Alexis Lemoine

Journaliste, peintre et musicien, Kira Moon est un homme curieux de toutes choses. Un penchant pour la découverte qui l'a emmené à travailler à Los Angeles et Londres. Revenu en France, l'oiseau à plumes bien trempées s'est posé sur la branche Zeweed en 2018. Il en est aujourd'hui le rédacteur en chef.

En Californie, la Saint Valentin rapporte gros à l’industrie du cannabis récréatif

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Le 14 février, c’est aussi un grand moment de romantisme industriel : coiffeurs surbookés, menus spéciaux hors de prix, bouquets clonés, tarifs Uber triplés. En Californie, terre sacrée du cannabis récréatif, le business de la  Saint-Valentin se décline en vert double:  vert comme la weed, vert comme le billet. Tu m’aimes combien?

Love me higher

Depuis la légalisation du cannabis récréatif en 2016, la Californie s’est imposée comme l’épicentre mondial du weed-commerce. Et comme toute industrie bien rodée, elle a flairé le filon de la Saint-Valentin. Résultat : des campagnes marketing calibrées comme des séries Netflix, avec des packagings roses flashy, des slogans façon high love et des produits qui promettent de mixer détente et passion.
En 2023, les ventes ont grimpé de 22 % en moyenne autour du 14 février, atteignant près de 500 millions de dollars sur la semaine, selon Headset. Les produits infusés au THC, notamment les chocolats et huiles de massage, connaissent des pics de +35 %.

Parmi les stars du marché : les chocolats infusés au THC, parfaits pour un effet slow-burn romantique, les huiles de massage au CBD, qui font briller les peaux et détendent les esprits, ou encore les pré-rolls spécialement conçus pour booster la libido. « Les couples cherchent des expériences sensorielles nouvelles, et le cannabis leur offre exactement ça« , explique Amanda Jones, directrice marketing chez Kiva Confections. Des marques comme Lowell Herb Co ou Dosist rivalisent d’ingéniosité pour séduire un public en quête d’expériences inédites.

Le marché du désir sous influence

Si la weed était autrefois associée aux glandeurs couch-lockés devant la télé, elle est aujourd’hui un symbole de lifestyle cool et assumé. « Le cannabis ne sert plus seulement à planer, il est devenu un outil du bien-être quotidien, et ça inclut le romantisme » confirme Josh Del Rosso, cofondateur de Connected Cannabis.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon une étude récente, les ventes de produits au cannabis augmentent de 20 à 30% en février, avec un pic évident autour du 14. « Nos ventes de produits infusés au CBD explosent avant la Saint-Valentin, surtout les huiles de massage », ajoute un porte-parole de Papa & Barkley. Autrement dit, les couples (et les célibataires) ne se contentent plus d’un dîner au champagne, ils veulent aussi une expérience sensorielle complète. « On vend du rêve et du bien-être, et les consommateurs adorent« , explique le CEO de Dosist.&nbsp.
Love, weed & cash : le trouple parfait.

ZEWEED avec Ganjapreneur, Cannarerporter et 420 Intel

Freak Brothers story

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Géniale création du texan Gilbert Shelton, les Freak Brothers sont à la contre-culture américaine ce que les Pieds Nickelés sont à la BD française : un monument graphique à la gloire de la glande (dé)constructive.
Retour sur les stupéfiantes aventure des Fabulous Furry Freak Brothers ; Phineas Phreak, Freewheelin’ Franklin et Fat Freddy, légendaire trio comics de la période hippie.

Les Fabulous Furry Freak Brothers (titre original) désigne trois barjots (freaks en anglais) et chevelus (furry) qui passent leur temps à essayer de se procurer des drogues, tout en se moquant de l’establishment.
Nés à Austin sous le crayon de Gilbert Shelton, qui écrivait alors des bandes dessinées pour le magazine underground The Rag, les trois Freaks Brothers ( Phineas Phreak, Freewheelin’ Franklin et Fat Freddy ) avaient initialement été croqués par Shelton pour promouvoir un court-métrage ( La Marche des hippies du Texas sur le Capitol) lorsqu’il était directeur artistique d’une salle de concert à Austin. L’affiche s’avéra beaucoup plus populaire que le film et, très vite, les Freak Brothers eurent droit à leur propre BD dans The Rag.

Shelton goes west

En 1968, Shelton met les voiles pour San Francisco, pour rejoindre la scène bouillonnante de la Bay Area et fonde Rip Off Press avec trois autres hippies, eux aussi originaires du Texas.
Alors que les cartoons de leurs contemporains sont noirs et cyniques, ceux mettant en scène les Freak Brothers affichent un humour aussi drôle que pointu, jonché d’une bonne dose d’autodérision ; soit les tribulations de trois hommes célibataires (mais qui ne sont pas de vrais frères), partageant un appartement à Frisco avec une armée de cafards et Fat Freddy, un chat sarcastique et débonnaire. Totalement rebutés par l’idée d’avoir à travailler, les Freak Brothers débordent en revanche d’énergie et de créativité lorsqu’il s’agit de se procurer toutes sortes de drogues.

Le Freak, c’est comique!

Les substances psychotropes sont le thème prédominant de toutes les histoires des Freak Brothers, avec une nette préférence pour la weed, qui est omniprésente.
La seule drogue qu’ils refusent systématiquement est l’héroïne. En exemple, dans un épisode, Franklin refusera une offre de smack alors qu’il fait de l’autostop.
Dans Grass Roots, les Freaks trouvent un stock de cocaïne, de quoi “subsister” durant une année, et partent tout de go s’installer à la campagne.

Ils y seront rejoints par trois femmes hippies et profiteront de la beauté de la nature, de leur magnifique demeure et snifferont tout leur stock de coke en deux jours. La descente est brutale quand ils découvrent que leur palace scintillant au milieu d’une jolie clairière est en fait une ferme complètement délabrée, proche d’une décharge, et que les environs sont peuplés de hillbillies agressifs. Un épisode des Freak Brothers qui n’est pas sans rappeler la fin du film Easy Rider, sorti à la même époque : les deux principaux protagonistes, Wyatt et Billy (Peter Fonda et Dennis Hopper) se font abattre par des rednecks ; charge brutale sur les limites de l’utopie “peace and love” et le fossé culturel séparant hippies et hillbillies.
Le gouvernement n’est pas en reste, objet de mille moqueries ; les politiciens et fonctionnaires étant invariablement dépeints comme incompétents et…

Madness sans frontières

Si chaque histoire des Freaks Brothers débute de façon assez réaliste, de cases en bulles, elles finissent toujours par verser, si ce n’est dans l’absurde, dans le joyeux comique de pantomine.
Contre toute attente, les Freaks ne sont pas resté scotché au sofa de leur appartement et à Frisco, puisque la fine équipe franchira plusieurs fois les frontières (au sens propre) notamment dans The 7th Voyage of the Fabulous Furry Freak Brothers: A Mexican Odyssey où le trio passe des vacances au Mexique avant d’être jetés en prison (classique !) . Puis de s’en échapper grâce à l’aide du shaman Don Longjuan, dans une parodie on ne peut plus évidente des livres de Carlos Castaneda, qui faisaient fureur à l’époque.

Ou encore dans The Idiots Abroad: les Brothers partent vers la Colombie dans l’espoir de trouver de la coke pas chère… mais aucun d’entre eux n’arrivera jusqu’à Bogota.
Fat Freddy se retrouveront mêlés à un groupe de terroristes nucléaires en Ecosse, avant de perturber la parade du 1er mai à Moscou et être vendu comme esclave en Afrique. De son coté, Franklin manquera de peu d’être  tué par les membres d’une secte apocalyptique en Amérique du Sud, puis rejoindra un groupe de pirates, alors que Phinéas échoué à La Mecque deviendra l’homme le plus riche du monde après avoir créé une nouvelle religion.

Exile Parisien et come-back américain

Tout au long des années 70, les aventures des Freak Brothers paraîtront dans Playboy, High Times et Rip Off Comix.
A partir des années 80 le nombre de lecteurs des Freak Brothers a considérablement baissé. En 1985 Gilbert Shelton s’installe définitivement à Paris, où les aventures des Freak Brothers continuent à se vendre dans les librairies du Quartier Latin, à la grande satisfaction de leur auteur qui voyait que la BD est bien plus respectée en France qu’aux Etats-Unis.
Avec l’aide de ses deux complices Dave Sheridan et Paul Mavrides, il continuera d’écrire jusqu’en 1992.
Ses BD seront aussi publiées dans le légendaire magazine Actuel.

Il faudra attendre 2020 pour que les Freak Brothers fassent leur retour aux USA, sous la forme d’une série d’animation.
En 1987, un projet similaire avait été monté avant d’être abandonné avant une autre tentative qui connaîtra le même sort au début des années 2000.
Il faudra attendre 2018 pour qu’aboutisse la production d’un film d’animation Freaks Brothers. Forte d’un scénario original, la série sera ensuite diffusée sur la chaîne de streaming Tubi.

Hibernation et résurrection

L’histoire commence en 1969 à San Francisco lorsque les trois Freaks entrent en contact avec un gourou indien qui a inventé un additif spécial pour la weed. Ils le rencontrent finalement à Woodstock et lorsqu’ils fument un joint de sa préparation spéciale… ils s’endorment durant 50 ans.
En se réveillant en 2020 les Freaks découvrent que leur vieil appartement niché au sous-sol est désormais surplombé d’une maison habitée par un couple désespérément woke et rigide.

Tout leur quartier de « Basura Vista » (vue poubelle en espagnol) est maintenant totalement tombé dans la gentrification, peuplé de banquiers et de hipsters.
Mais tout n’est pas totalement noir pour nos Freaks car la weed est maintenant légale à Frisco, et c’est la fête pour les Bro’s !

Portrait de famille

  • Fat Freddy : il est le plus gentil (et le plus stupide) des trois, généralement celui à qui incombe la mission d’aller chercher la dope, même si sa tendance à se faire arnaquer frise le systématisme.
  • Phineas Phreak : cheveux hirsutes et barbe noire, affublé d’un nez en forme de joint, il est le plus politiquement engagé de la clique, jamais avare d’une citation qu’il souhaiterait philosophique.L’archétype du militant de gauche (left wing radical), à l’image d’un Abbie Hoffman ou d’un Jerry Rubin. C’est aussi un passionné de chimie qui passe une grande partie de son temps à essayer de créer de nouvelles drogues.
  • Freewheelin’ Franklin, avec son chapeau de cowboy, son gros nez qui surplombe un long menton, il est le freaks “country” de la fratrie. Orphelin, il est le plus âgé et le plus « street wise » des trois, généralement plus relax que ses acolytes parce qu’il a davantage d’expérience.
  • Fat Freddy’s Cat est le chat blasé qui partage l’appartement des trois frères petard. Fat Freddy’s Cat a par ailleurs droit à sa propre BD dans chaque album des Freak Brothers.
    Félin-malin, il est beaucoup plus intelligent que son propriétaire (qu’il surnomme “l’obèse”) et regarde les Freaks avec un mépris teinté d’amusement.
  • Norbert the Nark, est un agent de la DEA (la brigade des stups américaine) inefficace qui essaye toujours (et sans succès) d’arrêter les Freaks.
  • Hiram « Country » Cowfreak, est un hippie qui cultive de vastes quantités de weed dans une ferme isolée. Il est surnommé « le cousin ».
  • Dealer McDope, est l’un des dealers du trio. On parle souvent de lui bien qu’il n’apparaisse presque jamais en personne dans les albums.
  • Tricky Prickears : est un flic aveugle et sourd, souvent appelé le policier préféré des Freak Brothers (c’est aussi une parodie de Dick Tracy).
  • Le Gouverneur Rodney Richpigge, est l’archétype du politicien riche et corrompu que les Freak Brothers détestent. Cerise sur le gâteau : son fils est dealer de cocaïne.
Après le succès de la saison 1, la saison 2 a débarqué en juin dernier sur Tubi.

 

Trop scotché pour arrêter le cannabis? Voici la pilule miracle d’Aelis Pharma.

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Dormez tranquilles, fumeurs de joints compulsifs, la science vole à votre secours ! Fini les remords post-bang et les promesses envolées  « j’arrête demain (mais au fait on est quel jour?) », la start-up française Aelis Pharma aurait trouvé la potion magique contre l’addiction au cannabis. Son nom ? AEF117. Son but ? Vous dégoûter du THC sans effort. Awsome?

Candidats à la canna-détox, avant que vos yeux rouges ne pleurent de joie, rappelons un fâcheux précédent : en 2008, le Rimonabant de Sanofi devait être la réponse à tous les maux. C’était sans compter les effets secondaires rapportés par les patients: anxiété, dépression, suicide… Résultat : la potion magique de Sanofi a été déclarée persona non grata par les agences de santé. HAS en tête.
Rassurez-vous, Aelis Pharma promet qu’AEF117 est différent ! « Une molécule qui bloque les effets du THC sans aucun effets indésirable. Tous les feux sont au vert » explique son PDG Pier Vincenzo Piazza. Donc une pilule qui vous empêche d’apprécier le cannabis, mais sans aggraver votre humeur, qui risque d’être passablement mauvaise les premiers jours.

Car l’addiction au cannabis reste un problème bien réel. En tous cas selon l’Observatoire français des drogues et tendances addictives (OFDT), qui estime à 10 % le nombre d’usagers devenant dépendants. Mais qui a réellement envie d’un traitement chimique pour se passer d’une substance qui n’est pas physiquement addictive? Le problème principal n’est-il pas l’accès à un suivi psychologique de qualité ? Une addiction, ce n’est pas juste une lumière à éteindre dans le cerveau via une molécule miracle.

Mais qu’importe, sur le segment weed, il s’agit de trouver de nouveaux marchés lucratifs alors que le cannabis médical peine à s’implanter en France. Et pourquoi pas faire fortune sur ceux qui veulent se passer du récréatif?  Si AEF117 passe les dernières phases de test, il ne restera plus qu’à attendre la publicité gouvernementale nous expliquant que la drogue, c’est mal, mais que cette pilule, c’est bien. En attendant, les consommateurs devront se contenter des bonnes vieilles techniques : volonté, thérapie et…culpabilisation.

La République tchèque sur le chemin de la légalisation du cannabis récréatif

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Après des mois d’attente, un amendement ouvrant la voie à un marché du cannabis à usage adulte entièrement commercialisé a enfin été soumis au gouvernement tchèque.

ZEWEED avec Business of cannabis

Cet amendement, rattaché à un projet de loi sur l’auto-culture présenté en novembre dernier, oblige désormais le gouvernement à en débattre sous l’angle d’une réglementation complète. Une avancée qui survient alors que la Tchéquie tente de s’imposer comme le pays le plus libéral d’Europe en matière de cannabis, mais qui bute depuis des mois sur l’inertie politique : si le texte de loi est prêt, aucun élu n’a jusque-là osé le porter devant le Parlement.
À l’approche des élections de novembre, la course est lancée pour encadrer le secteur avant la fin du mandat.

Sortie de l’impasse ?

Depuis mai 2024, un projet de loi porté par l’ancien coordinateur national aux drogues, Jindřich Vobořil, et visant à instaurer un marché de vente au détail réglementé du cannabis, est prêt. Mais il végète aux portes du gouvernement, en attente qu’un Premier ministre ou un leader de la coalition se décide à le présenter officiellement devant l’assemblée.

Malgré un soutien populaire grandissant, le parti chrétien-démocrate KDU-ČSL ne cesse de s’opposer au texte. Un compromis a tout de même été trouvé sur l’auto-culture, avec la légalisation de la culture de trois plants de cannabis et la possession de petites quantités pour usage personnel.

En novembre, le gouvernement a validé un projet distinct qui modifie le Code pénal en ce sens : culture de trois plants et possession de 50g à domicile et 25g en public. Un premier pas, certes éloigné de la légalisation totale prônée par Vobořil, mais qui pourrait bientôt être dépassé grâce à l’amendement déposé.

Une avancée décisive, mais sous tension

L’amendement a été soumis par surprise par un député du Parti Pirate, fervent défenseur de la réforme. Ce coup de théâtre a cependant semé le trouble dans les rangs des partisans de la légalisation. Sur Facebook, Jindřich Vobořil s’en est pris au leader des Pirates, Ivan Bartoš, l’accusant d’avoir failli à son engagement en ne le soutenant pas activement lorsque lui-même portait la proposition. Autre grief : l’amendement a été déposé dans la discrétion la plus totale, sans communication préalable aux médias, ce qui aurait court-circuité un plan prévoyant qu’il soit porté par un élu du parti ODS du Premier ministre, spécialiste des questions de santé.

Un projet plus ambitieux que prévu

L’amendement, rédigé par le think tank Rational Addiction Policy avec des juristes spécialisés en droit pénal, vise à aller plus loin que la simple décriminalisation. Selon eux, la réforme pénale portée par le ministre de la Justice, Pavel Blažek, reste insuffisante et laisse la porte ouverte à la répression des consommateurs.

L’une des principales inquiétudes concerne la limite de 50g de fleurs séchées pour les cultivateurs domestiques. Jugée trop basse – un jardinier expérimenté pouvant produire entre 100 et 500g par plant –, cette restriction risque d’aboutir à une situation absurde où les petits cultivateurs seraient encore criminalisés. Une problématique similaire à celle rencontrée en Allemagne.

Pour MUDr. Pavel Kubů, cette contradiction entraînerait une poursuite des poursuites inutiles, gaspillant des ressources publiques précieuses qui pourraient être mieux investies ailleurs. De son côté, Dr Tomas Ryska, membre de l’association Rational Regulation (RARE), estime qu’avec cet amendement, la légalisation entre enfin dans l’arène politique : « Ils devront maintenant débattre du texte sous l’angle d’une régulation complète. Ce n’est que le début de la discussion. »

Un calendrier encore incertain

Si l’amendement est officiellement sur la table, aucune date n’a encore été fixée pour son examen en séance parlementaire. En attendant, la tension monte au sein de la communauté cannabis tchèque, notamment à cause d’un autre projet de loi controversé sur les substances psychoactives (PML).

Prévu pour entrer en vigueur en juillet 2025, ce texte prévoit une régulation plus stricte du CBD et du kratom, provoquant l’ire des militants. Certains accusent même cette réforme de détourner l’attention de la légalisation du cannabis récréatif.

Avec ce nouveau cadre législatif, la vente de CBD serait soumise à des restrictions accrues, ce qui pourrait étouffer l’industrie locale. Une campagne dénonçant ce « massacre du CBD » a récemment circulé sur les réseaux sociaux sous le slogan : « Gouvernement tchèque ! Ne nous laissez pas sans choix !»

Ironie du sort, selon Jindřich Vobořil et les architectes du PML, sans cette réglementation, le CBD risquait une interdiction pure et simple ou une classification comme « novel food », impliquant une procédure d’homologation longue et coûteuse.

En route vers une légalisation totale ?

Le dépôt inopiné de l’amendement relance le débat et met la pression sur les élus. Désormais, la République tchèque pourrait devenir le premier pays d’Europe à adopter une législation ultra-libérale sur le cannabis. Encore faut-il que le Parlement trouve le courage d’ouvrir enfin les discussions.

 

 

Quand Donald Trump se prononce en faveur de la légalisation du cannabis

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Farouchement prohibitionniste durant son premier mandat, Donald Trump a soutenu la légalisation du cannabis en Floride durant la campagne présidentielle de 2024, se fendant même d’un spot TV. Make weed great again!

En campagne, Donald Trump avait promis qu’il dépénaliserait le cannabis s’il venait à être élu . Le magnat de l’immobilier s’était même prononcé pour sa légalisation en Floride, fort d’un spot TV à découvrir ci-dessous. Un surprenant élan progressiste pour un va-t-en-guerre de la weed qui avait voulu empêcher de nouveaux Etats de sortir de la prohibition durant son premier mandat.

De son coté, Elon Musk oeuvrait en coulisse pour s’assurer que la promesse de campagne du candidat républicain se cantonne à l’effet d’annonce, en donnant en coulisse 500.000 dollars pour que le cannabis ne soit pas légalisé dans le Sunshine State.
On appréciera le cynisme politique du CEO de Space X, qui se targue d’être un ganja-enthousiaste  à grands coups de comm’, se soigne à la kétamine et dont la consommation de drogues psychédéliques inquiète le Pentagon.
Le 5 Novembre, dans un état où la course à la Maison Blanche est traditionnellement très serrée, Donald Trump a largement devancé Kamala Harris (56,1% contre 43,9%) après avoir fait les yeux doux à une partie de l’électorat démocrate. Quant à l’amendement 3, qui visait à légaliser le cannabis récréatif en Floride, il n’a pas obtenu les 60% de suffrages nécessaires à son adoption

 

Allemagne : la légalisation du cannabis en péril?

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A quelque trois semaines des élections législatives, la CDU et son alliée bavaroise, la CSU, ont annoncé dans leur programme électoral vouloir « abolir la loi sur le cannabis du précédent gouvernement ». Avec ces partis en tête des sondages, cette promesse électorale pourrait bien faire revenir l’Allemagne à l’âge de la prohibition.

La CDU/CSU caracole en tête avec 31 % des intentions de vote. Mais pour gouverner, elle devra s’allier à un autre parti, excluant d’office l’extrême droite de l’AfD, actuellement deuxième dans les sondages. Un casse-tête qui pourrait la forcer à composer avec une formation pro-cannabis.
Le principal argument contre la légalisation ? L’explosion des prescriptions de cannabis médical, soupçonné de masquer un usage récréatif déguisé. Une situation amplifiée par la lenteur extrême du processus d’octroi de licences aux associations de culture.

Dans son manifeste électoral, la CDU/CSU martèle que la loi actuelle « protège les dealers et expose nos enfants à la drogue et à la dépendance ». Une rhétorique choc, mais floue : l’annulation de la loi signifierait-elle aussi le retour du cannabis médical dans la liste des stupéfiants ?
Interrogé par Handelsblatt, Tino Sorge, porte-parole santé du parti, a dénoncé la légalisation comme « une grave erreur à corriger« , sans préciser si cela impliquerait un retour au statut de stupéfiant.

L’argument phare des opposants ? L’accès trop facile au cannabis médical, qui deviendrait un détour pour les consommateurs récréatifs. Des entreprises comme Dr Ansay sont dans le viseur, accusées de profiter des failles du système pour permettre des prescriptions sans réel contrôle médical.
Un reportage choc de la ZDF révèle que la plateforme facilite l’obtention d’ordonnances via de simples questionnaires en ligne, évitant les consultations physiques. Pire encore, certains médecins de l’UE prescriraient du cannabis sans respecter les règles éthiques. Une praticienne autrichienne aurait délivré des ordonnances sans jamais rencontrer ses patients, son adresse professionnelle étant introuvable.

Economie florissante sous pression

En parallèle, l’imbroglio autour des associations de culture bloque l’accès légal au cannabis récréatif. À ce jour, seulement 90 licences ont été accordées sur 442 demandes, freinant l’essor du marché légal et alimentant la consommation via le marché noir ou le cannabis médical.
Malgré ces vents contraires, l’industrie du cannabis médical ne s’est jamais aussi bien portée. Selon un rapport du Bloomwell Group, les pharmacies ont enregistré une hausse de 1000 % des prescriptions entre mars et décembre 2023, boostée par la loi entrée en vigueur le 1er avril.

Les variétés disponibles ont presque doublé et le prix moyen au gramme a chuté, passant de 9,27 € en janvier à 8,35 € en novembre. Les souches à forte teneur en THC (plus de 25 %) gagnent du terrain, représentant 29 % des prescriptions en fin d’année.
À l’approche du scrutin du 23 février, les professionnels du secteur montent au créneau pour défendre le CanG Act. L’Association allemande des entreprises du cannabis (BvCW) a publié un manifeste intitulé Le cannabis, moteur de croissance : Opportunités industrielles et options politiques. Son président, Dirk Heitepriem, souligne l’importance de ce marché pour l’investissement étranger et l’économie allemande en crise.

David Henn, de Semdor Pharma, alerte : « Si la loi était abrogée, ce serait un séisme pour l’industrie. Je suis convaincu que 70 % des entreprises du secteur disparaîtraient en un an. »
Mais tout le monde n’est pas contre un encadrement plus strict, notamment pour les téléconsultations. Le BvCW plaide pour une modernisation des règles afin de mieux réguler ces pratiques tout en préservant l’accès des patients en zones rurales.
Dans ce contexte explosif, l’Allemagne joue à partir du 23 février une partie décisive pour l’avenir du cannabis sur le Vieux Continent.

ZEWEED avec AFP, Business of cannabis.

Hollyweed : la ganja au cinéma en 8 films

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ZEWEED célèbre en 8 films  la relation centenaire complice, déchirante et passionnelle entre le grand-écran et la fumette. Rétrospective pour élargir ses perspectives…

Reefer Madness (1936), ou comment Hollywood, bien qu’enfumé, édifia le cannabis en substance diabolique

À Hollywood, il était tacitement acceptable de fumer un joint ; la plupart des travailleurs du cinéma étaient de temps à autre complètement high. Pourtant, à l’écran, les quelques films de l’époque traitant de la substance sont des pamphlets redoutables et exagérés. C’est qu’en cette fin des années 1920, début des années 1930, une importante campagne anti-herbe a envahi la presse sensationnaliste et s’impatiente de s’en prendre au 7e art. Dès 1933, commencent à s’enchaîner des productions qui font de la marijuana une substance absolument démoniaque. C’est dans ce contexte qu’une communauté religieuse chrétienne commande au réalisateur Louis J. Gasnier, l’aujourd’hui culte Reefer Madness (Stupéfiants dans sa version française), qui, initialement, était destiné à être projeté dans les écoles. Dans Reefer Madness, une bande d’adolescents rencontre un dealer de cannabis qui, tour à tour, leur fait fumer leur premier joint. Les conséquences sont atroces et inimaginables : un premier renverse un piéton et, rongé par la culpabilité, perd totalement les pédales pour finir neurasthénique dans un asile de fous ; une autre manque de se faire violer avant d’être accidentellement abattue par son copain, qui est en pleine hallucination ; un autre encore, bat à mort le dealer avec une matraque, pendant qu’une dernière est traversée par une crise de rires spasmodiques et incontrôlables, avant de se jeter par la fenêtre à cause d’un adultère. Voilà de quoi vous faire une petite idée de l’ambiance du film et du pouvoir extraordinaire que donnèrent les scénaristes d’Hollywood, probablement défoncés et en pleine crise de paranoïa, au cannabis. D’ailleurs, dans les années 1970, le film a paru tellement excessif qu’il en est devenu culte. Il est entré dans les classiques des midnight movies, aux côtés de films comme El Topo d’Alejandro Jodorowsky (1970) ou Eraserhead de David Lynch (1977).

Militantisme : 0/5
Degré de yeux rouges : 5/5
Impact sociétal : 5/5
Qualité cinématographique : 1/5

 

Easy Rider (1969), ou comment les hippies firent souffler un vent nouveau et capiteux, mais aussi diablement rentable sur le cinéma

Dans une ville comme Los Angeles, à la fin des années 1960, être sous influence du mouvement hippie n’a rien d’exceptionnel, et il faut imaginer que des mecs comme des agents immobiliers pratiquent le Yoga Hatha, mènent une vie sexuelle délurée et sont fascinés par des notions telles que les vies antérieures ou le voyage astral. Pourtant, sur les écrans, rien de nouveau : défoncé, tard dans la nuit, toujours les mêmes westerns avec John Wayne ou les commissaires délavés de Felony Squad. Ainsi, la sortie du film Easy Rider intervient comme un véritable réalignement des planètes entre Hollywood et ses spectateurs ; un vrai petit miracle. Pourtant, l’idée est simple : Dennis Hopper, acteur encore partiellement célèbre et longtemps banni des studios, reçoit un coup de fil de Peter Fonda lui proposant de « faire un road trip avec deux mecs, des motos, du sexe, de la came et des bouseux en pick-up qui les flinguent ». Pour une somme dérisoire, le fils du patron de Colombia Pictures les produit. Le tournage sera chaotique ; le scénario n’est que partiellement écrit, car leur script doctor s’est fait la malle ; Dennis Hopper, qui vient de se faire larguer par sa femme, est tout le temps défoncé et n’arrête pas d’insulter les techniciens ; presque toutes les scènes sont improvisées ; et, qui plus est, Jack Nicholson est le seul interprète à connaître ses lignes. Pourtant, à la fin du tournage, ils sont convaincus du chef-d’œuvre. À Cannes, le film est un franc succès et, malgré un accueil mitigé de la critique américaine, Easy Rider explose au box-office et devient l’un des films les plus rentables de l’histoire du cinéma. Pour la première fois sur la toile, la marijuana est représentée comme un moyen de subvertir le regard, d’ouvrir de nouvelles perceptions ; elle n’est plus seulement dangereuse mais émancipatrice, créatrice d’un trip existentiel, permettant au montage toutes les audaces formelles et sensibles. Easy Rider deviendra le film culte d’une génération.

Militantisme : 4/5
Degré de yeux rouges : 5/5
Impact sociétal : 5/5
Qualité cinématographique : 4/5

Taking Off (1971), ou comment administrer une leçon de fumage de joint à des parents inquiets

Forts du succès d’Easy Rider, les producteurs d’Hollywood abandonnent studios et films à gros budget, pour récupérer de jeunes réalisateurs subversifs. Parmi eux, Milos Forman : enfant terrible de la nouvelle vague tchèque, fraîchement arrivé aux États-Unis, après avoir échappé à la sanglante répression du Printemps de Prague, en 1968. Il a déjà réalisé trois films aux narrations novatrices et aux tons irrévérencieux. Taking Off est son premier film américain. Le tournage commence l’été 1970 à New York : casting sauvage, budget minimum, aucune vedette, aucune barrière, ni coiffeur, ni maquilleur, ni loge, ni caravane. On y suit Jeannie, quinze ans, qui a fugué de chez ses parents pour vivre avec un chanteur hippie, puis ceux-ci, partant à sa recherche et arpentant les rues du New York baba cool en costard trois-pièces et tailleur Chanel. S’enchaînent les ballades folks et les scènes cocasses et satyriques jusqu’à l’instant paroxystique où un groupe de darons se fait administrer une leçon de fumage de joint en bonne et due forme. Avec Easy Rider, Taking Off posera les premières pierres du nouvel Hollywood. Cette génération de réalisateurs américains inspirés par la Nouvelle Vague et le néoréalisme italien, réalisera une succession de films révolutionnaires, de M.A.S.H. de Altman à Conversation secrète de Coppola, en passant par Taxi Driver de Scorsese, qui décrasseront la représentation de la société américaine, tout en faisant la joie des gros studios, car ils coûtent si peu à produire et rapportent tellement. Peu à peu, le discours de ces jeunes réalisateurs s’estompera, digéré par les géants comme la Warner ou la Fox, et la fumée du joint disparaîtra emporté par les vents glacés de l’échec de 68, Nixon, Giscard ou encore la Manson family, avant que le spectateur ne se réveille définitivement pour le bad trip que vont être les années 1980.

Militantisme : 3/5
Degré de yeux rouges : 4/5
Impact sociétal : 4/5
Qualité cinématographique : 4/5

 

Midnight Express (1978), ou comment traumatiser une génération d’adolescents à propos du cannabis

Dix ans ont passé depuis la folle équipée de Dennis Hopper : la fin d’un rêve, d’une parenthèse enchantée. Nixon est passé par là, les punks chantent « No Future », les soixante-huitards dépriment, et les derniers terroristes du flower power vivent planqués comme des cafards. Le pire sera encore à venir : Reagan, les golden boys et leurs décapotables, et le durcissement des peines requises dans les tribunaux… La « War on Drugs » carbure à plein régime et, au même titre que l’héroïne, le cannabis a été désigné comme ennemi public numéro un des États-Unis. C’est dans ce climat global que le réalisateur britannique Alan Parker décide d’adapter le témoignage de William Hayes ; jeune Américain qui a bien failli passer trente années dans une prison turque pour avoir tenté de sortir du pays avec deux kilos de cannabis, avant de parvenir à s’évader dans des circonstances qui sont restées jusqu’à aujourd’hui assez floues (à la nage, en barque, avec ou sans l’aide de la CIA…). Le scénario est confié au tout débutant Oliver Stone qui, on le sait maintenant, n’allait pas toujours faire dans la dentelle. De la surdramatisation du script allait naître une image mensongère mais saisissante de la Turquie, que Stone et Hayes désavoueront eux-mêmes plus tard. La prison a des allures dantesques, remplie de cavernes et de tunnels parallèles ; la plupart des Turcs portent des fez, ce qui revient à peu près à mettre des hauts-de-forme à des Français des années 1970 ; les gardiens sont d’une très grande cruauté, souvent huilés et toujours adeptes du viol. Autant de clichés racistes qui allaient pour longtemps collés à la peau des Turcs, si bien que le film, là-bas, sera interdit jusqu’en 1993. Pour autant, avec sa B.O. géniale et novatrice signée Giorgio Moroder et sa grande puissance tragique et existentielle, le film allait marquer tout l’inconscient collectif d’une génération ; étrange avertissement subliminal des châtiments terribles que peuvent attendre des adolescents boutonneux au moment de fumer leur premier joint.

Militantisme : 3/5
Degré de yeux rouges : 4/5 
Impact sociétal : 4/5
Qualité cinématographique : 4/5

Friday (1995), ou comment la black exploitation lança l’inépuisable filon des stoner movies et redora l’image de la marijuana

Après le vide qu’ont représenté les années 1980, le cannabis fait un retour en force au cinéma dans les années 1990. Clinton vient d’être élu ; la loi s’est assouplie et, d’ici un an, la Californie va être le premier État à légaliser l’herbe. À la même période, le hip-hop prend une telle ampleur que certains rappeurs deviennent d’énormes personnalités médiatiques et passent régulièrement au cinéma. C’est le cas d’Ice Cube, membre fondateur de N.W.A. qui a déjà tourné dans Boyz n the Hood – un des premiers drames où l’on dépeint frontalement la violence des ghettos (le film inspirera largement La Haine de Kassovitz, en 1995). Ice Cube veut remettre le couvert mais, cette fois, avec un film de sa propre initiative. Il veut faire une chronique de Compton, par-delà l’image parfois éculée et sensationnaliste de la violence des gangs ; ce sera une comédie, un stoner movie. Le pitch est simple et deviendra un classique inépuisable : deux hédonistes (ici, Ice Cube et le plus tard célèbre Chris Tucker) dont l’un (Ice Cube) vient de se faire virer, passent l’après-midi ensemble à fumer des joints dans leur canapé. Ajoutez à cela un élément perturbateur (ce pourrait être une bande de nazis super méchants qui vous prennent pour un autre, ou une grosse dalle avec un fast-food comme une quête du graal, ou bien d’être carrément pris en chasse par des psychopathes du KGB…), les deux buddies doivent 200 balles à un dealer avec une coupe de cheveux inquiétante qui les menacent de les abattre de deux balles dans la tête s’ils ne le remboursent pas d’ici demain. Suivra une succession de rencontres hallucinée dans le ghetto, drôles, souvent tendres, toujours édifiantes ; faisant du film un portrait loufoque mais sensible du South Los Angeles. Pour la première fois, le cannabis est représenté au cinéma sans inquiétude, avec une vraie légèreté. Friday ouvrira la voie à des dizaines et dizaines d’autres stoner movies.

Militantisme : 4/5
Degré de yeux rouges : 5/5 
Impact sociétal : 4/5
Qualité cinématographique : 4/5

 

 

The Big Lebowski (1998), ou comment les Coen firent un crochet par la comédie cannabique

En 1998, la réputation des deux frères n’est plus à faire : depuis Blood Simple (Sang pour sang, 1984), ils ont multiplié les prouesses cinématographiques, entre thrillers implacables et comédies macabres, créant une vision inédite des US, peuplés de loosers magnifiques évoluant dans des trames cauchemardesques et kafkaïennes, jusqu’à remporter la Palme d’or en 1991, avec l’hollywoodien et introspectif Barton Fink. Depuis quelques années et leur rencontre décisive avec Jeff Dowd (producteur nébuleux de L.A., ex-militant anti-Vietnam War qui, dans les années 1960, purgea une petite peine de taule pour ses exploits en manifs), les Coen mûrissent les aventures d’un alter ego de celui-ci, à la différence qu’il ne pratique pas le softball mais le bowling – sport encore largement plus épicurien. Pour l’incarner, ils choisiront Jeff Bridges qui semble avoir été le Dude toute sa vie. Ce personnage culte prendra forme à coups de détails savoureux ; à commencer par ce peignoir trop petit dans lequel il se trimballe partout, son énorme consommation de joints roulés à la marocaine, son obsession pour les White Russian et ses habitudes dans un fameux club de bowling où il retrouvera, tout le long du film, une galerie d’énergumènes hilarants, dont son meilleur ami, Walter Sobchak – synthèse entre un hippie et un fan d’armes à feu. Mais, rapidement, sa dolce vita va se retrouver bouleversée par un quiproquo aux allures de complot qui a tout d’un bon coup de paranoïa, à la suite d’une consommation excessive, rassemblant des néonazis accompagnés d’un furet mangeur de couilles, une artiste juchée sur une balançoire faisant une action painting à l’accent particulièrement vaginal, ou encore un magnat philanthrope et lugubre à la recherche de sa toute jeune deuxième femme dont les ravisseurs semblent avoir coupé un gros orteil qu’elle venait d’avoir soigneusement verni. Ce stoner movie des Coen, aux accents assumés de roman de Chandler, est devenu tellement mythique qu’une religion vénérant le Dude et son mode de vie a été créée : le Dudéisme.

Militantisme : 1/5
Degré de yeux rouges : 5/5 
Impact sociétal : 4/5
Qualité cinématographique : 5/5

 

Pineapple Express (2008), ou comment le stoner movie devint aussi pop qu’une paire de Converse

Près de la moitié des États d’Amérique ont légalisé le cannabis ; le capitalisme s’est finalement rendu compte que la verte était plus que rentable. En France, la loi s’est en partie assouplie, et fumer un joint n’est plus seulement réservé aux jeunes babas cool ou aux vieux marginaux. La plupart des ados consomment entre les cours, et des darons coincés fument leur petit « pétou » comme on dégusterait un verre de bourgogne. C’est dans ce contexte que débarque Pineapple Express (Délire Express dans sa version française), énième stoner movie depuis que le genre a complètement explosé à la fin des années 1990, début des années 2000. Pourtant, Pineapple Express marquera les esprits comme un grand cru. Seth Rogen y joue un jeune huissier branleur, fumant joint sur joint, maqué à une meuf encore au lycée, meilleur ami avec son dealer attitré, joué par l’éternel des stoner movies : James Franco. Tout roule, jusqu’au jour où Dale Denton (Seth Rogen), après être allé pécho la fameuse « Pineapple Express » (variété de cannabis aux effets particulièrement considérables), est témoin, alors qu’il s’apprête à faire une saisie, d’un meurtre commis par un gangster et un flic corrompu. Il est repéré et, prenant la fuite, laisse derrière lui un joint de la fameuse variété. Il se réfugie chez son dealer, mais les deux assassins, grâce au pétard, les prennent facilement en filature. Commence alors une course-poursuite hilarante et baroque où les deux meilleurs amis découvriront leurs multiples talents cachés et la force de la relation qui les unit. Aux États-Unis, le film a eu un tel succès qu’il a détrôné au box-office le dernier Batman.

Militantisme : 1/5
Degré de yeux rouges : 5/5 
Impact sociétal : 4/5
Qualité cinématographique : 5/5

Inherent Vice (2013), ou comment finir cette liste par un ultime trip karmique

Adapté du roman éponyme de Thomas Pynchon, grand manitou de la littérature postmoderne américaine à la prose particulièrement déliée et psychédélique, le film de Paul Thomas Anderson a des allures de labyrinthe dans lequel il serait bon de se perdre. L.A., années 1970 : Doc Sportello, détective à gros charisme, incarné par Joaquin Phoenix, fume joint sur joint et nage dans les eaux troubles d’un mauvais complot karmique avec une détente désarmante. Le cannabis donne à Sportello une sorte de sixième sens, et la trame avance, hallucinée, toujours à la lisière entre paranoïa et extrême lucidité. Pour les besoins de l’enquête (dont le raisonnement logique nous échappe toujours, même après trois visionnages) se succède une galerie de personnages étranges et exubérants, comme des apparitions dans le brouillard des fumées d’un rêve ou d’un cabinet d’opiomane : magnat juif de l’immobilier adhérant aux fraternités ariennes, masseuse thaïe au talent de détective, dentiste cocaïnomane, membre d’un consortium qui vend de l’héroïne, flics à la John Wayne (ultrasensible mais nixonien), et ex-petite amie entêtante aussi lointaine et impalpable que les nuages… Une fois terminé, le film nous laisse le sentiment étonnant d’un ensemble diablement logique, mais aussi mystérieux qu’une suite d’idées après avoir trop tiré sur un joint. Comme certains chemins qu’empruntent les films de David Lynch, ces scènes désaccordées semblent davantage s’accorder comme des corps que des idées : le sensible l’emporte sur la logique, l’intuition sur la déduction, la matière sur la structure, et ainsi cet ensemble paraît au spectateur incroyablement organique. Bref, rarement un film aura aussi bien restitué l’impression d’être défoncé et rarement le cannabis nous aura paru aussi poétique.

Militantisme : 4/5
Degré de yeux rouges : 5/5 
Impact sociétal : 1/5
Qualité cinématographique : 5/5

 

Par Bartholomé Martin

Interview : Mila Jansen, 60 ans dans l’arène du hash

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Du Royaume-Uni au Népal, d’Amsterdam à Katmandou, en passant par le Maroc et Goa, Mila Jansen alias « The Queen of hasch », a vécu tambour battant mille existences sans jamais se défaire de son légendaire sourire et du joint qui l’accompagne. Entretien avec la reine de tous les voyages.

ZEWEED : Comment avez-vous appris à faire du hasch ?
Mila Jansen : J’ai appris la théorie en Afghanistan, au Pakistan et en Inde, puis, en 1968, toujours en Inde, j’ai commencé en faisant du charas. J’avais appris l’art du hasch making en regardant pendant des années les cultivateurs frotter et tamiser les fleurs. Quand je suis revenue à Amsterdam, en 1988, j’ai recommencé à en produire alors que je gérais, avec des amis, 13 plantations. En 1988, je passais encore mes fleurs au tamis jusqu’à ce qu’un jour, en regardant tourner mon sèche-linge, j’invente le Pollinator*. 
À cette époque, le concept des cannabinoïdes et terpènes n’était pas connu – pas de nous en tout cas. Ce qui m’a valu pas mal d’expérimentations pratiques avant de trouver le bon équilibre [rires]. J’ai adoré cette période de mise au point. Et je voulais surtout proposer à Amsterdam un bon hasch, trouvant médiocre celui qui était vendu dans les coffee shops. Après vingt ans passés en Inde, où l’on trouvait de l’afghan, du népalais, du cachemirien, et produire le nôtre, je suis devenue exigeante !

ZW : Réussir dans un milieu aussi dangereux que masculin relève de l’exploit…
MJ. : C’est l’intelligence et une bonne idée qui m’ont donné l’occasion de percer, en créant en premier une machine qui fait tout le travail manuel, réservé aux hommes ! Cette innovation a permis aux cultivateurs de faire leur hasch en gagnant un temps fou. Quand j’ai créé mon entreprise, parce qu’il fallait bien que je nourrisse mes quatre enfants, je ne m’étais pas inquiétée d’une quelconque compétition avec les hommes parce que je n’étais pas en compétition avec eux. Oui, j’entrais dans un monde réservé aux hommes, mais mon business n’interférait pas avec les activités classiques de production, de semences, de lampes ou d’engrais qui sont aux mains de la gent masculine. Je suis certaine que si j’avais créé une banque de graines, par exemple, leur attitude aurait été très différente.

Mila à Goa

ZW : Vous êtes une icône féministe. Vous aviez le militantisme dans le sang ou c’est arrivé sans que vous n’y pensiez ?
MJ. : Il y a quelques jours, je suis tombée sur une citation de Shakespeare : « Les uns naissent grands, les autres se haussent jusqu’à la grandeur, d’autres encore s’en voient revêtir. » [Troïlus et Cressida, 1609 NDLR] J’appartiens définitivement à cette dernière catégorie car je n’ai jamais eu pour objectif de devenir une quelconque icône. J’étais mère célibataire jusqu’à ce que je crée mon entreprise. J’étais féministe et militante, oui, mais uniquement durant le peu de temps libre que j’avais, bien trop occupée à prendre soin de ma famille.

ZW : Vous avez habité à Goa, en 1968, soit les premières heures de ce qui allait devenir une Mecque de la contre-culture hippie. Ça ressemblait à quoi ?
MJ. : Goa en 1968 était le paradis que nous recherchions, niché entre les palmiers et un océan chaud. Il n’y avait que 11 voyageurs routards, cette année-là. L’année suivante, ils étaient 200 ! Il n’y avait pas d’électricité, la musique sortait d’une flûte en argent et de quelques tables, avec toujours le bruit de la mer en fond sonore. Nous faisions du stop à bord d’une charrette à buffles pour nous rendre au marché hebdomadaire, qui regorgeait de fruits, de poissons et de légumes frais, cueillis le matin même par les vendeuses du marché. Une explosion de couleurs, de soleil. Sur la plage, on achetait une douzaine de poissons frais pour deux cents américains ! Et, contre un coup de main pour relever les filets, le poisson était gratuit. Nous passions toute la nuit autour d’une énorme bougie, au son de la flûte, parfois des tablas, mais la plupart du temps juste avec le son des vagues qui s’échouaient sur le sable. Et les couchers de soleil sous LSD… Sortir de l’océan comme si nous étions les premiers à fouler cette Terre…

ZW : Vous avez connu le marché clandestin. De quel œil voyez-vous la légalisation ?
MJ. : J’espère que la légalisation arrivera le plus rapidement possible, même si je constate qu’elle semble s’accompagner d’un sacré paquet de permis, de documents, de coûts, etc. Il y a trop de règles, de contraintes ; ce qui est loin d’être idéal. Le fait que le gouvernement légalise ne veut pas dire qu’il peut mettre son nez partout. D’une manière ou d’une autre, cela semble faire le jeu des grandes entreprises, pendant que le petit agriculteur dévoué est mis à l’écart et condamné, à terme, à disparaître. Maintenant qu’on a un peu de recul, la légalisation ne semble pas vraiment rendre plus heureux quiconque que je connais.

La Mila famille au naturel

ZW : Quel est le meilleur hasch que vous ayez fumé ?
MJ. : C’est dans l’Himalaya, au-dessus de Kullu, au-dessus de la limite des arbres, que j’ai trouvé le meilleur hasch. Nous étions avec des sâdhus locaux (hommes saints indiens qui fument des chillums) à la recherche de plants de cannabis qui avaient survécu à l’hiver sous la neige ; nous les avons frottés et avons récupéré le hasch de nos mains. Nous l’avons mis dans un chillum et l’avons fumé de suite. C’était plutôt un trip acide : les sons du ruisseau babillant, les couleurs des fleurs sauvages, l’espace et la liberté dans le cerveau, la joie ! Les montagnes enneigées qui nous entourent, les forêts sans fin et les sâdhus eux-mêmes – une expérience magique !

ZW : Vos rapports avec la police ? Il y a dû en avoir quelques-uns, en soixante ans de carrière…
MJ. : Oui… En 1965, j’ai ouvert une boutique, Kink 22, où nous vendions les premières mini-jupes. Plus tard, début 1968, nous l’avons transformée en salon de thé. C’était l’époque de Timothy Leary et abandonner cette société était là où il en était. Le salon de thé attirait des gens revenant de l’Est, apportant du hasch et parfois des stocks américains réaffrétés de la guerre du Vietnam – ces gars-là rapportaient du LSD ! Régulièrement, il y avait une descente de police : le salon de thé était perquisitionné et je passais une nuit au commissariat de Leidseplein. Puis ce commissariat a fermé ses portes et a été remplacé par le Bull Dog, un coffee shop. En 2013, nous fêtions mon soixante-dixième anniversaire, très festivement au Bull Dog, justement, et, tout d’un coup, j’ai un flash : c’était là que j’avais fait de ma garde à vue !

ZW : Vous avez vraiment fait pousser de l’herbe à côté d’une caserne de pompiers ?
MJ. : Oui, c’est vrai. C’était en 1993-1994 et je cultivais beaucoup d’herbe, à cette époque. En l’occurrence, il y avait un joli spot juste à côté d’une grande caserne de pompiers. Et nous ne dépensions pas d’argent dans des systèmes de ventilation avec des filtres anti-odeurs… Ça sentait franchement l’herbe, mais ce n’était pas une odeur connue à l’époque. Nous n’avons jamais eu de problèmes avec nos voisins, les soldats du feu.

 

Le juteux business des canna-influenceurs

De Dubaï à Saint-Tropez, de Louis Vuitton à Chanel, d’Instagram à TikTok, les influenceurs se sont faits en quelques années une belle place au Soleil sur la plage de la promo peu chic et pas chère. Le cannabis récréatif et le CBD ne sont pas en reste, avec quelques têtes d’affiche dont le fulgurant succès augure de riches heures pour ce segment encore bien vert en France. Followez le guide, ZEWEED a mené l’enquête.

De l’art de contourner les interdictions de promo sur les réseaux sociaux

Bien que les propriétés du chanvre ouvrent un spectre d’applications dans des domaines aussi variés que l’agro-alimentaire, le pharmaceutique, la construction, le textile, les fleurs, les huiles essentielles, la vap’, les infusions ou encore les cosmétiques, la concurrence à laquelle se livrent des acteurs passionnés et avides d’opportunités est pour le moins féroce. En 2020, les États-Unis comptaient déjà plus de 3 000 marques différentes. Dans cette lutte sans merci, une stratégie marketing digne de ce nom est décisive. Tous les métiers de l’influence se sont donc soudainement mobilisés pour permettre aux plus avisés de tirer leur épingle du jeu. Estimé en 2022 à 16,4 milliards de dollars, le marché du marketing d’influence est vingt fois plus important qu’en 2015. L’étude annuelle Reech, dédiée aux relations entre les marques et les influenceurs, révèle que 63 % des 18-24 ans indiquent suivre des créateurs de contenu sur les réseaux sociaux.

La notoriété People, une manne digitale ultra-bankable

Inévitablement, la démocratisation d’un produit passe par son côté “sexy” et le prestige des cercles qui en font usage, rarement par désintérêt financier. Nombre de célébrités ont très tôt perçu les opportunités économiques de la plante verte. À l’image du précurseur en la matière, Snoop Dogg (80 millions de followers sur Instagram) qui, après d’importants investissements dans des jeunes pousses, a lancé sa propre marque…

Le reste de l’article est à trouver dans le numéro été de ZEWEED, disponible  en digital via ce lien et dans un kiosque près de chez vous en cliquant ici

 

Brésil : désordres et progrès

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Fin juin, le plus grand pays d’Amérique latine dépénalisait l’usage et la possession de cannabis. Aussi progressiste soit-elle, la nouvelle législation est loin de faire l’unanimité. Enquête.

Si la possession personnelle de maconha vient d’être décriminalisée, le Brésil de Lula, réélu en 2022, continue à naviguer dans le flou : la filière du cannabis thérapeutique attend d’être légalisée depuis près d’une décennie. Dans la première puissance économique du continent sud-américain, les acteurs engagés en faveur d’une filière dédiée, sont éclectiques, des représentants de l’élite brésilienne aux haut-parleurs des quartiers populaires.

Voilà près d’une décennie que la décision était attendue. Depuis le 25 juin, la possession de maconha (cannabis) est considérée au Brésil comme une simple infraction, passible d’un avertissement délivré par la police. En votant en faveur de la décriminalisation du cannabis à usage personnel, 8 des 11 magistrats de l’institution de Brasilia ont mis fin à une procédure commencée en 2015 qui visait à statuer sur la constitutionnalité d’une loi adoptée en 2006 : celle-ci considérait comme un crime l’acquisition, la conservation ou le transport de tout type de drogue pour une consommation personnelle. Après examen, le STF (Tribunal suprême fédéral) avait finalement décidé de limiter le débat au seul cannabis.

La loi de 2006 ne punissait pas d’emprisonnement l’usage personnel de cannabis, préférant des mesures éducatives et des services d’intérêt général. Mais jusqu’alors, en l’absence de critères objectifs, l’appréciation était laissée aux policiers et aux juges des 26 États du pays. Or, selon ses détracteurs, celle-ci était à l’origine de nombreuses discriminations raciales et sociales, particulièrement si le consommateur était noir ou/et issu des favelas et quartiers populaires des métropoles du pays aux 215 millions d’habitants. En 2023, le juge Alexandre de Moraes, l’un des magistrats de la Cour suprême, avait d’ailleurs dénoncé le fait que « les jeunes, surtout les Noirs, sont considérés comme des trafiquants s’ils sont arrêtés en possession de quantité de drogues bien moins importantes que des Blancs de plus de trente ans ».

La décision de la Cour suprême devrait ainsi alléger le système pénitentiaire brésilien. Et désormais, les millions de fumeurs brésiliens pourront tirer avec moins d’angoisse sur leur maconha, chantée de Tim Maia à Erasmos Carlos, en passant par l’ancien ministre de la Culture, Gilberto Gil, militant de longue date de sa dépénalisation. « Pendant de nombreuses années, expliquait-il à la presse brésilienne cette année, j’ai expérimenté le cannabis, l’ayahuasca. C’étaient des choses guidées par mon peuple, par ma génération, par mes pairs, par mes collègues. »

72 % des Brésiliens se disent en effet opposés à l’usage récréatif du cannabis

Reste que cette avancée sociétale a été actée dans une large indifférence nationale : 72 % des Brésiliens se disent en effet opposés à l’usage récréatif du cannabis ; en premier lieu, les 22 % fréquentant les églises évangéliques menées par l’Église universelle du Royaume de Dieu.
Les habitants de la première puissance économique d’Amérique du Sud sont en revanche plus conciliants concernant l’usage du cannabis à des fins médicinales et industrielles, en particulier dans les cosmétiques – qui fait également l’objet de débats au Brésil : en 2022, la Cour Suprême a autorisé trois patients à cultiver du cannabis chez eux à des fins médicinales. Cette décision, qui pourrait faire jurisprudence, vient aux secours des 430 000 Brésiliens qui consomment aujourd’hui du CBD.
Jusqu’ici, ces derniers n’avaient qu’une option pour les obtenir : les faire venir de l’étranger ; au prix fort, en raison de coûts d’importation extrêmement élevés. Pour les magistrats brésiliens, cultiver quelques plants de cannabis chez soi ne constitue donc pas une menace pour la santé publique. Mais les sages de la Cour suprême prennent soin d’encadrer cette décision : pour planter du cannabis, les patients devront justifier d’une prescription médicale et obtenir l’autorisation de l’Agence nationale de surveillance sanitaire, l’Anvisa. Un cadre extrêmement rigoureux sur fond de grand flou juridique. Le cannabis médicinal n’a toujours pas été légalisé au Brésil : le projet de loi 399 attend l’approbation du Congrès depuis dix ans.

Militantisme, entreprenariat et économie nouvelle

Patrícia Villela Marino est l’une des activistes sur les starting-blocks (1). La P.-D.G. philanthrope de l’ONG Humanitas360 est l’une des leaders du mouvement brésilien qui défend la légalisation du cannabis médicinal. Quand elle n’est pas sur Brasilia, où elle est membre du Conseil de la Présidence de la République, cette Pauliste sillonne les provinces de la fédération pour assister à des forums et réfléchir aux politiques publiques qui permettraient d’accompagner l’usage médicinal du cannabis comme l’utilisation industrielle du chanvre. Sa fondation participe également au financement d’un think-tank dédié à cet enjeu : l’Institut de recherche sociale et économique sur le cannabis – « Il s’agit du droit à la vie des patients les plus pauvres.
Nous n’avons pas le droit de tarder à investir dans ce domaine », souligne-t-elle. Patrícia Villela Marino est à l’avant-garde du pragmatisme qui commence à s’emparer des milieux d’affaires, du patronat brésilien, et en particulier de ses agro-industriels, particulièrement conservateurs, vis-à-vis du potentiel économique du CBD et du chanvre industriel.
Mariée à Ricardo Villela Marino, issu d’une des trois familles contrôlant la holding brésilienne Itaúsa et la plus grande banque privée du pays, Itaú Unibanco, Patrícia Villela Marino est tout à la fois évangélique, mais aussi pro-Lula. « J’ai rencontré de nombreuses entreprises étrangères qui spéculent sur le fait que notre gouvernement se prononcera bientôt sur un cadre réglementaire et qui cherchent déjà à se positionner, comme the Green Hub, une société américaine. Si l’on veut éviter de se retrouver concurrencés dans son propre pays, il faut que nous accélérions : nos filières du café, tout comme celle du lait se sont effondrées. La nouvelle économie du cannabis industriel, qui pourrait être plus inclusive que nos anciens secteurs, est notre avenir, j’en suis convaincue. Mais plus nos législateurs tardent à s’emparer de cette question, plus nos start-up et sociétés pharmaceutiques brésiliennes sont menacées. »

Patrícia Villela Marino, milliardaire et pasionaria du cannabis thérapeutique

Pour cette progressiste fortunée, membre d’une famille « comparable aux Rothschild en richesse et en influence » note le magazine Forbes, « débattre du cannabis, c’est l’agenda de Jésus parmi nous, car cela nous demande de dépasser beaucoup de religiosité et de pharisaïsme ». Une hypocrisie qui n’épargne pas les milieux aisés d’un pays qui compte l’une des plus importantes inégalités de revenus au monde. « Presque tout le monde sniffe de la cocaïne en soirée, durant de chouettes parties, mais personne n’ose s’engager sur la légalisation du cannabis médical » ironise Patricia Villela Marino, qui a dû d’abord s’imposer dans son propre milieu, même si la fortune est un argument persuasif.

« Lula élu président, c’est une excellente nouvelle pour le cannabis au Brésil. » Rafael Arcuri, président de l’association nationale des producteurs de chanvre industriel

Selon le deuxième annuaire du cannabis médicinal au Brésil, publié par Kaya Mind en 2022, le cannabis brésilien, s’il était légalisé tant dans le domaine récréatif que thérapeutique, pourrait rapporter, après cinq ans de calage, jusqu’à 5,3 milliards de dollars à l’économie nationale et participer à la création de 328 000 emplois. « Les yeux du monde entier sont tournés vers notre pays », estime Viviane Sedola, fondatrice de l’entreprise en ligne Dr Cannabis, membre du Conseil économique et social brésilien et d’un groupe de travail au sein du gouvernement fédéral sur les substances psychoactives. Car une économie du cannabis médicinal s’est déjà développée au Brésil, sans attendre sa légalisation. Importateurs, sociétés pharmaceutiques, plateformes et associations : le millier d’entreprises brésiliennes opérant déjà dans le secteur du CBD a généré en 2023, 700 millions de reais (plus de 100 millions d’euros), soit une croissance de 92 % par rapport à 2022, selon les données collectées par Kaya Mind.
Les pionniers qui participent à cette économie naissante du cannabis médicinal brésilien forment un groupe diversifié. Certains sont rentrés dans le circuit après avoir expérimenté ses bienfaits pour la santé, comme l’ancien joueur de tennis professionnel Bruno Soares, quarante-deux ans, qui l’a d’abord employé pour ses effets anti-inflammatoires. En 2022, alors qu’il quittait le circuit professionnel, Soares a effectué, à travers son fonds MadFish, un investissement de plus d’un million d’euros dans le laboratoire Ease Labs de Belo Horizonte, dans l’État du Minas Gerais, qui importe et distribue des médicaments à base de cannabis médicinal. Le musicien carioca Marcelo Maldonado Gomes Peixoto, alias Marcelo D2, cinquante-six ans, leader du groupe Planet Hemp, vient de lancer sa propre gamme de produits à base de CBD, Koba by MD2, réalisée en partenariat avec la société paraguayenne Koba, qui « vise à démocratiser l’accès à ces médicaments ».

D’autres acteurs viennent du monde scientifique. Claudio Lottenberg, ancien P.-D.G. de l’hôpital Albert-Einstein (l’un des plus célèbres et meilleurs hôpitaux privés du Brésil) et aujourd’hui président du conseil d’administration de l’institution, dirige aussi ceux de Zion MedPharma et Endogen, des sites axés sur les produits à base de cannabis. À ses côtés, on retrouve Dirceu Barbano, ancien directeur de l’Agence nationale de surveillance sanitaire, l’Anvisa, qui a la tutelle sur la prescription et la délivrance de médicaments à base de cannabis. Tous ces opérateurs sont suspendus aux décisions qui seront prises à Brasilia : « Lula élu président, c’est une excellente nouvelle pour le cannabis au Brésil, notait en 2023 l’avocat Rafael Arcuri, président de l’association nationale des producteurs de chanvre industriel. Mais il est encore difficile de spéculer sur ce qui pourrait se produire et comment. La meilleure hypothèse est que le cannabis et le chanvre seront soumis à des réglementations plus larges, avec davantage d’utilisations autorisées pour les cannabinoïdes ou le chanvre. Mais la culture sur le sol brésilien reste une question délicate. Lula peut également utiliser ses pouvoirs pour proposer un nouveau projet de loi, plus adapté à ce Congrès, ou émettre un décret présidentiel réglementant différents aspects de la commercialisation du cannabis et du chanvre. » De l’ordre et du progrès… enfin ?

 

Jean-Christophe Servant

 

1) Les propos de Patrícia Villela Marino, qui a choisi pour l’heure de ne plus communiquer avec les médias, sont tirés d’entretiens donnés entre 2023 et 2024 à la presse brésilienne.

 

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