutôt un trip acide : les sons du ruisseau babillant, les couleurs des fleurs sauvages, l’espace et la liberté dans le cerveau, la joie ! Les montagnes enneigées qui nous entourent, les forêts sans fin et les sâdhus eux-mêmes – une expérience magique !

ZW : Vos rapports avec la police ? Il y a dû en avoir quelques-uns, en soixante ans de carrière…
MJ. : Oui… En 1965, j’ai ouvert une boutique, Kink 22, où nous vendions les premières mini-jupes. Plus tard, début 1968, nous l’avons transformée en salon de thé. C’était l’époque de Timothy Leary et abandonner cette société était là où il en était. Le salon de thé attirait des gens revenant de l’Est, apportant du hasch et parfois des stocks américains réaffrétés de la guerre du Vietnam – ces gars-là rapportaient du LSD ! Régulièrement, il y avait une descente de police : le salon de thé était perquisitionné et je passais une nuit au commissariat de Leidseplein. Puis ce commissariat a fermé ses portes et a été remplacé par le Bull Dog, un coffee shop. En 2013, nous fêtions mon soixante-dixième anniversaire, très festivement au Bull Dog, justement, et, tout d’un coup, j’ai un flash : c’était là que j’avais fait de ma garde à vue !

ZW : Vous avez vraiment fait pousser de l’herbe à côté d’une caserne de pompiers ?
MJ. : Oui, c’est vrai. C’était en 1993-1994 et je cultivais beaucoup d’herbe, à cette époque. En l’occurrence, il y avait un joli spot juste à côté d’une grande caserne de pompiers. Et nous ne dépensions pas d’argent dans des systèmes de ventilation avec des filtres anti-odeurs… Ça sentait franchement l’herbe, mais ce n’était pas une odeur connue à l’époque. Nous n’avons jamais eu de problèmes avec nos voisins, les soldats du feu.

 

CBD : Face aux évolutions et ambiguïtés réglementaires, le Syndicat Professionnel du Chanvre appelle à la cohérence.

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Le Syndicat Professionnel du Chanvre (SPC) fait part de ses vives inquiétudes à la vue des récentes évolutions réglementaires européennes et nationales, appelant les pouvoirs publics à adopter une politique rationnelle, basée sur des preuves scientifiques solides, en accord avec la législation européenne. 

Première préoccupation exprimée par le SPC quant à l’avenir du secteur : la proposition de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) de classer le CBD comme substance présumée toxique pour la reproduction humaine (catégorie 1B). Le représentant historique de la filière chanvre bien-être dénonce une décision basée sur une étude unique, jugée insuffisamment représentative des réalités d’usage et des doses consommées par les utilisateurs. Le SPC estime à juste titre qu’une telle classification aurait de graves conséquences économiques, remettant en question des années d’investissements et d’efforts vers une traçabilité et une qualité exemplaires, menaçant directement la pérennité de nombreux emplois.
En réponse à la proposition de l’ANSES, le SPC, appuyé par l’Association Française des Producteurs de Cannabinoïdes (AFPC) et l’Union des Industriels pour la valorisation des extraits de chanvre (UIVEC), a engagé deux expertises scientifiques indépendantes – auprès de Chemsafe et du Dr Fabian Steinmetz – afin de fournir une analyse exhaustive et objective aux autorités européennes. Le syndicat appelle à une mobilisation générale du secteur en vue de la consultation publique qui doit avoir lieu prochainement.

Second point souligné par le SPC : l’interdiction du CBD en Italie, désormais classé comme stupéfiant. Cette brutale mesure, en contradiction flagrante avec la législation européenne  et les recommandations de l’OMS, est un arrêt de mort pour la filière transalpine, qui emploie quelque 20 000 personnes et génère près de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaire.
Paradoxalement, pour la France, où 80 % des produits CBD commercialisés dans l’Hexagone proviennent d’importations italiennes, cette décision pourrait représenter une opportunité économique de taille. À la lumière de cette évolution du cadre légal italien, le SPC invite ainsi les acteurs français à se réorienter vers une production locale durable à la traçabilité irréprochable, à l’image de la société française Canebiera, récemment récompensée en mars au Spannabis.

Troisième problématique  : l’essor des néo-cannabinoïdes, substances synthétiques qui menacent à la fois la santé publique et la crédibilité de la filière chanvre CBD. Récemment, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a inscrit plusieurs de ces nouveaux cannabinoïdes sur sa liste officielle des stupéfiants, reconnaissant ainsi officiellement leur danger potentiel sur la santé. Le SPC souhaite que toutes ces molécules soient interdites, insistant sur la nécessité d’utiliser les outils d’analyse et de traçabilité existants pour protéger consommateurs et commerçants des dérives du marché.

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