Un projet de loi fédéral permettant aux citoyens de cultiver, acheter, posséder et consommer du cannabis en toute légalité vient d’être validé par la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national. Score final : 14 voix pour, 9 contre. Désormais, le pays se profile comme le premier d’Europe à instaurer un marché du cannabis totalement réglementé pour une légalisation qui pourrait arriver dès 2026.
Ni tout à fait dans l’UE, ni tout à fait en dehors, la Suisse bénéficie d’une liberté de manœuvre unique pour avancer là où ses voisins hésitent encore.
Le 14 février dernier, la commission a adopté un premier texte fixant le cadre de la légalisation. Le constat ? 4 % des 15-64 ans consomment déjà du cannabis en Suisse, et tout provient du marché noir. Face à cette réalité, les autorités changent de braquet : prohiber n’a aucun sens, mieux vaut encadrer.
Dans cette optique, la commission mise sur un marché régulé, mais sous haute surveillance. Objectif ? Protéger la jeunesse, réduire les risques et couper l’herbe sous le pied au marché illégal.
Légal, mais non troppo
Contrairement à l’Allemagne, qui a rayé le cannabis de sa liste des stupéfiants, la Suisse maintiendrait son statut de substance contrôlée, mais avec une approche hybride :
- Production à but lucratif, mais vente non lucrative.
- Les revenus générés seront réinjectés dans la prévention, la réduction des risques et l’accompagnement des consommateurs.
- Pas de verticalisation du marché : un même acteur ne pourra ni produire ni vendre en simultané.
- Taxation progressive selon le taux de THC et le mode de consommation.
- Les recettes fiscales seront redistribuées via l’assurance maladie.
- Un monopole d’État sur la vente : le cannabis ne sera dispo que via un nombre limité de points de vente agréés.
Côté culture perso, chaque citoyen pourra faire pousser trois plants femelles, avec une limite de possession encore en débat. Les cantons auront leur mot à dire, avec la possibilité d’adapter la régulation à leur sauce.
Et pour éviter toute dérive, une traçabilité digitale ultra-stricte, déjà testée sur les projets-pilotes grâce à un logiciel dédié.
Quelles modalités?
Même si la Suisse ne fait pas partie de l’UE, elle appartient à l’espace Schengen, ce qui implique quelques contraintes sur la libre circulation des marchandises. De quoi compliquer l’équation pour ses voisins qui lorgnent sur son modèle.
Mais selon Benjamin-Alexandre Jeanroy, expert en politique du cannabis à la tête du cabinet Augur, l’expérimentation suisse est un atout : “Les projets-pilotes ont permis de récolter des données précieuses sur l’impact d’un marché légal. Grâce à ça, les discussions sur la légalisation avancent plus vite.”
Toutefois, l’inconnue reste le cadre juridique international.
Si la Suisse légalise complètement, elle devra justifier sa position face aux traités mondiaux sur les stupéfiants.
Deux stratégies possibles se profilent :
- Le modèle Canada/Uruguay : on assume la contradiction et on fonce.
- Le mode île de Malte/Allemagne: on contourne subtilement avec un modèle national indépendant.
Le pays a déjà posé les bases avec ses projets-pilotes, qui imposent du cannabis made in Switzerland. De quoi s’assurer une production locale solide, tout en laissant la porte entrouverte à de potentielles importations pour des usages spécifiques.
Avec une mise en œuvre prévue d’ici 2026, la Suisse pourrait bien devenir le premier pays européen à faire du cannabis un business légal et encadré. Un tournant qui pourrait inspirer d’autres nations prêtes à dépoussiérer leurs politiques.