Alors que la légalisation du cannabis avance un peu partout dans le monde, la France intensifie sa répression tous azimuts. Est-ce la bonne solution ? « Pas du tout ! » s’exclame Éric Coquerel, député de La France insoumise, qui rêve d’un autre monde.
ZEWEED: Éric Coquerel, avec Bruno Retailleau comme ministre de l’Intérieur, peut-on dire adieu à la légalisation ?
Éric Coquerel : Avec lui, oui. Mais, comme je pense qu’il ne tiendra pas longtemps, c’est un adieu très provisoire et tout ça reviendra vite d’actualité. Et peut-être plus rapidement qu’on ne l’imagine parce qu’en réalité, c’est la seule solution pour que l’on commence à avancer à tous niveaux, en termes de politique sanitaire comme de sécurité.
Bruno Retailleau parle de « mexicanisation » de la France. La légalisation ne serait-elle pas un moyen de justement « démexicaniser » les quartiers ?
Attention au vocabulaire utilisé ; pour moi, c’est là n’envisager la question de la politique vis-à-vis des stupéfiants que d’un point de vue répressif. Et comme je pense que ce n’est pas la bonne voie, je n’ai pas très envie de reprendre le lexique très va-t-en-guerre du ministre de l’Intérieur.
Et donc ?
Je dirais qu’il faut amoindrir les effets des trafics en légalisant le cannabis, y compris dans la production et dans la diffusion, sous contrôle de l’État. Le Canada le montre : sa politique de légalisation a considérablement diminué les trafics et a permis de mettre en place une politique de santé publique plus efficace. Ça, c’est le premier point. Mais je pense qu’il faut également envisager une dépénalisation des usages de tous les stupéfiants, comme c’est le cas au Portugal. Ça ne réduira pas les addictions (ça, j’en suis sûr), mais on pourra au moins avoir une politique de santé publique digne de ce nom et une police qui sera utilisée contre les trafiquants et pas contre les usagers. Une solution tout-répressif ne réglera rien. La preuve : malgré tous ses efforts, la France est l’une des championnes du monde de la consommation de produits stupéfiants !
Vous parlez en votre nom propre ou en celui de La France insoumise (LFI) ?
Jusqu’à la légalisation, je parle au nom de LFI. Sur la dépénalisation, en mon nom propre.
“Au Canada, ils ont à peu près réduit de 60 % le trafic, c’est-à-dire que 60 % de la consommation du cannabis est passée dans le commerce légal. Ça donne un ordre d’idée de ce que ça pourrait rapporter”
Vous voyez un frémissement politique ?
Je le vois dans les débats qu’on a. Et, d’ici peu de temps, il va y avoir une proposition de loi transpartisane, initiée par plusieurs députés, dont moi-même, pour aller dans ce sens-là.
Une proposition qui réunira des députés de gauche et de droite, ou essentiellement à gauche ?
J’espère qu’il y aura des députés de gauche, mais on peut imaginer aussi qu’il y ait des députés du centre, pourquoi pas ? J’ai fait deux propositions de loi lors des deux derniers mandats : une sur la légalisation du cannabis et une autre pour réduire le trafic de stupéfiants, qui reprenait exactement l’exemple portugais.
Ça fume beaucoup de cannabis chez les députés ?
Je n’en sais rien et je n’essaye pas de savoir. Mais je ne vois pas pourquoi la proportion de consommation de cannabis que l’on constate dans la société ne serait pas la même à l’Assemblée nationale.
Il y a quand même un devoir d’exemplarité, de respect de la loi des représentants du peuple…
Oui, oui, oui. Il y a aussi un devoir d’exemplarité sur la consommation d’alcool. Ça n’empêche pas des gens de boire d’une manière importante à l’Assemblée.
Vous-même, vous fumez un peu ou pas du tout ?
Non, je ne fume plus de cigarette et je ne fume plus rien d’autre. Mais ce n’est pas par devoir d’exemplarité, mais plutôt par manque d’envie.
Y a-t-il des lobbies qui freinent la légalisation en France ?
Oui, il y en a de très puissants, au premier rang desquels les trafiquants. Il y a une telle masse d’argent en jeu que je ne vois pas pourquoi ce capitalisme-là (on va dire « délinquant ») ne s’organiserait pas comme le capitalisme officiel pour susciter des consommations.
“Je serais contre se contenter d’un modèle de type nord-américain où vous laissez au marché le soin de régler cette question parce qu’alors on ne réglera rien”
Les partis politiques ont-ils peur d’abattre un tel marché illégal qui leur assure une paix relative dans les quartiers ?
Ça va peut-être vous paraître naïf, mais j’espère que personne ne va jusqu’à formuler cette question dans ces termes. Parce qu’au-delà de la paix relative, assainir tout ça, ça va être un boulot énorme. Ces trafics foutent la vie en l’air de beaucoup de gens, que ce soient les usagers ou ceux qui subissent les trafics, y compris les petites mains, d’ailleurs. À partir de là, je serais contre se contenter d’un modèle de type nord-américain où vous laissez au marché le soin de régler cette question parce qu’alors on ne réglera rien. Donc, pour aller vite, il faudrait que ce soit sous le contrôle de l’État avec une politique qui se préoccupe de la santé publique et non de faire du business. Le pays au monde où ils l’ont fait [le Portugal, NDLR] a eu des résultats exceptionnels, en transférant entre autres la politique de coordination des stupéfiants du ministère de l’Intérieur au ministère de la Santé.
Au moment où les caisses de l’État sonnent creux, légaliser ne serait-il pas un moyen de les remplir en partie ? Avez-vous pu chiffrer cet éventuel apport dans le PIB, par exemple ?
De mémoire, le chiffre d’affaires annuel du trafic de stupéfiants s’élève, en France, à six milliards d’euros [Étienne Blanc, le rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur l’état du narcotrafic en France, l’a évalué dans une fourchette allant de trois milliards et demi à six milliards d’euros, NDLR]. C’est l’équivalent de la moitié du budget du conseil départemental de Seine-Saint-Denis ; ça pèse dans le PIB quand même. Au Canada, ils ont à peu près réduit de 60 % le trafic, c’est-à-dire que 60 % de la consommation du cannabis est passée dans le commerce légal. Ça donne un ordre d’idée de ce que ça pourrait rapporter. Chez nous, ça ferait un point de PIB, par exemple. Et je ne parle pas des effets induits sur la santé publique…
Il y a six millions de consommateurs de cannabis en France. Porter le débat sur la légalisation de manière forte serait un bon moyen d’intéresser les jeunes à la politique et, de manière plus cynique, de s’assurer un sacré réservoir de voix. Ce débat va-t-il peser dans la prochaine élection présidentielle ?
Au moins sur la légalisation, j’espère. Je ne sais pas si l’on ira jusqu’à assumer la question de la dépénalisation de tous les usages mais, sur la légalisation, oui, je pense qu’il pèsera à partir du moment où le sujet est devenu aussi massif nationalement.