Les pochons de weed, nouveau terrain de jeu du pop art

/

Designs léchés, identité visuelle calibrée… Oubliez la feuille verte en mode clipart ! Dans les pays qui ont enterré la prohibition de l’herbe, les pochons s’affichent en palettes pop ou pastel, ornés de typographies funky et cosmiques. Le weed bag serait-il en passe de rentrer au panthéon de la culture pop ? Tous les feux en ce sens sont en tout cas au vert…

Par Doria A.

 

Outre-Atlantique, l’herbe n’est plus seulement un produit ni un tabou : elle s’élève au rang d’un ingrédient lifestyle, beauté et bien-être, au cœur d’une quête plus profonde : se reconnecter à la nature et à soi-même. Une révolution culturelle qui n’est pas sans rappeler le mouvement hippie de la fin des années 1960.
Exit les pochons plastiques cheap et anonymes, bienvenue dans l’ère des arty weed bags ! Couleurs saturées, lettrage groovy, vibes psychédéliques ou rétrofuturistes… les pochons s’inspirent autant des affiches pop et disco que du cinéma de la blaxploitation. Le résultat ? Un packaging qui claque, et qui fait bien plus qu’emballer de l’herbe : il accompagne une révolution culturelle attendue depuis longtemps.

Symbole d’une contre-culture, antisystème, le cannabis est passé de l’autre côté du miroir et pèse lourd, très lourd. Aux États-Unis, l’industrie légale du cannabis a atteint 33,84 milliards de dollars en 2024 – et pourrait flirter avec les 69,25 milliards d’ici 2029 (Mordor Intelligence, 2023). Un TCAC de 15,40 % qui donne le tournis.
Le photographe franco-américain Vincent Pflieger capte cette transition comme personne. Avec son exposition « 0.125OZ - A Brooklyn Story on Cannabis Design », présentée en 2024 à Paris, il plonge dans l’esthétique des pochons abandonnés sur les trottoirs de Brooklyn et de Manhattan. À travers cette série immersive, rassemblée dans un livre collector produit par Favoreat Design, il documente le basculement d’un marché clandestin vers une industrie mainstream et légale – immortalisant ces pochons devenus petits fragments de culture disséminés au gré du vent.
Comme il le résume : « Toutes les strates de la pop culture se retrouvent sur ces pochons : des Simpson à Picasso, des tags de rue à Tom et Jerry. C’est un véritable patchwork de références, accessible à tout le monde. »

 

Dans ce game visuel, Cookies s’impose comme la marque de référence. Fondée par le rappeur Berner et le cultivateur Jai Chang, elle affiche des chiffres XXL : 50 boutiques, un chiffre d’affaires estimé à 440 millions de dollars, et une identité graphique aussi reconnaissable qu’un hit de Louis Armstrong. Leur signature ? Un bleu électrique qui frappe l’œil, et des pochons où se mêlent street art, pop culture et nostalgie cosmique.
L’identité visuelle de Cookies ne se contente pas d’être stylée, elle se nourrie de références  pointues  en puisant dans l’héritage US underground. En l’occurrence, celui des « vipers », ces jazzmen de Chicago qui faisaient vibrer les clubs.  enfumés de marijuana dans les années 1930.  Cookies ne vend pas que de la weed : elle vend une histoire, une vibe, un morceau de contre-culture devenu mainstream !

Terreau de la culture pop

Le pochon de weed a muté pour se métamorphoser en une toile miniature – un canevas d’art de poche qui se balade dans les rues. Une fois sur le sol des trottoirs de Brooklyn ou de New York, ces pochons ne « salissent » pas la rue, ils la racontent. Ils deviennent des fragments d’art urbain. Comme un écho aux origines du street art, ils célèbrent les cultures marginales et stigmatisées en les propulsant au vu et au su de tous.

Vincent Pflieger l’exprime avec passion : « Ces pochons, dans leur état brut, sont comme des petits joyaux qui brillent au milieu du chaos urbain. C’est dans cette saleté (trottoirs, caniveaux, parfois même boue ou ordures) qu’ils attirent l’œil, comme des trésors visuels inattendus. » Lui- même les ramasse, les nettoie et les immortalise en studio sur fond blanc, pour révéler leurs stigmates et leur esthétique unique. « Pour moi, c’est un processus d’archivage. Je veux capturer non seulement leur beauté, mais aussi leur histoire, leur passage dans la rue et leur rôle dans la culture contemporaine. »

Comme les tags ou les graffitis, les pochons portent la marque d’une culture underground ; une culture qui ne s’excuse pas, mais qui s’affirme. Et puis, version pop et psychédélique, ces morceaux de plastique sont autant de clins d’œil à l’histoire des marges : là où tout a commencé, là où tout reste possible.
Le pochon, ce petit rectangle de plastique jetable, pourrait-il alors devenir un objet de collection ? Vincent Pflieger n’en doute pas : « C’est un peu comme des cartes Pokémon, un petit “collectible” que je cherchais au début. Chaque pochon raconte une histoire, et certains modèles que j’ai trouvés ne se croisent qu’une seule fois, ce qui les rend d’autant plus uniques. »

Memes, logos et marketing subversif

Bienvenue dans l’ère du pochon-mème, où l’ironie s’imprime aussi facilement sur le plastique que dans la mémoire du consommateur. En France, aussi illégal soit le cannabis, il se négocie habillé d’un packaging irrévérencieux. Arborant des noms comme « Haribeuh » ou « Nutellhash » (notre article, p. X), ces pochons font bien plus que contenir de la weed : ils deviennent des pieds-de-nez aux grandes marques de l’agro-alimentaire, ultime subversion d’un produit banni, corporate visuels, directement issus de la culture Internet. L’herbe se vendait hier dans la prudence anonyme d’un sac plastique ou d’un Ziplock ; aujourd’hui, elle s’affiche fièrement dans des emballages décalés, estampille de réseaux qui ne se cachent plus.

Un clin d’œil trademark qui n’est pas sans conséquence : récemment, l’affaire Pochette surprise a secoué les tribunaux français, et quelque peu fait ricaner l’auditoire : 18 accusés, dont le collectif Pochette surprise, les créateurs de ces pochons bien inspirés. Eux se sont retrouvés jugés pour contrefaçon de marques déposées par les maisons mères de leurs détournements. Une première qui ouvre un débat crucial : à quel moment le détournement créatif devient-il une infraction ? Dans une époque où le sampling visuel est partout, des T-shirts ironiques aux remix culturels, où tracer la limite entre hommage et violation ?

 

Ce que l’on remarque, surtout, c’est que le pochon de weed s’est fait une place de choix dans la pop culture, et pas en catimini. Ces sachets, véritables mèmes plastifiés, surfent sur des codes visuels immédiatement reconnaissables. Ils détournent des symboles universels pour mieux les exploser. Une simple typographie suffit à déclencher une avalanche de références. En une pirouette visuelle, le pochon passe de produit marginal à artefact culturel, porté par l’humour et une provocation malicieusement calculée.

Ce n’est peut-être pas juste du marketing, mais le pendant « drogue » d’une révolution esthétique. Ces designs puisent autant dans les marques alimentaires que dans les grands courants artistiques. Imaginez Claes Oldenburg, le sculpteur des objets du quotidien, face à un pochon « Nutellhash ». Lui qui a érigé le banal au rang de monument, verrait dans ces sachets l’essence même de son travail : transformer la trivialité en icône culturelle. Mais, là où Claes Oldenburg jouait avec des sculptures géantes, les pochons, eux, se disséminent sur les trottoirs, transformant les rues en galerie d’art éphémère.

Le pochon est devenu une déclaration visuelle. D’un côté, il désamorce l’interdit par l’ironie et le clin d’œil. De l’autre, il cristallise une industrie en pleine ascension, où chaque design est une arme stratégique. Ce n’est plus juste un bout de plastique : c’est une toile, un manifeste, un miroir de notre époque où tout se remixe et tout se monétise. Le pochon, c’est finalement du pop art en kit !
Des références à Rick et Morty ou aux Simpson ancrent ces sachets dans notre quotidien. Mais ces designs vont plus loin : ils racontent une culture qui s’approprie l’humour, le banal et l’irrévérence pour mieux s’affirmer. La weed, autrefois subversive, devient le support d’une œuvre pop à part entière, sans rien perdre de son ADN.

 

L’ivresse visuelle du flacon

L’ironie de notre époque est là : l’art et le marketing se fondent l’un dans l’autre, brouillant les frontières entre subversion et stratégie commerciale. Les pochons de weed, simples contenants devenus totems culturels, pourraient-ils prétendre au même statut iconique que les Campbell’s Soup Cans d’Andy Warhol ? Cette question dépasse le simple objet pour toucher à une esthétique où l’ironie règne en maître – un outil marketing redoutablement efficace.
Mais cette démarche n’est pas totalement nouvelle. Elle renoue finalement avec l’esprit transgressif des années 1970, où le détournement, la dérision et l’audace visuelle étaient des armes de la contre-culture. Sauf qu’aujourd’hui, ces outils servent à diffuser non pas la révolte, mais l’emblème d’une révolution tranquille : celle d’une industrie qui, tout en surfant sur les codes de la marge, s’affirme désormais au grand jour, mainstream et fièrement pop.

Ces pochons racontent une tension, un équilibre fragile entre une authenticité revendiquée et une standardisation inévitable. Comme le dit Vincent Pflieger : « Les pochons génériques sont souvent détournés, mais ils racontent aussi l’histoire d’une industrie qui se transforme. On passe d’un monde de petits producteurs anonymes à un univers de grandes marques et de chaînes, avec des designs beaucoup plus calibrés. »Là où les pochons étaient, il y a peu de temps encore, des objets bruts, toujours irrévérencieux, ils deviennent des produits manufacturés, de plus en plus façonnés pour s’intégrer à un marché globalisé. Cette évolution marque une transformation de la culture weed elle-même. « On entre dans l’âge adulte du cannabis : les designs sont devenus plus sobres, plus minimalistes. La culture weed s’éloigne de son adolescence flashy et irrévérencieuse pour adopter une esthétique plus sérieuse et épurée », explique Vincent Pflieger.
Une sobriété qui marque le passage de la weed d’une icône underground à un produit à part entière de l’industrie culturelle et commerciale ? Certainement. Mais aussi un signe des temps où le contenant est aussi prisé que le contenu, où le flacon importe autant que l’ivresse.

Article publié dans le ZEWEED magazine #7

Crédits photo : Vincent Pflieger, Pochette Surprise

Ne ratez rien de l’actualité du chanvre et du CBD, inscrivez-vous à la Zeweed Newsletter!

Journaliste, peintre et musicien, Kira Moon est un homme curieux de toutes choses. Un penchant pour la découverte qui l'a emmené à travailler à Los Angeles et Londres. Revenu en France, l'oiseau à plumes bien trempées s'est posé sur la branche Zeweed en 2018. Il en est aujourd'hui le rédacteur en chef.

Histoire précédente

Interview : Antoine Léaument (LFI) « le prix de vente devrait tourner autour de sept euros, taxes comprises »

Histoire suivante

Pragues & le mirage amsterdamois.

Dernier de Culture

Le roman de Dr Cannabis

Au milieu des années 1980, la F1, première herbe locale de qualité, embaume l’air d’un département qui

Flower Power Forever

Le printemps est enfin là! Pour célébrer l’arrivée de  la saison des amours, ZEWEED a choisi de