Journée internationale de la femme

Valeria Salech, mère courage et Ganja pasionaria

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Valeria Salech s’est battu pendant 6 ans pour que le cannabis soit légalisé en Argentine. Pas parce que c’est cool et hype, mais parce que la vie de son fils en dépendait. Portrait d’une mama-warrior.

C’est en 2014 que Valeria Salech et son mari ont donné pour la première fois du cannabis à Emiliano, leur fils de 8 ans.
Valeria se souvient de cet après-midi comme le jour où elle a vraiment rencontré son fils.
«Environ 30 minutes après avoir pris la résine, Emi a commencé à me regarder dans les yeux et à sourire. Il avait un regard que je n’avais jamais vu auparavant » m’explique Valeria, la voix serrée d’émotion.
Aujourd’hui, Valeria est en première ligne de la bataille pour la légalisation du cannabis, une bataille qu’elle mène en tant que fondatrice de Mamá Cultiva Argentina (Mother Grows), le groupe de militants le plus actif et reconnu d’Argentine.

Vivre avec le cannabis

«Avez-vous déjà vu le regard de quelqu’un dopé aux anxiolytiques?» enchaine Valéria.
«C’est un regard vide et déchirant d’absence pour une mère. Et cette expression, mon fils l’arborait depuis le jour de sa naissance. Quand j’ai vu se yeux s’allumer grâce à l’équivalent d’un grain de riz de résine de cannabis, je savais alors et là que je continuerais à lui en donner, pourvu que son regard, son sourire et ses gestes s’animent “.

Nous sommes en 2015, et Emi (qui est aussi atteins d’autisme sévère) a l’autonomie d’un enfant d’un an, alors qu’il en a 8.
Je demande à Valeria de se souvenir des changements dans l’état et le comportement d’Emiliano au fil des années depuis qu’il a commencé à consommer du cannabis.
«Dès que j’ai commencé à traiter Emilio au cannabis, il a arrêté d’utiliser son bavoir», se souvient Valeria. “Quelques mois plus tard, il a commencé à apprendre à manger avec une fourchette, et après environ 1 an, Emiliano a arrêté d’utiliser des couches”.
Voyant la façon dont le cannabis a changé la vie d’Emiliano, Valeria n’a pas hésité à se battre pour les droits de toutes les autres mamans argentines dont les enfants ou la famille pourraient bénéficier du cannabis.

2016: La naissance de Mamá Cultiva Argentina

Le 22 mars 2016, 2 ans après avoir essayé le cannabis pour la première fois avec Emiliano, Valeria a assisté à la présentation d’un projet de loi visant à dépénaliser l’usage médical de la marijuana en Argentine.
En parcourant la salle du regard, elle remarque le nombre de femmes présentes, en particulier des mères.
«J’ai dit à la femme assise à côté de moi: Nous avons besoin d’une organisation pour représenter les femmes ici », se souvient Valeria.
Un peu plus de 2 semaines plus tard, le 7 avril 2016, elle fonde Mamá Cultiva Argentina (MCA).
Valeria rit lorsqu’elle se souvient des débuts de l’organisation, quand elle prenait d’assaut le Congrès avec d’autres mamans pour alpaguer les députés dans les couloirs et distribuer leurs flyer et documentation sur leur revendications.
Je lui demande de me parler de sa vie en dehors de son activisme.
«Je ne peux pas vous parler d’une vie en dehors de l’activisme pour une raison simple», s’amuse-t-elle. «Je suis né militant. C’est ma vie. À la maternelle, c’est moi qui ai parlé au professeur pour m’assurer que tous les élèves reçoivent la même quantité de biscuits. Je suis une militante 24/24, 7 jours par semaine”.

Marche sur le Congrès

Depuis le premier jour, MCA avait une mission très claire:
«Exiger un cadre juridique à travers lequel l’État argentin reconnaît les propriétés thérapeutiques du cannabis et le droit des individus de le cultiver afin de garantir un traitement sûr pour ces enfants ou quiconque en a besoin».
En plus d’une position nette  sur le cannabis, Mamá Cultiva Argentina a aussi un programme féministe allié au mouvement argentin Ni Una Menos («Pas une femme de moins»).
«J’étais à l’intérieur du Congrès avec les autres mamans distribuant des brochures et interceptant les députés quand j’ai entendu les cris des femmes dehors», se souvient Valeria, alors qu’elle se faisait entendre au Congrès lors de l’une des plus grandes marches féministes d’Argentine.

«On nous disait comment vivre et on nous jugeait si nous étions de bonnes mères ou non. On nous a dit de faire attention aux médecins et à la police ».
«Une fois que nous avons réalisé que nous étions dans le même combat que les femmes à l’extérieur, nous n’avons pas hésité à les rejoindre dans la rue. Ce fut un réveil, et à partir de là, nous avons commencé à parler de  toute la violence que nous avons subie. Et toute la violence que nous avons subie vient de ce système capitaliste et patriarcal qui nous opprime ».
En octobre 2016, Valeria s’est rendue à Rosario pour la réunion annuelle de l’Encuentro Nacional de Mujeres (Réunion nationale des femmes). Dans l’une des salles de réunion, un groupe de femmes parlait de cannabis.
«Je suis entré dans ce meeting et là…  toute la salle s’arrête pour m’applaudir. J’ai pleuré d’une si belle émotion, parce que la reconnaissance de mes pairs, de ces femmes qui comme moi avaient été battues par ce système encore trop patriarcal, signifie encore plus pour moi que si j’avais reçu une standing ovation à la tribune des  Nations Unies“.

The Times, they are A’changing.

Aujourd’hui, le droit de cultiver du cannabis, la plante qui a changé la vie de Valeria et celle de nombre d Argentins, semble plus proche que jamais.
Le 15 juillet 2020, 6 ans après que Valeria eu donné du cannabis pour la première fois à Emi, le ministère argentin de la Santé a annoncé un projet de nouvelles modifications réglementaires au projet de loi 27.350, la loi qui limite l’utilisation du cannabis médical aux essais de santé publique sur des patients atteints d’épilepsie.Un  projet plein d’espoirs et de promesses comme le droit pour les patients enregistrés de cultiver leur propre médicament, la production et la vente publiques de produits à base de cannabis médical dans les pharmacies et le libre accès aux thérapies cannabiques pour les patients dépourvus d’assurance santé.

Et même s’il ne s’agit que d’un brouillon, d’une copie de travail en devenir, l’intuition féminine de Valeria lui chuchote que le changement est très proche.
Depuis janvier, Mamá Cultiva Argentina fait partie d’un conseil consultatif travaillant avec d’autres groupes d’activistes, médecins, universités et institutions comme le CONICET [le Conseil national argentin de la recherche scientifique et technique] pour préparer son amendement au  du projet de loi 27.350.
«Quand quelqu’un vous invite à travailler avec des institutions comme CONICET et le ministère de la Santé sur un projet de loi qui prévoit réellement de mettre en œuvre le changement pour lequel vous vous battez, vous avez tendance à croire en cela», analyse Valeria.
Et bien qu’il n’y ait toujours pas de nouvelles de la date d’entrée en vigueur de ces nouvelles réglementations, Valeria est convaincue que ce sera bientôt le cas.
«Si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain ou après-demain. Cela dit,  je n’ai pas honte de vous dire que chaque matin, juste après avoir ouvert l’œil,  la première chose que je fais est de vérifier le journal officiel ».

NDLR: cette interview a été réalisée en 2020. Depuis, et sous la pression d’associations comme Mama Cultiva, l’Argentine a légalisé le cannabis thérapeutique. Valeria ne scrute plus le journal officiel, elle et son fils Emilio peuvent enfin vivre sereinement, accompagné par le plus naturel des médicaments.

Californie : les femmes prennent le lead sur la ganja.

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Largement consommé par la gent masculine, c’est au tour des femmes de s’intéresser à l’industrie du cannabis. Avec des besoins et des habitudes de consommation différents, le secteur est investi par des femmes qui souhaitent adapter ce produit à leur façon.

Who run the weed ? Girls !

On ne va pas se mentir, en général la ganja c’est plutôt un truc de mec. Bien que l’on connaisse tous des filles qui en fument, l’imaginaire collectif pense avant tout aux clips de rappeurs avec quantité d’herbe ou encore à des figures médiatiques comme Seth Rogen et Tommy Chong.

Pourtant, la donne commence à changer aux États-Unis. Une étude de 2018 montre que les femmes représentent désormais 38% des consommateurs de cannabis dans le pays. Et qui dit nouveaux consommateurs dit nouvelle industrie comme l’a parfaitement compris la Californie. Dans cet État, le cannabis thérapeutique est légal depuis 1996. Cependant, les vendeurs ont l’habitude d’axer leur marketing à destination des hommes. Mais depuis la légalisation à usage récréatif en 2018, les femmes se sont massivement emparées de l’industrie pour proposer des produits modelés pour répondre à leurs besoins.

On peut notamment parler de Humboldt Apothecary. Fondé par deux femmes herboristes depuis 25 ans, leur objectif est purement thérapeutique. Elles expliquent à nos confrères de Slate vouloir « créer une synergie des plantes, en prenant les bienfaits de différents végétaux pour leurs vertus communes ». Pour faire simple, elles proposent des petites gouttes de concentré de CBD ou de THC à mettre sous la langue. Exit la défonce à tout prix, ici c’est la précision du dosage qui prime et permet de consommer un produit tout en contrôlant les effets.

Dans le même esprit, deux femmes ont créé une marque de tisane de cannabis avec des microdoses. L’une des fondatrices, Amanda Jones, explique avoir lancé son affaire nommée Kikoko pour une amie atteinte du cancer qui devait s’occuper elle-même de ses dosages afin d’éviter de ne pas finir totalement défoncée.  Jones explique qu’à l’époque « il y avait un énorme espace vacant pour des produits peu dosés sur le marché, surtout parce que les dispensaires et les marques existants étaient très masculins ».

Le cannabis, de stupéfiant à produit trendy

Avec ce nouveau segment, c’est la ganja elle-même qui change de statut. Alors qu’avant on assimilait l’herbe aux hippies et au gangsta rap, désormais la « ménagère » est également visée, et il faut bien s’adapter.  Mise en avant du bio, produits emballés dans des écrins ou encore créations culinaires, les entrepreneuses redoublent d’inventivité.

C’est le cas de Stephanie Hua qui a fondé son affaire Mellows en 2015. Considérant qu’il y avait un manque de « produits attractifs, délicieux et peu dosés » sur le marché, elle décide de commercialiser des marshmallows maison au THC. Elle affirme même en vendre pour des événements comme la fête des Mères ! Enfin, le double effet de cette prise en main du marché par les femmes est une certaine émancipation. C’est ce qu’affirme à Slate l’une des fondatrices de Kikoko.  Jennifer Chapin explique qu’elle «  en avait marre de se faire mansplainer comment utiliser des produits qui vont dans notre vagin » en visant principalement ceux prévus pour soulager les douleurs menstruelles. D’ailleurs dans son commerce, des affiches « pas de connards ! » sont disposées, le message est clair.

En tout cas il est indéniable que ce nouveau marché permettra à la fois de diversifier une industrie en pleine expansion tout en montrant une image positive du cannabis.