Melchior

Journaliste indépendant au service de la littérature et des paradis artificiels.

Tribune: La Morning Routine du Révolutionnaire

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Le révolutionnaire a lui aussi sa morning routine, ses petites habitudes reconnaissables qui le rendent humain et accessible. S’il ne commence pas sa journée en sirotant un champagne gourmant (une coupe de Blanc de Blanc et deux traits de blanche neige) il doit bien trouver quelque part l’énergie d’éclater le régime établi. À la fois simple et essentiel, il est finalement le rejeton de son siècle, ce John le Conquérant…

Réveil 8h30. On ne saurait se lever avant Lord Soleil. Assis au bord de son lit, le révolutionnaire se gratte les yeux en pensant à tout le mal qu’on lui fait. Oh Marie, si tu savais… Après un café bien mérité et une claque sur les fesses de l’oreiller, il se dirige, princier, vers la douche qui lavera ses péchés d’hier et lui fera le poil luisant. Parce que nous ne sommes pas tous des sauvages, n’en déplaise à Robespierre. Alors assis sous le flot incessant de l’eau chaude et souffrant la volupté rythmée et discrète d’un gel douche Bio sans savon au Ph neutre, il refait son monde.

 Il soigne ses longs cheveux, apanage indispensable de tout révolté, avec l’attention et la tendresse d’un homme pour ses chien. En l’occurence deux golden retriver qu’il siffle en aboyant leurs noms: Karl et Max. Véritable Samson des temps modernes, il ne sort pas de chez lui sans avoir peaufiné sa crinière. Cette toison, signe extérieur de richesse capillaire a  toujours été pour lui symbole de liberté. Voire d’insolence, comme une petite pique en bouclette à ces normes irritantes. Un petit pas pileux  pour la cause contestataire,  un grand pas pour celle du hair conditionner.

Une fois sorti de la douche, il observe dans le miroir le reflet de l’homme révolté. Pas mal pour un mardi… On se brosse les dents, on vogue un peu sur les réseaux assis sur un trône de fortune en récitant sa prière matinale « café, clope c… » avant de se tartiner de crème au CBD. A défaut de balancer sur les porcs, on s’hydrate les siens, de pores.

Tout beau, tout propre, il ouvre la fenêtre et déguste son deuxième café. Il ne faudrait pas manquer de caféine tant la semaine s’annonce sportive (il paraît que Macron va reconfiner) … Il allume la radio, histoire de se tendre les nerfs, juste le temps d’écouter les spécialistes lui démontrer par A+B qu’il n’est pas essentiel et qu’il ferait mieux de rester chez lui à regarder BFMTV, une main droite dans le froc et la gauche sur la télécommande. N’est pas un héros moderne et révolutionnaire qui veut. Il leur remplirait bien le bide d’essence frelatée,  à ces spécialistes cathodisées… mais chaque chose en son temps: d’abord un petit pet’ de CBD.

Nul besoin visiblement d’être un trou du cul pour sortir de la merde: encore une annonce débile du gouvernement en boucle à la télé. J’en connais un qui va pouvoir se tailler sa réélection en pointe. Allez, c’est l’heure d’aller gueuler, ceux qui vont sourire vous saluent.
Toutes mes plus sincères.
Signé de ceux que l’on entend jamais mais qui ont tout perdu.

La France, berceau de Révolutions.

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S’il est une qualité à laquelle les français n’ont jamais renoncé, c’est bien une certaine aptitude à donner du fil à retordre à leurs dirigeants. Cette propension à la contestation, de Gaulle la commentait d’un cynique « en 1944 les Français étaient malheureux, maintenant ils sont mécontents. C’est un progrès. ». Bien connus pour être “ingouvernables”, les irréductibles gaulois nous rappellent que le peuple souverain ne devrait jamais craindre son gouvernement.

L’eau bout dans les campagnes et se déverse dans les villes. Entre Gilets Jaunes, grèves des transports et manifestations quotidiennes les français ont clairement affiché leur méfiance pour la classe politique. En ce printemps où les étudiants sont au bord de la crise de nerfs, où un ancien Président est condamné à de la prison ferme et qu’une épidémie met l’économie à mal avec une bonne partie de l’Hexagone au chômage partiel, la situation devient explosive. Dans un pays où un quart des salariés sont fonctionnaires, un quart des moins de 25 ans est au chômage pendant qu’un dixième de la population vit avec le RSA (soit 564,78 euros par mois), où la différence entre le seuil de pauvreté (1063 euros) et le SMIC net mensuel (1197,03) est d’une centaines d’euros, il est légitime de se demander pourquoi les pavés n’ont pas volés plus tôt.

A cela il convient d’ajouter le mépris affiché des politiques pour leurs électeurs, à l’heure où députés et sénateurs sont les grands absents du débat politique et que les “suggestions” du Comité Scientifique et du Conseil d’État (aucun des deux n’ayant été élus) deviennent des lois dignes d’Orwell. Le pays en état d’urgence depuis le 11 juillet 2017, le couvre-feu à 19h qui est, je le rappelle, une mesure militaire, l’interdiction de se déplacer librement sur le territoire, le suivi personnalisé et digital des données de santé, la fermeture des frontières et bien entendu, bonus sous-jacent, l’impossibilité pratique de manifester.. Tout cela est tellement plus facile à imposer quand on a pas à écouter ceux qui vous élisent.

Quand éclatera l’orage du désespoir

Dès lors, la comparaison avec le contexte de la Révolution Française est légitime tant ça sent l’orage. Car un système politique qui repose sur la classe moyenne pour mettre du beurre dans les épinards des dirigeants est voué à rencontrer un jour ou l’autre une sérieuse opposition. Et pour mémoire, ce ne sont pas les paysans qui ont lancé la Révolution en 1789, mais la bourgeoisie excédée par l’abus de privilège de la noblesse et sa sourde oreille aux demandes d’un peuple affamé, « ils veulent du pain, qu’on leur donne de la brioche… »

A cet état de fait, le jeu des médias français n’arrange rien.  Où est le cinquième pouvoir quand les plus grands médias nationaux appartiennent à Lagardère, Dassault, Bouygues, Bolloré, Niel ou Pinault?
La France vit sous perfusion d’un État sur le point de s’écrouler. Toutes les minutes comptent pour agir dans le bon sens.
Ceci n’est pas un appel à la révolte mais à la prise de conscience. Je vous quitte avec ses mots de  Marguerite Yourcenar « la révolte qui vous inquiète était en moi, ou peut-être dans le siècle ».