Littérature

Ainsi kiffait Zarathoustra !

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Utilisé depuis des millénaires dans la plupart des grandes civilisations, le cannabis est une plante aux vertus élévatrices qui permettait aux prêtres, chamans et sorciers de rentrer en contact avec l’au-delà et le divin. Chaque mois, je vous propose de découvrir une culture ancestrale faisant honneur à l’herbe magique, avec aujourd’hui un focus sur Zarathoustra, la Perse et les Rois Mages.

Environ 1000 ans avant notre ère, le prophète Zarathoustra évoquait déjà le cannabis (haoma) dans son livre sacré, le Zend-Avesta, ouvrage répertoriant des milliers de plantes médicinales.
«  Je célèbre les hautes montagnes où tu as poussé, ô Haoma ! Je célèbre la terre où tu pousses, odorant et fortifiant, belle plante omnisciente. Honneur à Haoma, qui rend l’esprit du pauvre aussi élevé que celui du riche. Honneur à toi, Haoma, qui élève l’esprit du pauvre autant que s’élève la sagesse des grands. » Le poème dans son intégralité est disponible en cliquant sur ce lien

(Portrait de Zarathoustra, Temple Mithraïque de Doura-Europos, Syrie, IIIe siècle)

Rois Mages et Ganja

S’ils ont bel et bien existé, les Rois Mages (qui portaient le bonnet phrygien, futur symbole de la République française) étaient très certainement des zoroastriens : le mot « mage » (du persan magis) désignant un disciple de Zarathoustra, adepte de techniques religieuses incluant l’absorption de puissantes préparations contenant du cannabis (bhang, mang, haoma).
Sans les Rois Mages, la chrétienté n’aurait pas eu la même histoire. Car c’est bien à l’issue d’un rêve inspiré  par des breuvages rituels,  cannabiques et psychotropes qu’ils décidèrent de rentrer chez eux sans en avertir Hérode ( l’Évangile selon Matthieu, Mt 2, 1-12).

Les mages analysaient leurs rêves ou accédaient à des “états extatiques” quelquefois bercés par des chants et des danses rituelles (la ronde des Derviches tourneurs, adeptes historiques du haschich, en est un héritage direct, transmis par les rites incantatoires de la déesse scythe Tabiti-Hestia).

La plus ancienne représentation des rois mages connue (basilique Saint-Apollinaire-le-Neuf, Ravenne, VIe siècle).

Dans les textes de la Perse ancienne, le bhang, à base de chanvre, était un ingrédient de « la boisson illuminante » (Rōšngar Xwarišn) qui permettait à Wištāsp, ami de Zoroastre, de voir « la grande Xwarrah » (splendeur divine) et le « grand mystère »
Bhang ou Mang (mot en Pahlavi, entre le IIIe et le Xe siècle) fait référence à une concoction de chanvre appelée mang ī wištāsp « le chanvre de Wištāsp » .

“L’oeil de l’âme”

Selon les ouvrages pehlevis (Perse ancien) Dâtastân i Dênîk et Dênkart, le kavi Vîstâçpa aurait ouvert “l’œil de l’âme” pour atteindre la connaissance par l’extase en buvant une coupe où auraient été mêlés « hôm ut mang », (du hôma et du chanvre indien), et du vin mêlé à ce même chanvre indien. »
La Vendidad (« La loi contre les démons »), loue aussi le bhang en tant que « bon narcotique de Zoroastre ». Vers 700 avant J.-C.
L’Haoma, liqueur fermentée, était la « liqueur de Vie » eucharistique des mazdéens ou des zoroastriens, un équivalent avestique du fameux « soma » védique dans l’hindouisme, qui lui s’est avéré être à base d’éphédra grâce aux découvertes archéologiques.

En 1990, L’archéologue russe Viktor Sarianidi identifiera dans le Turkménistan des poteries datées d’environ 1.000 ans avant J.-C , contenant des résidus de cannabis, de pavot et d’éphédra, (trois plantes qui seraient d’après Sariadini les ingrédients clefs de l’haoma), dont l’usage était réservé aux prêtres durant les  cérémonies religieuses.
Selon l’Avesta, le saint livre zoroastrien, l’Haoma est une divinité comestible qui peut venir à bout de toutes souffrances.

En 2013, au nord-ouest de la Mésopotamie, des fouilles dans la ville antique de Çatal höyük, en Turquie,  ont révélé un tissu de chanvre daté de 9000 av. J.-C. : « Les analyses montrent que ce morceau de tissu est en lin tissé avec du chanvre » précisera alors le responsable des fouilles Ian Hodder (Stanford University). La plante était utilisée dans sa totalité : la racine pour la médecine (anesthésique), la tige pour les textiles et les cordes, les feuilles et les fleurs pour la religion comme pour ses pouvoirs thérapeutiques et  les graines pour en extraire de l’huile (arômes, éclairage). Dans la culture de la péninsule anatolienne, dans  le cannabis, rien ne se perdait,  tout se transformait.
Vivement le retour de ces religions ancestrales!

La nourriture des Dieux, ultime manifeste psychédélique de McKenna

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Terence McKenna est l’héritier de grandes figures de l’ère psychédélique US comme Huxley, Leary ou Burroughs. Diplômé de l’Université de Berkeley, ses sujets de prédilection sont le chamanisme et l’utilisation rituelle de plantes hallucinogènes à travers les âges. Focus sur  La Nourriture des Dieux, ouvrage que l’auteur lui-même désignait comme son “manifeste psychédélique”.

Le premier constat fait par McKenna est celui d’une société contemporaine qui s’attèle aux problèmes des dépendances aux drogues psychédéliques sur la base du modèle d’une société de consommation et d’individualisme qui ne laisse plus de place à l’onirisme et à la spiritualité ; « Qu’avons-nous perdu en niant la légitimité des pulsions individuelles vers l’usage de substances permettant un accès personnel au transcendantal et au sacré ? Répondre à ces questions nous amènera, je l’espère, à mesurer pleinement ce qu’il en coûte de nier la dimension spirituelle de la nature pour la considérer seulement comme une « ressource » à exploiter. »

Il ne s’agit bien entendu pas de faire l’apologie d’une consommation excessive de substances psycho actives ou de dessiner une frontière manichéenne entre ceux qui en usent et les autres mais d’ouvrir le débat à une consommation spirituelle qui vise la communion avec la nature et l’adoucissement de l’ego dominateur et destructeur. «  Il existe un lien de causalité étroit entre la répression qui touche la fascination humaine pour les états de conscience modifiés et la situation périlleuse dans laquelle se trouvent aujourd’hui toutes les formes de vie sur Terre ».

Dans son ouvrage Le Calice et L’Épée, McKenna part du postulat selon lequel des sociétés de partenariat plus féminisés ont précédé les sociétés dominatrices, matérialistes et dominées par le sexe masculin. MacKenna défend que nous sommes héritiers de cette société de domination et d’ego pour qui « modifier sa conscience au moyen de plantes ou de produits divers est intrinsèquement mauvais et reflète une attitude onaniste, perverse et anti-sociale », et qu’il est nécessaire voire urgent de faire évoluer le paradigme en s’inspirant des sociétés originelles de partenariat. Car ce qui rend le cannabis si détestable aux sociétés bourgeoises, alors qu’il est presque la première production agricole au Etats-Unis par exemple, c’est bien qu’il dissout les frontières de l’ego, apaise l’esprit, tout en laissant intacte la structure de la société ordinaire.

Verrons-nous un jour une société qui a renoué son alliance avec la nature et la spiritualité, une société qui prend le temps de vivre et de s’émerveiller en ralentissant la cadence ? Le cannabis et la normalisation de son usage font-ils partie intégrante de cette société nouvelle ? Peut-être. Nous étudierons, dans cette série d’articles, les écrits et les auteurs qui l’ont défendu.

 

Bonus, l’analyse des drogues psychédéliques de Mc Kenna

 

 

Comment Rabelais décrivait la Weed

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Rabelais, dans son oeuvre : le Tiers Livre, aborde le sujet de notre plante d’une manière riche et originale. Son récit décrit un monde fantastique, dont les éléments paraissent de prime abord chimériques et sans rapport aucun avec le réel. Pourtant, le végétal qu’il décrit ne va pas sans rappeler par de multiples aspects le chanvre ou la Weed et certains de ses effets.

À la fin du Tiers Livre, paru en 1546, Pantagruel et son compagnon Panurge achèvent la longue série de rencontres initiatiques qui rythment l’ouvrage. La question qui anime Panurge : “doit-il se marier ?”, sert de prétexte à la consultation de différents interlocuteurs souvent d’apparence invraisemblable : un philosophe, un fou, une sorcière, etc.

Or, au chapitre 59 (XLIX), Rabelais fait état d’une herbe qu’il nomme Pantagruelion : « tant verte & crue, que confite & préparée ».   « L’herbe Pantagruelion a racine petite, durette, rondelette, finissant en pointe obtuse, blanche, à peu de filaments, & pas plus profonde en terre que d’une coudée. De la racine procède une tige unique, ronde, ferulacée, verte au dehors, blanchissant au dedans : concave, comme la tige de Smyrnium, Olus atrum, Fèves, & Gentiane : ligneuse, droite, friable, crénelée, quelque peu à forme de colonnes légèrement striées : pleine de fibres, en lesquelles consiste toute la dignité de l’herbe, aussi bien dans la partie dite Mesa, c’est-à-dire médiane, que dans celle qui est dite Mylasea ».  

S’ensuit une longue description de la plante selon sa forme et sa composition : il s’agit en vérité du chanvre. Aux chapitres suivants, Rabelais décrit ses multiples usages suivant les traditions, les appellations qu’on lui donne et les peuples qui l’emploient. Il lui prête quantité de vertus miraculeuses et explique son origine :   « Ce sont d’ailleurs ces vertus et ses singularités qui la font nommer Pantagruelion. Car de même que Pantagruel a été l’Idée et l’exemple [vocabulaire platonicien] de toute joyeuse perfection (je crois que personne parmi vous autres Buveurs [c’est ainsi que Rabelais nomme ses lecteurs] n’en doute), aussi au Pantagruelion je reconnais tant de vertus, tant d’énergie, tant de perfection, tant d’effets admirables, que si elle eut été en ses qualités reconnues lorsque les arbres (selon le récit du Prophète) firent élection d’un Roi des bois pour les régir & dominer, elle sans doute eut emporté la pluralité des voix & des suffrages. Vous en dirai-je plus ? »

Ainsi le chanvre sert, selon la façon dont il est utilisé, à fabriquer des textiles, des cordes, des décorations. Rabelais fait aussi état de propriétés relaxantes similaires aux effets de ce que nous appelons aujourd’hui le CBD :« La racine de celle-ci, cuite en eau, ramollit les nerfs étirés, les jointures contractées, les podagres sclirrhotiques, & les gouttes nouées ».

Ces longues descriptions, quoiqu’insérées dans un contexte fantastique, font pourtant état des différentes méthodes qui servaient à l’époque de Rabelais à préparer et à employer le chanvre. Car, les analyses et les interprétations modernes tendent à trouver dans ses écrits comiques des sens cachés, des informations à caractère rationnel, expérimental ou philosophique.  On regrette seulement qu’il ne soit fait aucune mention des effets psychoactifs du cannabis, que Rabelais, en sa qualité de médecin, décrit pourtant grassement. Mais on découvre ici avec amusement que déjà au XVIe siècle, une certaine communauté « scientifique » se penchait avec émerveillement sur notre chère plante.

Cannabis et littérature : voyage dans l’univers des psychonautes à plume du XIXème

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Cette chronique n’a pas vocation à établir une énième liste d’écrivains adeptes de substances illicites (même si je ne me refuserai pas d’en citer quelques-uns et d’en rapporter les observations), mais plutôt d’explorer le lien qu’entretient la littérature avec les effets psychotropes induits par des produits tels que le cannabis. Car il semblerait que leurs chants respectifs, bien des fois, aiment à jouer en chœur.

« DILATER LA VIE ET CREVER LE PLAFOND… »
En parlant de son ami écrivain et journaliste Roger Vailland, alors disparu, Joseph Kessel ne peut s’empêcher d’aborder le sujet de la drogue. Lauréat en 1957 du Prix Goncourt pour son ouvrage La Loi, Roger Vailland était connu pour sa grande consommation de produits illicites. Lors de cette interview, Joseph Kessel ne se cache d’ailleurs pas d’avoir lui aussi joué avec ces évasions, comme il les appelle. Il fait alors part d’une observation à ce sujet. Il existerait selon lui deux raisons pour lesquelles les gens se droguent : pour vaincre une angoisse permanente, ou bien pour dilater la vie et crever le plafond. Vailland était de la deuxième catégorie, assure l’auteur des Cavaliers, sans préciser toutefois celle dans laquelle lui-même se rangeait.

À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU J’AI CROISÉ LE LAPIN BLANC
Tous les écrivains ne se droguent pas. Certes ! Mais l’écrivain que je suis, est prêt à parier que nous écrivons tous pour au moins l’une des deux raisons avancées par Monsieur Kessel. L’occasion pour moi de me confesser comme lui : « J’ai consommé et je consomme encore aujourd’hui ». L’occasion pour moi d’aller plus loin que lui : « Je consomme dans la seconde catégorie et j’écris dans la première ». J’écris pour vaincre mon angoisse : « le Temps perdu ; en espérant le retrouver, comme Proust, en le transcendant au moyen de l’œuvre littéraire. Mais, malgré ça, l’impression d’être en retard, toujours en retard… s’avère bien trop souvent persistante, et je me terre alors au Pays des merveilles pour que l’œuvre littéraire soit transcendée par la dilatation de la vie ; pour éprouver qu’une heure n’est pas qu’une heure, comme l’écrit l’auteur de La Recherche, mais que c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats ». Le cannabis était un des composés essentiels des cigarettes que fumait Proust…

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro 2 du magazine ZEWEED , disponible chez votre marchand de journaux sur ce lien .

 

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Ce que Michel Foucault pensait de la weed.

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Quelles auraient été les opinions d’un des plus grands penseurs français du XX siècle sur la légalisation du cannabis ? D’après notre journaliste Morgane, d’un point de vue philosophique, Michel Foucault ne s’y serait pas opposer.

Michel Foucault est un philosophe du XXe siècle, réputé pour sa théorie politico-sociale et ses réflexions sur la folie. Il s’érige contre les systèmes d’enfermement tels que la prison et les hôpitaux psychiatriques, et tente au travers de sa propre analyse de l’histoire de penser les institutions, c’est à dire les dispositifs de vérité, de savoir et de pouvoir.

La connaissance biographique que l’on a de Foucault nous apprend qu’il n’était pas sans penchants pour l’alcool ni pour les drogues, et notamment le cannabis. M. Foucault était homosexuel (par ailleurs décédé par suite de la maladie du VIH), et si l’on peut associer ces pratiques à un état dépressif notoire, on peut encore se demander comment elles s’insèrent dans sa philosophie.

Il ne serait pas aventureux de dire que Foucault aurait été en faveur de la légalisation, puisqu’il critiquait avec virulence le progrès toujours croissant du caractère disciplinaire de notre société. Dans ses combats auprès de ses étudiants autant que par ses propos dans ses cours, ses conférences et ses écrits, Foucault s’affirme comme défenseur de la liberté et protecteur des marginaux (les fous, les criminels, les « déviants » sexuels, etc.).

Il explique que la mise à l’écart, l’exclusion d’une partie de la population qui ne répond pas à la norme sociale permet au reste de la société de faire corps, de se constituer comme ensemble. Ainsi les justifications qui amènent à enfermer, électrocuter, pénaliser les gens sont de faux prétextes qui dissimulent l’intention véritable des gouvernements : s’assurer le pouvoir.

Nous pouvons donc supposer que Foucault aurait été un fervent acteur sur la scène politique pour la libre circulation du cannabis et la défense de ses usagers. Foucault encourageait la résistance et la rébellion contre les systèmes de pouvoir : sa vie le prouve autant que sa pensée (il tricha notamment aux examens qui devaient décider de sa capacité à accomplir son service militaire grâce à ses connaissances en psychologie et en médecine). Il semble également qu’il ait été, à titre personnel, intéressé par les psychotropes comme le THC et la possibilité de modifier ses états de conscience, mais cela relève d’une autre question.