Warhol et Malenga à la Factory en 1968. Courtesy of Malanga private collection

Interview : Gerard Malanga, Warhol Superstar

Poète, danseur, réalisateur et photographe, l’incontournable « superstar » de la Factory Gerard Malanga a redéfini, aux côtés d’Andy Warhol (à qui il présenta les Velvet Underground), les contours du mouvement pop art, et d’une contre-culture new-yorkaise qui aujourd’hui encore fait école. Quelques jours après avoir été fait chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, ZEWEED l’a rencontré à l’Hôtel Grand Amour.

ZEWEED : Cinq mots pour vous définir ?
Gerard Malanga : Innocence, curiosité, adaptation, spontanéité et instinctivité. Je fais entièrement confiance en mon instinct, pour le meilleur et pour le pire.

Trois endroits qui vous ont défini ?
Le Bronx où j’ai grandi, Staten Island où j’ai fait mes études, et Paris, ville dans laquelle je me suis rendu en une dizaine d’occasions. Cela dit, ça faisait longtemps que je n’étais pas venu, notamment à cause de la pandémie.

Ah oui, vous êtes un habitué ! Et que faites-vous quand vous êtes à Paris?
Comme je suis assez mélomane et connais quelques disquaires ici, j’y passe un certain temps et ne repars jamais les mains vides. Il y a aussi les puces de Saint-Ouen que j’apprécie et auxquelles je me rends à chacun de mes passages. J’y vais dimanche prochain, d’ailleurs. Les bouquinistes, sur les quais de la Seine, font aussi partie des incontournables de ma tournée parisienne, parce que, et c’est une demi-confession, je suis un collectionneur acharné de cartes postales.

Gérard Malanga en 1971. Crédits Jack Roberts

Vous êtes plutôt paradis céleste, paradis terrestre ou paradis artificiels ?
Paradis terrestre, définitivement. Ce serait assez présomptueux de dire “paradis céleste”, parce que je ne sais pas si je mérite d’y aller [il rit]. À New York, je ne me suis jamais vu refuser l’entrée d’un club, aussi sélect soit-il. Je rentrais sans avoir à lever les yeux au Studio 54. Mais, en ce qui concerne le Paradis, je crains que saint Pierre soit un physio nettement plus exigeant.

Ça ressemblerait à quoi, un paradis fait pour Gerard Malanga ?
À un endroit où tout est facile, où rien n’est une lutte. Quand on vit à New York depuis quatre-vingts ans, on ne peut que rêver de ça !

Vous êtes connu pour votre collaboration avec Warhol, mais êtes aussi un photographe accompli et reconnu. J’ai remarqué que vous ne faisiez quasiment que du noir et blanc. Il y a une raison à cela ?
Étrangement, quand je filme, je conçois les images en couleur. Quand je prends un appareil photo et me mets derrière l’objectif, je vois en noir et blanc. Pas littéralement, ce n’est pas un daltonisme en bichromie, mais j’ai du mal à me projeter dans une image autre que noire et blanche. Sur le figé, j’aime ce jeu entre deux couleurs et les milliers de nuances qu’elles offrent. En noir et blanc, on joue différemment sur la composition, sur le cadrage, et c’est un terrain de jeu sur lequel je suis beaucoup plus à l’aise. Peut-être par habitude, même si quand je me suis mis à la photographie sérieusement, en 1967-1968, la couleur existait ! Je ne suis pas si vieux [rires]. Quant aux portraits, le noir et blanc est plus fort car il permet de laisser une place à l’imagination, à l’interprétation, là où un cliché en couleur en laisse, à mon sens, beaucoup moins.

Les débuts de la sérigraphie décalée. Courtesy Gerard Malanga private collection

Vous exposez plusieurs de vos photos ici, à l’Hôtel Grand Amour. C’est quand même plus intimiste que la gigantesque salle d’exposition de la Factory…
Oui ! D’ailleurs, ici, il y a une photo des Velvet Underground prise à la Factory, en 1968. L’endroit où l’on exposait les photos était effectivement beaucoup plus grand. La différence, c’est qu’ici, ce sont mes photos alors qu’à la Factory, c’est moi qui étais sur les photos.
Et j’aime bien le Grand Amour, qui me rappelle, de par sa vibration artistique, le Chelsea Hotel de New York. Un grand hôtel un peu vétuste aux tarifs abordables qui a vu passer Jack Kerouac, William S. Burroughs, Charles Bukowski, Stanley Kubrick, Peter Fonda, Jimi Hendrix et Andy Warhol, évidemment.

C’est vous qui avez suggéré à Warhol de faire des sérigraphies en décalant légèrement chaque superposition de couleur pour créer une distorsion et rendre chaque série unique ?
Absolument. C’est une des contributions dont je suis assez fier et que l’on doit à mon approche photographique de la peinture. Cette idée, je l’ai empruntée à Cecil Beaton que j’avais rencontré à l’hôtel Bel-Air de Los Angeles, en 1963, alors qu’il élaborait les décors de My Fair Lady de George Cukor. Il m’a montré plusieurs de ses photos récentes avec ce principe de superposition et j’ai trouvé ça génial. J’ai gardé l’idée en tête et en ai parlé avec Andy, avec qui je travaillais de façon très proche, limite symbiotique. Andy avait déjà fait des sérigraphies en noir et blanc d’Elvis, en 1963 aussi, je crois. C’est comme ça que sont nées les Presley, Marilyn Monroe, Jackie Kennedy en couleur. 
Andy avait donné une de ces premières sérigraphies à Bob Dylan, qui était venu nous voir à la Factory. Il lui avait offert celle de Presley afin qu’il accepte que je le filme dans le cadre des screen tests. Dylan a accepté, s’est laissé filmer et est reparti avec le tableau. J’ai plus tard appris qu’il l’avait échangé le lendemain contre un canapé à son manager, Albert Grossman. Trente ans plus tard, la veuve d’Al Grossman l’a vendu chez Sotheby’s pour 400 000 dollars. Ce qui était une bonne affaire pour l’acheteur : aujourd’hui, ce tableau vaut plusieurs millions. Dylan s’est rattrapé par la suite mais, à l’époque, la peinture, c’était pas son truc.

Malanga, Dylan et Warhol à la Factory. Courtesy Gerard Malanga private collection

Vous avez publié plusieurs recueils de poèmes, dont le dernier est Odie Is Being Called Back & Other Poems. C’est une œuvre profonde et touchante dans laquelle vous consacrez une large partie aux chats de votre vie…
Je suis définitivement une personne à chat. Odie Is Being Called Back est, justement, une suite d’odes aux personnes que j’ai aimées ou admirées, mais aussi aux chats qui ont eu la grâce de partager mon existence, à ces sublimes créatures que j’ai aimées et admirées. Xena, Sasha, Zazie et enfin Odie ne m’ont pas qu’accompagné : ils m’ont aussi façonné. À New York, où la vie peut être difficile, profondément superficielle, où les hommes peuvent révéler ce qu’il y a de plus brutal, la présence de mes chats a été un élément d’équilibre, une sorte de garde-fou pour ne pas « take a walk on the wild side». Ils sont le négatif photo de la vie new-yorkaise : doux, élégants, fidèles et d’humeur constante. J’ai perdu Odie il y a un an. J’en ai adopté un autre, récemment, même si je me suis dit qu’à mon âge, ce ne serait pas raisonnable d’avoir une autre Odie*.

* Jeu de mots sur la sonorité « OD », « overdose » en anglais.

 

Propos recueillis par Alexis Lemoine
Gerard Malanga et Alexis Lemoine à l’hôtel Grand Amour. Crédit Bill Roberts
 

Odie is Being Called Back & Other Poems
Bottle of Smoke Press
188 pp
15 €
Disponible sur Amazon

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Journaliste, peintre et musicien, Georges Desjardin-Legault est un homme curieux de toutes choses. Un penchant pour la découverte qui l'a emmené à travailler à Los Angeles et Londres. Revenu au Canada, l'oiseau à plumes bien trempées s'est posé sur la branche Zeweed en 2018. Il est aujourd'hui rédacteur en chef du site.

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