Sous les pavés de la Canebière… la fibre (de chanvre)

Avant de devenir le catwalk improvisé des trottinettes pétaradantes et des vendeurs de contrefaçons parfumées, la Canebière était le QG européen du chanvre. Pas pour rouler des joints, mais pour hisser les voiles de l’Empire. Petite virée historique sur le boulevard de tous les voyages.

Elle en a vu passer, la Canebière : des CRS, des boulistes, des rappeurs en promo et des supporters du Vél’. Mais, avant d’être l’artère vibrante de la carte postale marseillaise, ce bon vieux boulevard était un champ de chanvre géant – du vrai, du bon, celui qui faisait voguer les navires à voile. « Il provient du mot Canabiera en occitan provençal, nous indique Alexis Chanebeau, historien de la culture du chanvre, ce qui signifie “chènevière” ; autrement dit, le lieu où se cultive le chanvre. »

Marseille, avant IAM et l’OM, c’était la capitale européenne du chanvre. Au Moyen Âge, puis jusqu’au xixe siècle, la ville faisait voguer les navires de sa majesté sur sept océans grâce à ses ateliers de filage et de tressage. Voiles, cordages, filets, haubans : tout venait de là. Et tout ça avec une matière première robuste, souple, locale : « Au début du XVIIIe siècle, on comptait dans la ville près de quatre cents cordiers et fileurs de chanvre, raconte Alexis Chanebeau. Avec son grand port actif et ses liaisons commerciales dans tout le bassin méditerranéen, Marseille s’imposait alors comme un carrefour majeur de cette filière. »

Avec son grand port actif et ses liaisons commerciales dans tout le bassin méditerranéen, Marseille s’imposait alors comme un carrefour majeur de cette filière. »

Le chanvre débarquait en ballots depuis la vallée du Rhône, le Vaucluse, la Drôme, l’Ardèche, et alimentait un écosystème complet, quasi hippie avant l’heure : artisans, tisserands, emballeurs, charretiers, mais aussi négociants et amateurs de la fibre magique.
Mais, comme souvent dans les belles histoires du Sud, la modernité est venue jouer les trouble-fêtes. Dès le XIXe, c’est la débandade : l’arrivée du sisal et du jute, moins chers et exotiques, la vapeur qui relègue la voile au musée, les machines qui broient le savoir-faire des tisserands. Résultat : les corderies ferment, les champs de chanvre partent en fumée. Game over pour la belle plante et son lieu d’attache.

Enfin, presque. Car, dans le paysage marseillais, quelques noms subsistent en mode clin d’œil. « Citons le quartier de la Corderie, à proximité du Vieux-Port, conclut l’historien. Le boulevard de la Corderie, dans le 7e arrondissement… Je pense aussi aux appellations de vallée, chemin ou plage dits des Canebiers – canebe est le nom du chanvre en provençal. Et bien entendu, notre fameuse Canebière ! » Comme une dernière tafe de mémoire.

Aujourd’hui, la Canebière ne sent plus la fibre brute, mais plutôt le kebab réchauffé et l’iode du Vieux-Port. Elle a perdu ses bateaux mais gardé sa gouaille. Si, entre deux terrasses, un Marseillais vous lance : « Oh fan de chichoune, viens donc prendre un pastaga ! », ne soyez pas surpris. C’est l’esprit du chanvre – version pastis, version Provence, version enfumée, certes, mais encore et toujours avec bonne humeur.

 

 

Alexis Chanebeau,
Le chanvre, du rêve aux milles utilités
Ed.Goldensong
292 pp
22€

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Journaliste adepte des Beaux-arts et des Belles-lettres, cinéphile invétéré et lecteur obstiné, Hugues est né au Vietnam, a grandi en France et espère peut-être un jour mourir en Italie. D’ici là, rien ne l’empêchera d’attirer l’attention du lecteur bienveillant sur ce que le monde et les hommes peuvent receler de beauté, tout en poursuivant sa quête inlassable du daïquiri Hemingway idéal.

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