Nicolas Authier, président du comité scientifique de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

Pr. Nicolas Authier : “Le cannabis médical devait normalement être disponible à l’été 2024”

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Alors que le cannabis thérapeutique est légalisé dans la plupart des pays de l’Union européenne, la France accuse un retard certain et semble peu pressée de mettre le médicament vert sur le marché, puisque son remboursement ne figure toujours pas dans le plan de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS)*. En février dernier, ZEWEED avait rencontré le Pr. Nicolas Authier, président du comité scientifique de suivi de l’expérimentation du cannabis médical, qui était pourtant assez optimiste quand à la mise à disposition du cannabis à visée médicale dans l’Hexagone. Contacté lundi 25 septembre par Zeweed, il n’a pas caché son amertume de voir les  quelques 300 000 patients en échec thérapeutique sans accès à un traitement qu’ils sont pourtant 70% à plébisciter.

Entamée en mars 2021, l’expérimentation du cannabis médical devait s’achever en mars 2023. Elle est finalement prolongée d’une année supplémentaire. Cause officielle de ce report : un problème de coût pour la sécurité sociale. En coulisses, certains observateurs évoquent une réticence du gouvernement à voir du cannabis prescrit alors que d’autres voient en ce report une chance pour la filière cannabis thérapeutique française d’avoir le temps de se développer, et ne pas se faire couper l’herbe sous le pied par les grands groupes nord-américains lorgnant sur le marché bleu-blanc-rouge. Au-delà de ce retard, de nombreux points comme les conditions de délivrance, les modes d’administration ou les pathologies concernées restent à éclaircir.

ZEWEED : L’expérimentation du cannabis thérapeutique est prolongée d’un an, quelles en sont les raisons ?
Nicolas Authier : Aujourd’hui on sait prescrire, on sait dispenser. L’enjeu de la prolongation d’un an de cette expérimentation est économique. Le cannabis médical représentera un coût pour la sécurité sociale. Cela dépendra donc du coût de ces médicaments que l’on ne connaît pas encore… Ce sont des questions qui commencent à être évoquées par les autorités sanitaires à savoir le statut de ces médicaments, et en fonction de celui-ci, leur remboursement. Ces arbitrages ne seront pas terminés d’ici fin mars, mais devraient l’être d’ici le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale fin 2023.

Quel est le profil des patients inclus dans cette expérimentation ?
Comme c’est une expérimentation nationale, les patients ont été sélectionnés sur tout le territoire français, y compris outre-mer. Objectif ambitieux, car il a fallu mobiliser des dizaines de services hospitaliers pour instaurer ces prescriptions de médicaments à base de cannabis thérapeutiques. L’âge varie beaucoup en fonction de l’indication. Des enfants souffrant d’épilepsie ou dans certains cas de douleurs chroniques réfractaires ont été inclus par exemple. Cependant, la majorité des patients inclus ont entre 40 et 60 ans et ne sont pas des consommateurs de cannabis par ailleurs. C’est important de le préciser : l’idée de cette expérimentation est d’apporter une alternative pharmacologique thérapeutique supplémentaire à des patients pour lesquels la médecine est en échec. L’expérimentation n’a pas pour objet de légaliser la consommation de cannabis en France.

« À terme, ces médicaments seront dispensés dans toutes les pharmacies de France comme n’importe quel médicament »

Sous quelles formes et comment ces patients se procurent-ils leur traitement ?
Deux formes sont disponibles.  Des huiles à prendre par voie orale. Elles sont soit riches en THC, soit riches en CBD, ou encore composées moitié de CBD, moitié de THC. Et puis des fleurs, prescrites minoritairement pour quelques dizaines de patients. Elles sont soit THC dominantes à 20%, soit CBD dominantes à 12%, ou THC/CBD à 8 et 8%. Ces fleurs sont dispensées en pharmacie avec un vaporisateur portable. Au début de l’expérimentation, les dispensations de ces huiles et fleurs ont commencé dans les pharmacies hospitalières grâce aux petits stocks qui avaient été constitués. C’était pratique, car le patient se rendait directement à la pharmacie de l’hôpital après notre consultation. En quelques mois, les pharmaciens d’officine ont pris le relais, voire sont devenus les primo dispensateurs de ces produits-là. À terme, ces médicaments seront dispensés dans toutes les pharmacies de France comme n’importe quel médicament.

Qui sont les différents acteurs prescripteurs ?
À ce jour, un point n’a pas été réglé : le relais au médecin traitant. On a du mal à passer la main à nos collègues médecins généralistes. Il faut préciser que cette expérimentation a commencé en pleine crise sanitaire de la Covid… Les services hospitaliers étaient mobilisés sur autre chose. Les pharmaciens de ville et les médecins ont dû également hiérarchiser les priorités (tests, vaccination etc.). Pour l’instant, la limite de l’expérimentation porte sur le relais de l’hôpital avec le médecin traitant du fait même de cette expérimentation. Car à l’hôpital, nous pouvions inclure 50 à 60 patients pour le cannabis médical. Pour les médecins généralistes, cela ne concerne qu’un ou deux patients. Donc on lui demande de faire une formation, de renseigner un registre pour chacun d’eux à chaque consultation, ce qui est fastidieux.
Ce frein disparaîtra dès que l’on basculera de l’expérimentation à la légalisation et lorsque ces produits seront prescrits comme n’importe quel autre médicament. On imagine mal un médecin généraliste refuser de prescrire un médicament s’il s’avère efficace chez son patient !
Le schéma retenu concernant la prescription du cannabis médical est primo prescription hospitalière, puis relais auprès du médecin généraliste, et la dispensation se fera d’emblée auprès de l’officine habituelle du patient.

Quelles sont les pathologies concernées ?
Dans tous les cas, nous sommes face à des situations réfractaires, c’est-à-dire qu’on a essayé les traitements de référence, et ils ne fonctionnent pas. Le cannabis médical n’est pas à ce jour un médicament de première intention compte tenu des preuves dont on dispose. Il existe cinq situations cliniques. Les douleurs neuropathiques chroniques qui représentent la majorité des patients inclus. Ensuite, la sclérose en plaque, plus précisément la spasticité douloureuse. Troisième indication : l’épilepsie pharmacorésistante chez l’enfant et chez l’adulte. Quatrième : les patients en soins palliatifs. Dans ce cas, on s’attache à améliorer la qualité de vie du patient en soulageant une partie des symptômes comme la douleur, l’appétit, le sommeil, l’anxiété, l’énergie, la fatigue etc. Et dernière indication : les symptômes rebelles en oncologie qui sont la conséquence du cancer ou de son traitement.

À ce jour, les médicaments à base de cannabis thérapeutique ont-ils prouvé leur efficacité sur les patients souffrant de ces pathologies ?
Au final, deux tiers des patients inclus dans l’expérimentation ont rapporté une satisfaction et une amélioration de leur qualité de vie après avoir bénéficié du cannabis médical. Ces résultats sont rassurants aussi bien au niveau des bénéfices que du côté des effets indésirables constatés. Dans le domaine de la douleur où très peu d’innovations thérapeutiques existent, le cannabis médical est une nouvelle stratégie thérapeutique pour certains patients qui avaient une qualité de vie très altérée.

« Environ 100 à 150 000 personnes pourraient être potentiellement traitées par le cannabis médical »

S’il devait être légalisé, avez-vous une idée du nombre de patients qui serait concerné ?
Dans les cinq années à venir, environ 100 à 150 000 personnes pourraient être potentiellement traitées par le cannabis médical dans les indications actuelles.

Quel horizon peut-on envisager pour une légalisation du cannabis thérapeutique? Quelles seraient les conditions de délivrance (médecin de ville, hôpitaux, pharmaciens) ?
Si, comme annoncé par le ministère de la santé, les travaux d’arbitrage aboutissent avant l’été 2023… On peut envisager une légalisation, donc un entrée effective dans le droit commun de ces traitements, l’été 2024.

Pensez-vous que les intérêts de la filière agro-industrielle française ont freiné la légalisation du cannabis médical en France ?
À l’étranger, cette filière est prête puisque certains pays comme l’Allemagne ont légalisé le cannabis médical depuis vingt ans ! En France elle n’est pas prête, puisque ce n’est pas légal. Les arrêtés du décret publié en février 2022 ne sont pas encore publiés. Même si cette filière française se crée, et on ne peut que le souhaiter, elle n’aura pas le monopole dans la mise à disposition des produits en pharmacie.
Nous avons publié une tribune au mois d’octobre pour mobiliser le ministère de la santé à une époque où il était prévu de prolonger  l’expérimentation de trois ans avec, comme intérêt, la mise en place de la filière française… Nous avons milité fortement pour que ces trois ans soient ramenés à un an ! Donc oui, il y a eu un lobbying de cette filière. Mais il y a également eu un lobbying des professionnels de la santé et des associations de patients pour dire que ce qui prime est le soulagement de la souffrance, pas les intérêts économiques.

Propos recueillis par Carole Ivaldi en février 2023
* Pour que le remboursement du cannabis thérapeutique soit inscrit au PLFSS 2024, les patients en souffrance ont besoin de vous afin que le médicament vert ait une chance d’être pris en charge par la sécurité sociale et donc prescrit. 
Agissez pour que le cannabis à visée médicale soit enfin accessible en France en cliquant sur ce lien.

 

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