Nicolas Authier

Cannabis thérapeutique : le gouvernement joue la carte d’un statut “ad hoc” en 2024 : espoir pour les patients ou enfumage?

/

Entamée en 2021, l’expérimentation du cannabis médical doit prendre fin en mars 2024. Alors que les professionnels de la santé souhaitent que le médicament vert soit disponible le plus rapidement possible auprès de 300 000 patients en échec thérapeutique, sa prise en charge ne figure toujours pas au plan de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Or, sans inscription au PLFSS, pas de remboursement possible et donc pas de traitements envisageables à terme. Quel avenir dans l’Hexagone pour les spécialités à base de cannabinoïdes? Eléments de réponse.

Si l’absence du cannabis à visée médicale au PLFSS est de mauvaise augure pour les acteurs de la filière, elle l’est encore plus pour  300 000 patients en échec thérapeutique, qui risquent de se voir privé de cette alternative naturelle pourtant déjà prescrite dans 21 pays de l’Union européenne.

Interpellé dans une tribune parue jeudi 28 septembre dans le Parisien, au sein de laquelle 17 associations demandent la légalisation du cannabis thérapeutique “dès l’année prochaine“, l’exécutif a choisi d’apporter une réponse ambigüe. Interrogé sur France Inter mardi 3 octobre, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a tenté de rassurer producteurs, prescripteurs et malades en évoquant la mise en place d’un statut ad hoc début 2024, assurant aux patients suivis dans le cadre de l’expérimentation du cannabis médical que leur traitement serait bel et bien pris en charge.

Il y aura des éléments sur le cannabis thérapeutique qui n’ont pas forcément besoin du PLFSS. A partir de janvier 2024, nous allons mettre en place un cadre ad hoc (sur le cannabis thérapeutique pour les patients inscrits à l’expérimentation NDLR)”  précisait Aurélien Rousseau au micro de France Inter, bottant habilement en touche “comme beaucoup de pays européens, nous avons expérimenté le cannabis thérapeutique. Mais on a pas, à l’échelle européenne, d’autorisation de mise sur le marché (AMM) parce que c’est compliqué d’avoir des données scientifiques“.

70 % des patients ont constaté une amélioration significative de leur qualité de vie

Malgré ce manque de données scientifiques qui empêcherait la prise en charge du cannabis thérapeutique et son inscription au PLFSS, Aurélien Rousseau convient de l’efficacité de la plante auprès des patients  “globalement, c’est concordant sur un certain nombre de pathologies (…) donc il y aura un cadre ad hoc, et il n’y aura pas de rupture de la prise en charge pour les personnes qui sont prises en charge comme cela“. (l’intervention du ministre de la Santé sur le cannabis thérapeutique est à écouter à partir de la 19ème minute de l’interview)

 

 

Pour Hugues Peribère, PDG d’Overseed, tous les feux étaient pourtant au vert pour que les produits à base de cannabinoïdes puissent bénéficier d’une AMM (Autorisation de Mise sur le Marché)  “Nous avons une expérimentation qui a été menée de concert avec les pouvoirs publiques, et très bien menée à ce jour” estimait pour Zeweed le fondateur de l’entreprise Orléanaise de cannabis thérapeutique.

Pour le professeur Nicolas Authier, qui regrette que d’autres ministères que celui de la Santé aient été consultés, ce n’est pas pour autant la mise à mort du cannabis thérapeutique en France “Ce statut ad hoc est pratiqué chez nos voisins européens qui ont légalisé le cannabis thérapeutique, sans pour autant qu’il y ait d’AMM de leur coté. Nous pouvons donc imaginer, dans le meilleur des scénarios possibles, que l’Etat mette en place un système de prescription et distribution sur un régime particulier à l’issue de l’expérimentation. Alors que 300.000 patients en échec thérapeutique pourraient bénéficier de traitements au cannabis encadrés,  je souhaite encore croire que les quelques 5 ans de travaux (dont deux années d’études préliminaires NDLR) que nous avons faits leur profiteront très bientôt”.

* Le professeur Nicolas Authier pilote l’expérimentation du cannabis thérapeutique sous l’égide de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Pour que le remboursement du cannabis thérapeutique soit inscrit au PLFSS 2024, les patients en souffrance ont besoin de vous afin que le médicament vert ait une chance d’être pris en charge par la sécurité sociale et donc prescrit. 
Agissez pour que le cannabis à visée médicale soit enfin accessible en France en cliquant sur ce lien.

Pr. Nicolas Authier : “Le cannabis médical devait normalement être disponible à l’été 2024”

/

Alors que le cannabis thérapeutique est légalisé dans la plupart des pays de l’Union européenne, la France accuse un retard certain et semble peu pressée de mettre le médicament vert sur le marché, puisque son remboursement ne figure toujours pas dans le plan de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS)*. En février dernier, ZEWEED avait rencontré le Pr. Nicolas Authier, président du comité scientifique de suivi de l’expérimentation du cannabis médical, qui était pourtant assez optimiste quand à la mise à disposition du cannabis à visée médicale dans l’Hexagone. Contacté lundi 25 septembre par Zeweed, il n’a pas caché son amertume de voir les  quelques 300 000 patients en échec thérapeutique sans accès à un traitement qu’ils sont pourtant 70% à plébisciter.

Entamée en mars 2021, l’expérimentation du cannabis médical devait s’achever en mars 2023. Elle est finalement prolongée d’une année supplémentaire. Cause officielle de ce report : un problème de coût pour la sécurité sociale. En coulisses, certains observateurs évoquent une réticence du gouvernement à voir du cannabis prescrit alors que d’autres voient en ce report une chance pour la filière cannabis thérapeutique française d’avoir le temps de se développer, et ne pas se faire couper l’herbe sous le pied par les grands groupes nord-américains lorgnant sur le marché bleu-blanc-rouge. Au-delà de ce retard, de nombreux points comme les conditions de délivrance, les modes d’administration ou les pathologies concernées restent à éclaircir.

ZEWEED : L’expérimentation du cannabis thérapeutique est prolongée d’un an, quelles en sont les raisons ?
Nicolas Authier : Aujourd’hui on sait prescrire, on sait dispenser. L’enjeu de la prolongation d’un an de cette expérimentation est économique. Le cannabis médical représentera un coût pour la sécurité sociale. Cela dépendra donc du coût de ces médicaments que l’on ne connaît pas encore… Ce sont des questions qui commencent à être évoquées par les autorités sanitaires à savoir le statut de ces médicaments, et en fonction de celui-ci, leur remboursement. Ces arbitrages ne seront pas terminés d’ici fin mars, mais devraient l’être d’ici le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale fin 2023.

Quel est le profil des patients inclus dans cette expérimentation ?
Comme c’est une expérimentation nationale, les patients ont été sélectionnés sur tout le territoire français, y compris outre-mer. Objectif ambitieux, car il a fallu mobiliser des dizaines de services hospitaliers pour instaurer ces prescriptions de médicaments à base de cannabis thérapeutiques. L’âge varie beaucoup en fonction de l’indication. Des enfants souffrant d’épilepsie ou dans certains cas de douleurs chroniques réfractaires ont été inclus par exemple. Cependant, la majorité des patients inclus ont entre 40 et 60 ans et ne sont pas des consommateurs de cannabis par ailleurs. C’est important de le préciser : l’idée de cette expérimentation est d’apporter une alternative pharmacologique thérapeutique supplémentaire à des patients pour lesquels la médecine est en échec. L’expérimentation n’a pas pour objet de légaliser la consommation de cannabis en France.

« À terme, ces médicaments seront dispensés dans toutes les pharmacies de France comme n’importe quel médicament »

Sous quelles formes et comment ces patients se procurent-ils leur traitement ?
Deux formes sont disponibles.  Des huiles à prendre par voie orale. Elles sont soit riches en THC, soit riches en CBD, ou encore composées moitié de CBD, moitié de THC. Et puis des fleurs, prescrites minoritairement pour quelques dizaines de patients. Elles sont soit THC dominantes à 20%, soit CBD dominantes à 12%, ou THC/CBD à 8 et 8%. Ces fleurs sont dispensées en pharmacie avec un vaporisateur portable. Au début de l’expérimentation, les dispensations de ces huiles et fleurs ont commencé dans les pharmacies hospitalières grâce aux petits stocks qui avaient été constitués. C’était pratique, car le patient se rendait directement à la pharmacie de l’hôpital après notre consultation. En quelques mois, les pharmaciens d’officine ont pris le relais, voire sont devenus les primo dispensateurs de ces produits-là. À terme, ces médicaments seront dispensés dans toutes les pharmacies de France comme n’importe quel médicament.

Qui sont les différents acteurs prescripteurs ?
À ce jour, un point n’a pas été réglé : le relais au médecin traitant. On a du mal à passer la main à nos collègues médecins généralistes. Il faut préciser que cette expérimentation a commencé en pleine crise sanitaire de la Covid… Les services hospitaliers étaient mobilisés sur autre chose. Les pharmaciens de ville et les médecins ont dû également hiérarchiser les priorités (tests, vaccination etc.). Pour l’instant, la limite de l’expérimentation porte sur le relais de l’hôpital avec le médecin traitant du fait même de cette expérimentation. Car à l’hôpital, nous pouvions inclure 50 à 60 patients pour le cannabis médical. Pour les médecins généralistes, cela ne concerne qu’un ou deux patients. Donc on lui demande de faire une formation, de renseigner un registre pour chacun d’eux à chaque consultation, ce qui est fastidieux.
Ce frein disparaîtra dès que l’on basculera de l’expérimentation à la légalisation et lorsque ces produits seront prescrits comme n’importe quel autre médicament. On imagine mal un médecin généraliste refuser de prescrire un médicament s’il s’avère efficace chez son patient !
Le schéma retenu concernant la prescription du cannabis médical est primo prescription hospitalière, puis relais auprès du médecin généraliste, et la dispensation se fera d’emblée auprès de l’officine habituelle du patient.

Quelles sont les pathologies concernées ?
Dans tous les cas, nous sommes face à des situations réfractaires, c’est-à-dire qu’on a essayé les traitements de référence, et ils ne fonctionnent pas. Le cannabis médical n’est pas à ce jour un médicament de première intention compte tenu des preuves dont on dispose. Il existe cinq situations cliniques. Les douleurs neuropathiques chroniques qui représentent la majorité des patients inclus. Ensuite, la sclérose en plaque, plus précisément la spasticité douloureuse. Troisième indication : l’épilepsie pharmacorésistante chez l’enfant et chez l’adulte. Quatrième : les patients en soins palliatifs. Dans ce cas, on s’attache à améliorer la qualité de vie du patient en soulageant une partie des symptômes comme la douleur, l’appétit, le sommeil, l’anxiété, l’énergie, la fatigue etc. Et dernière indication : les symptômes rebelles en oncologie qui sont la conséquence du cancer ou de son traitement.

À ce jour, les médicaments à base de cannabis thérapeutique ont-ils prouvé leur efficacité sur les patients souffrant de ces pathologies ?
Au final, deux tiers des patients inclus dans l’expérimentation ont rapporté une satisfaction et une amélioration de leur qualité de vie après avoir bénéficié du cannabis médical. Ces résultats sont rassurants aussi bien au niveau des bénéfices que du côté des effets indésirables constatés. Dans le domaine de la douleur où très peu d’innovations thérapeutiques existent, le cannabis médical est une nouvelle stratégie thérapeutique pour certains patients qui avaient une qualité de vie très altérée.

« Environ 100 à 150 000 personnes pourraient être potentiellement traitées par le cannabis médical »

S’il devait être légalisé, avez-vous une idée du nombre de patients qui serait concerné ?
Dans les cinq années à venir, environ 100 à 150 000 personnes pourraient être potentiellement traitées par le cannabis médical dans les indications actuelles.

Quel horizon peut-on envisager pour une légalisation du cannabis thérapeutique? Quelles seraient les conditions de délivrance (médecin de ville, hôpitaux, pharmaciens) ?
Si, comme annoncé par le ministère de la santé, les travaux d’arbitrage aboutissent avant l’été 2023… On peut envisager une légalisation, donc un entrée effective dans le droit commun de ces traitements, l’été 2024.

Pensez-vous que les intérêts de la filière agro-industrielle française ont freiné la légalisation du cannabis médical en France ?
À l’étranger, cette filière est prête puisque certains pays comme l’Allemagne ont légalisé le cannabis médical depuis vingt ans ! En France elle n’est pas prête, puisque ce n’est pas légal. Les arrêtés du décret publié en février 2022 ne sont pas encore publiés. Même si cette filière française se crée, et on ne peut que le souhaiter, elle n’aura pas le monopole dans la mise à disposition des produits en pharmacie.
Nous avons publié une tribune au mois d’octobre pour mobiliser le ministère de la santé à une époque où il était prévu de prolonger  l’expérimentation de trois ans avec, comme intérêt, la mise en place de la filière française… Nous avons milité fortement pour que ces trois ans soient ramenés à un an ! Donc oui, il y a eu un lobbying de cette filière. Mais il y a également eu un lobbying des professionnels de la santé et des associations de patients pour dire que ce qui prime est le soulagement de la souffrance, pas les intérêts économiques.

Propos recueillis par Carole Ivaldi en février 2023
* Pour que le remboursement du cannabis thérapeutique soit inscrit au PLFSS 2024, les patients en souffrance ont besoin de vous afin que le médicament vert ait une chance d’être pris en charge par la sécurité sociale et donc prescrit. 
Agissez pour que le cannabis à visée médicale soit enfin accessible en France en cliquant sur ce lien.

 

Le professeur Nicolas Authier nous parle de ces deux “petits livres” sur le CBD et le cannabis médical.

/

Alors que les vertus bien-être et bénéfices médicaux du chanvre restent méconnus du grand public, le professeur Nicolas Authier propose de défricher le terrain en publiant deux ouvrages aussi pédagogiques que fascinants : Le petit livre du CBD
et Le petit livre du cannabis médical. Zeweed a rencontré l’auteur pour lui poser quelques questions sur ces grands sujets.

LE PETIT LIVRE DU CBD

Zeweed : Bonjour professeur, commençons si vous le voulez bien avec le 1er de ces deux livres à avoir été publié. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rédiger “Le petit livre du CBD” ?
Nicolas Authier : Ce livre part d’un constat. Le CBD est dispo- nible en France depuis plusieurs années, et sous différentes formes. Cependant, une régulation assez imparfaite de ce marché induit un accompagnement pas toujours adapté des usagers. Comme le CBD est une substance active, l’idée de ce petit livre est de donner des informations aussi bien à celui qui vend du CBD qu’à celui qui va le consommer pour en faire bon usage, en fonction de la raison pour laquelle il en consomme. Ce petit livre s’adresse à des gens qui ont envie d’essayer le CBD ou qui en ont déjà consommé. Ma première préoccupation en écrivant ce livre est d’abord l’usager, celui qui est intéressé par le CBD et veut en savoir plus.

ZW : Quelles sont les thématiques que vous abordez ?
N.A. : Le petit livre du CBD répond aux questions suivantes : est- ce que le CBD peut m’être utile ? Si oui, comment en consom- mer à moindre risque ? Quel CBD consommer ? Quelle posologie prendre ? Où l’acheter ? Auprès de qui prendre des conseils ? L’idée est…

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro 2 du magazine ZEWEED , disponible chez votre marchand de journaux sur ce lien .

 

 

Keep Reading