Culte

HIGH TIMES : Du fanzine gonzo à la multi-nationale de la ganja

/

Créé il y a près de cinquante ans par le légendaire Tom Forcade, High Times s’est d’emblée imposé comme le magazine cannabique de référence, bible incontestable et incontestée des amateurs de Ganja. Retour sur une aventure éditorial aussi hors-normes que visionnaire.

C’est une aventure éditoriale hors-norme, et un des succès les plus retentissants de la presse américaine. Car qui, à l’origine, aurait parié un cent sur l’avenir de cette publication a priori confidentielle, et dont le contenu frisant l’illégalité s’exposait aux foudres des autorités ? Reste que les défenseurs de la liberté d’expression, tout comme les enthousiastes de la la ganja se devront de célébrer l’été prochain le cinquantième anniversaire de la naissance de High Times, le magazine le plus perché de la presse US.

Mais replaçons les choses dans leur contexte. Nous sommes en 1974, à New-York, et un certain Thomas King Forcade – de son vrai nom Gary Goodson, né à Phoenix, Arizona – a une idée que certains s’empressent de ranger aux rayons des canulars et autres facéties dont il est coutumier : créer un magazine qui soit à la marijuana ce que le Playboy de Hugh Hefner est au sexe. Il sera l’occasion de parler du chanvre dans tous ses états. Et, en double-page centrale, en lieu et place d’une playmate sensuellement dénudée, les lecteurs pourront se rincer l’oeil devant un énorme plant de cannabis sur papier glacé.

 

Man in black au chapeau de cow-boy

Bien qu’âgé de seulement vingt-neuf ans, Forcade n’en est pas à son coup d’essai. Il a fait ses classes au sein de l’Underground Press Syndicate (UPS), une association regroupant une flopée de journaux libertaires radicalement opposés à la société américaine de l’époque. Tout de noir vêtu, coiffé en permanence d’un chapeau marron à large bord, et le plus souvent armé d’un pistolet, ce moustachu aux yeux bleus perçants a le verbe haut et l’insolence d’un fanatique de la contestation. Ambitieux, déterminé, il se veut l’apôtre d’une liberté sans garde-fou, dénonce violemment la ségrégation raciale, la guerre du Vietnam, et exécre par-dessus tout les médias mainstream, coupables selon lui de “bourrer la tête des gens de merdes maléfiques”. Après avoir gravi tous les échelons de l’UPS juqu’à en prendre la direction, Forcade commence par créer un hebdomadaire alternatif, Orpheus, sorte de Reader’s Digest d’articles sélectionnés dans différentes publications underground. Pour le promouvoir, il sillone l’Arizona dans un autobus scolaire Chevrolet de 1946, lequel abrite une presse à imprimer et sert occasionnellement de salle de rédaction.

Tom Forcade, le cow-boy de la ganja presse indie

Editeur-dealer-preacher

Ainsi va-t-il accroître son lectorat, sans se priver de vendre par la même occasion cannabis et autres substances illicites, générant ainsi des profits utiles à sa cause. Si l’autobus est arrêté par la police, Forcade enfile le col blanc d’un prédicateur itinérant, présente un exemplaire factice d’Orpheus sur la couverture duquel un Jésus débonnaire fait un signe de paix, et entonne avec ses camarades de virée un hymne religieux. Une mascarade suffisemment convaincante pour s’en tirer le plus souvent avec un simple avertissement.

« La seule obsénité, c’est la censure »

Parmi ses autres faits de gloire, citons également sa comparution devant une Commission présidentielle sur l’obscénité et la pornographie créée en 1969 à l’initiative du président des États-Unis Lyndon B. Johnson. Non seulement Forcade arrive sur les lieux dans une limousine peinte aux couleurs du drapeau Vietcong – nous sommes en pleine guerre du Vietnam -, mais il devient aussi le premier “entarteur” de l’histoire en jetant une tarte à la crème sur la face hébétée du président au cri de  : “La seule obscénité, c’est la censure !”

Mais sa réputation grandissante et le succès local d’Orpheus ne le satisfont pas. Ce dont il rêve, c’est d’un magazine distribué et reconnu sur l’ensemble du territoire américain, histoire de changer une bonne fois pour toute les mentalités et de remporter la seule bataille qui lui tient vraiment à coeur, celle de la légalisation du cannabis. Pour ce faire, il décide dans un premier temps de quitter Phoenix pour emménager à New-York, et installe le siège de l’UPS près d’Union Square, dans un appartement orné d’affiches de rock psychédélique et encombré du sol au plafond de piles de journaux et de bottes de ganja. Non content d’être désormais devenu un acteur incontournable de la contre-culture, il commence à vendre de l’herbe en gros dans un smoke-easy illégal de Grennwich Street et consacre une partie de ses gains à la conception de ce qui consituera son grand oeuvre : High Times.

Naissance d’un géant vert

Le premier numéro du magazine paraît durant l’été 1974. Il se veut alternatif et politique, passionnément pro-cannabique et ne s’interdisant aucun sujets, aussi sulfureux soient-ils. Sa couverture délicieusement ironique présente une élégante jeune femme coiffée d’un chapeau digne du Prix de Diane s’apprêtant à engloutir un champignon qu’on imagine aisément hallucinogène – il s’agissait en réalité d’un champignon de consommation courante venu de l’épicerie la plus proche. Son contenu, lui, propose de nombreux articles écrits sur un ton souvent décalé et divertissant, des extraits d’un livre de Timothy Leary, adepte convaincu du LSD, un compte-rendu des découvertes scientifiques et des évolutions juridiques liés à la drogue, et même le cours des prix de substances illicites en tout genre. Quant aux fameux plant de cannabis imprimé en double-page centrale, il bénéficiera le plus souvent d’une seconde vie, placardé sur les murs des chambres de nombre d’adolescents.

High Times est un succès immédiat et son premier tirage de vingt-cinq mille exemplaires s’écoule en un claquement de doigt. Il devient très vite un mensuel incontournable, et la croissance rapide de son lectorat tout comme de ses revenus publicitaires en font une entreprise florissante, dotée d’une rédaction de plus de quarante journalistes. Dan Skye, le rédacteur en chef du magazine de 2014 à 2020 estimera que le nombre de lecteurs de High Times s’élèvait en 1978 à plus de quatre millions !

La chute du créateur

Mais en dépit de cette réussite phénoménale, Tom Forcade ne se porte pas bien. Son tempérament dépressif associé à son style de vie débridé commence à avoir des conséquences néfastes. Il tend à délaisser la direction du magazine, préfére partir sur les routes avec ses groupes de musique préférés, dont les Sex Pistols, ou en mission de contrebande de weed, au Mexique ou ailleurs. Ce qui ne l’empêche pas de téléphoner fréquemment à la rédaction sous l’emprise de drogues de plus en plus dures, menaçant de liencier tout le monde ou promettant des primes exceptionnelles. Ce faisant, les journalistes qu’il a lui-même mis en place apprennent à se débrouiller sans lui et publie le magazine en temps et en heure. Des personnalités de renom acceptent d’y signer des articles, parfois régulièrement, comme les écrivains William S. Burroughs, Charles Bukowski ou Tom Robbins. En outre, la présence en couverture de célébrités telles que Bob Marley, Debbie Harry du groupe Blondie, Andy Warhol, Johnny Rotten des Sex Pistols, ou le gonzo journaliste Hunter S.Thompson marque à jamais les esprits. Sans parler des interviews devenues cultes, commes celle de l’essayiste Susan Sontag, du linguiste Noam Chomsky et même du Dalaï Lama ! Ce qui ne réconciliera pas pour autant Forcade avec lui-même…

Le 16 novembre 1978, à seulement trente-trois ans, le fondateur de High Times se tire une balle dans la tête dans son appartement New-Yorkais. Passé le choc de la nouvelle, la question se pose de savoir si le magazine lui survivra. C’est compter sans la qualité de l’équipe en place, grâce à laquelle il continuera de paraître et d’asseoir définitivement son succès. Dans les années 80, High Times se signalera notamment par la publication d’articles précurseurs sur la culture du cannabis en intérieur et par l’organisation de la Cannabis cup, un festival annuel organisé à Amsterdam où un jury récompense les producteurs des meilleurs variétés mondiales de cannabis. Certes, le mouvement pro-légalisation traverse une période difficile dans les années 90. High Times attire notemment l’attention de la DEA (Drug enforcement Administration) qui perquisitionne les commerces ayant fait de la publicité dans le magazine et va même jusqu’à menacer leur clientèle.

2000-2024 : les années high

Au point qu’en 2004, un nouveau rédacteur en chef opère un brutal changement de ligne éditoriale, délaissant le cannabis pour l’actualité littéraire. Mais cette tentative s’avère un échec, et High Times s’empresse de revenir à ses premières amours, auxquelles il reste plus que jamais fidèle aujourd’hui. Malgré la mutliplication de sites Internet spécialisés dans le même domaine, la publication se porte plutôt bien, principalement du fait de la légalisation croissante du cannabis aux États-Unis. Quant au site Internet de High Times, inauguré en 2014, il reçoit chaque mois la visite de près de cinq millions d’utilisateurs. Un bel hommage à l’initiative visionnaire d’un Tom Forcade dont la personnalité sombre et lumineuse, à la fois activiste politique, journaliste et trafiquant de drogues, plane encore sur le magazine. On aime particulièrement s’y souvenir que peu de temps après son incinération, une commémoration avait été organisée dans le restaurant Windows on the World, au sommet du World Trade Center. Cette réunion d’amis et de rédacteurs de High Times fut l’occasion de fumer de nombreux joints tout en se remémorant, entre rire et pleurs, mille anecdotes concernant le défunt. Or chacun de ces joints contenait également une pincée de ses cendres. Sans aucun doute, Tom aurait apprécié.

 

Hugues Arbellot de Vacqueur

 

Verbatim : « La seule obsénité, c’est la censure » Tom Forcade

 

Interview : Carl Craig, In Techno we trust

/

Dj et producteur, pionnier de la techno de Détroit, Carl Craig s’apprête à inaugurer une résidence exceptionnelle avec le club parisien FVTVR, installé au 34 quai d’Austerlitz. À cette occasion, il replonge pour nous dans l’atmosphère bouillonnante du Motown des années 80, ses influences, son approche de la scène, et sa vision de la musique, entre racines et futurisme. Pour la première soirée, ce vendredi 9 février, on le retrouvera aux côtés du britannique Roni Size.

ZEWEED : Il se passait beaucoup de choses à Détroit dans les années 80, aussi bien sur le plan artistique, politique qu’économique. La techno aurait-elle pu naître ailleurs que là bas ?
Carl Craig : Je ne pense pas. Pas de la façon dont on la faite. C’est comme le rap, il devait venir du Bronx, de Harlem et de Brooklyn. Le rap devait naître d’une ville où les gens vivent les uns sur les autres. La techno devait naître d’une ville où pour trouver de la nourriture, des produis frais, il fallait faire 20 minutes de route, sortir du quartier et gagner la banlieue. Les voitures, les robots, les usines automobiles, l’idée d’utiliser les nouvelles technologies ont eu une influence considérable sur nos imaginations.

ZW: Le jazz, la funk, le hip-hop, Kraftwerk, les synthés…Y a-t-il une impression ou une émotion particulière que tu gardes de ta jeunesse au milieu de tout ça ?
CC : J’ai ressenti quelque chose de très fort lorsque la chanson Charivari de A Number Of Names est sortie. Non seulement lElectrifying Mojo la jouée dans son émission, mais c’était en plus des gars de mon quartier. Je me suis senti un peu comme dans le film Les Affranchis, quand ils découvrent que c’est un type qu’ils connaissent qui a fait le casse de la Lufthansa. Quand j’ai entendu Charivari à la radio, je me suis dit “ce sont les gars du quartier”. J’ai ressenti la même excitation quand j’étais enfant et que j’ai découvert que Cybotron venait de Détroit, quand mon cousin a lancé Technicolor (un projet en collaboration avec Juan Atkins, ndlr) ou quand j’ai regardé l’émission de télévision The Scene. Je savais qu’ils venaient tous de Détroit.

ZW: Depuis, tu es devenu lun des principaux ambassadeurs de la techno dans le monde. Quel message essayes-tu de faire passer en jouant dans tous ces endroits ?
CC : Je prêche le techno gospel. Je suis à la fois Dj et prêtre. Peu importe ce que je joue, si je joue quelque chose qui sonne plus comme de la tech house, c’est toujours de la techno pour moi parce que je le joue toujours avec un état d’esprit techno. Je fais tout ce qui me permet de jouer ma propre musique, sans essayer de me conformer au dancefloor ou aux gens. Si jessayais de me conformer aux gens, ce serait trop difficile car tout le monde ne veut pas la même chose. Vendredi, j’étais à Berlin, samedi à Rome. En Italie, les gens apprécient la musique différemment, ils veulent entendre une ligne de basse déstructurée. Je remplis donc ma mission de prêtre techno et j’espère trouver un terrain d’entente avec le public pour quon puisse profiter de la soirée.

Carl Craig : chapeau, maestro!

ZW : Pourrais-tu définir la techno, ou s’agit-il d’une attitude ?
CC : Je pense qu’il s’agit d’une attitude. Il est plus facile de définir le rap ou le rock. Public Enemy fait du rap, mais leur attitude est un hybride de rock and roll et de nationalisme noir. Le Wu-Tang Clan fait du rap, mais ils ont ce côté rock and roll, et ils mélangent cette attitude avec des rythmes hip hop et toutes sortes de gimmick. Avec la techno, il y a beaucoup de couleurs différentes. C’est comme le jazz. La mentalité de la techno, de mon point de vue, a à voir avec un truc futuriste, avec l’idée qu’aucune idée n’est hors de portée. Tout est possible.

ZW: Pourquoi est-il important que la techno reste underground ? Est-ce possible ?
CC : Elle doit rester underground. La techno que les gens considèrent comme de la musique commerciale est vraiment ringarde et je ne pense pas qu’elle ait une longue espérance de vie. Lorsque la musique reste underground, elle a la possibilité de grandir, grossir, de sapaiser et d’émerger de nouveau. C’est pour ça que vous pouvez écouter un disque de Rhythm Is Rhythm pendant 30 ans, parce que c’est quelque chose qui na pas été cramé  cent fois par jour à la radio ou été imité mille fois.

 

ZW : Tu es de retour à Paris pour une résidence à FVTVR. Quest-ce que ça fait de jouer dans cette ville?
CC : Il m’a fallu un peu de temps avant dapprécier Paris à sa juste valeur. Je venais de Détroit, alors Paris à mes yeux était un peu comme ce gamin de l’école dont le père est riche et qui a tout. Cest après avoir surpris un combat de rue à Paris que je me suis dit “ok, j’aime vraiment cet endroit “. Cela a mis Paris au même niveau que ce à quoi j’étais habitué à Détroit.  

ZW : Comment Détroit a-t-elle changé au cours des années où tu y as vécu ?
CC : C’est une bonne question. La criminalité et le taux d’homicide sont en baisse. C’est une excellente nouvelle pour Détroit. La ville sest développé, avec de nouvelles constructions, des entreprises, beaucoup plus de restaurants, la culture alimentaire est meilleure, mais ça reste la même ville, il faut toujours prendre la voiture et parcourir une bonne distance pour trouver de la nourriture saine.

Carl Craig & MoodyMann : Detroit Techno is in the house!

ZW : Tu as vu tes premiers concerts en aidant ton cousin à installer les lumières. Plus de 30 ans plus tard, les lumières ont également joué un rôle important dans toninstallation immersive Party/After-Party, présentée pour la première fois à la Dia Beacon en 2020, dans lEtat de New York. Quelle est ton approche de la scène ?
CC : Tout ce que je fais est centré autour des ondes sonores. Mon travail, en tant que producteur, consiste à faire fonctionner ensemble des choses qui ne devraient pas. Pour en revenir à la lumière, dans Party/After-Party, elle est le résultat de ma collaboration avec John et Randy. Je ne suis pas arrivé avec une idée parfaitement définie de ce que je voulais. Mon idée de l’éclairage d’un club, c’est une pièce sombre et un stroboscope, parce que cela remonte à l’époque des fêtes dans les sous-sols, quand on éclairait avecdes phares comme ceux que lon trouvait sur le toit des voitures de police.

ZW : Penses-tu que la techno sera toujours strictement la musique du futur , comme l’a dit Derrick May ?
CC : Oui, je pense. L’idée futuriste est ancrée dans la musique techno. Tout a commencé par là. Le rap a été conçu pour être la musique de son temps. Il n’a jamais été question de futurisme dans le rap. Dans l’électro, on parlait aussi de futurisme, Nucleus parlait de lespace et de super-héros, c’est pourquoi l’électro et la techno vont vraiment de pair.

ZW : Quest-ce que ça représente pour toi de jouer avec des artistes tels que Roni Size, Joe Claussell, Moodyman et Kevin Saunderson ?
CC : C’est incroyable. Roni et Joe sont des personnes que je respecte depuis toujours, mais je n’avais presque jamais joué avec eux. Kevin et Moodyman sont mes frères, je les connais depuis presque aussi longtemps que mon propre frère. C‘est génial de faire ça avec eux. Nous pouvons diffuser le Detroit techno gospel au FVTVR à Paris.

                                                                                             

 

Les 4 dates de Carl Craig à FVTVR :

  • 9 FÉVRIER : Carl Craig présente «THE BEAT» avec Roni Size
  • 10 FÉVRIER : Carl Craig présente «THE GROOVE» avec Joe Claussell
  • 16 FÉVRIER : Carl Craig présente son all night long «THE MEGAMIX»
  • 17 FÉVRIER : Carl Craig présente « DETROIT LOVE » avec Kevin Saunderson & Moodymann
FVTVR Insta : fvtvr_paris
Carl Craig Insta : carlcraignet

 

Le smoky track du mois “Don’t bogart that joint”

//

Sorti en 1969, Easy Rider est instantanément devenu le film-étendard d’une génération éprise de liberté et de voyages, y compris ceux pratiqués sans bouger. Parmi les grands moments de ce road movie d’anthologie, une smoke session entre Nicholson, Hopper et Fonda sur  le titre “Don’t Bogart that joint”. Un hymne au plaisir groupé qu’il convenait d’honorer alors que l’été se profile et nous invite au partage de toutes les douceurs.

Faire tourner un joint entre amis. Une pratique qui, Covid oblige, s’apparente désormais plus à la roulette russe qu’à la tournante mort de rire.
Qu’il est loin, le temps des joints baveux, des fénétour et de la mine défaite du copain qui se tape le filtre après s’être fait taxer toutes ses clopes.
Qu’elle semble distante la belle époque du t’as des feuilles?, tu me passe le filtre? et autre détend-toi, tu fais une carotte.
Parce que l’été (2022?) est encore loin, aussi loin que nos doux souvenirs de partouze cannabique, la rédaction se devait de vous en dire un peu plus sur le titre qui a officialiser le partage de pétard.

Composé et interprété par le groupe “The Fraternity of Man” en 1968 “Don’t bogart that joint” figure sur leur premier 33 tours (ils ne feront tourner que deux album avant de se séparer en 1970) et reste le titre phare de la formation Californienne.

Flower Power riders

Les paroles sans équivoques (à une époque où Beatles et Stones font encore dans la distante allusion pour parler de paradis artificiels) plantent tout de suite le décor “Don’t Bogart that joint, my friend, pass it over to me/Ne t’endors pas sur le joint, mon ami, passe le moi“. S’en suit une seconde considération du même acabit où l’on apprend que l’ami en question s’est sérieusement endormi sur le spliff et que le chanteur, lui, voudrait bien tâter tôt ou tard du pétard.  “You’ve been hanging on to it, and I ‘d sure like a hit/Ca fait un moment que tu es dessus, et je veux bien une taffe“. Tout est bien qui finira bien au pays des hippies grâce à la géniale initiative proposée par le narrateur : ” Roll another one, juste like the other one/ roules en un autre, comme le précédent”. Du vrai flower power.

Si les paroles tournent elles aussi en rond, le slide de la guitare hawaïenne, le piano et ses arpèges aériens, les coeurs rigolards et la chaude texture des arrangements en font un air aussi bon enfant qu’entêtant. Le titre parviendra à se hisser à une très honorable 6ème place dans les charts US.
Quant à la scène d’Easy Rider sur laquelle l’air est joué, elle, n’a pas été jouée pour le moins du monde: Peter Fonda, Dennis Hopper et Jack Nicholson ne fumaient pas que du tabac pour cette prise.
En atteste les petits yeux de Nicholson, le sourire béat de Fonda et le rire bordeline de Hopper.

La scène mythique entre trois grands adeptes de la belle plante:

Bonus: Easy Rider, Raging Bull,  précieux documentaire sur la jeune génération de réalisateurs qui, révolutionna le cinéma Us entre 1969 et 1975, avec entre autre Dennis Hopper, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Robert de Niro.

 

 

Et si Woody Allen avait vu juste?

//

En 1973, Woody Allen réalisait “Sleepers” (Woody et les robots en VF), soit une comédie grand-guignolesque oui, mais avec quelques idées très en avance sur son temps… et le nôtre. 

Miles Monroe (Woody Allen) se réveille en l’an de grâce 2173,  après avoir été congelé pendant deux siècles. Déglacé par des scientifiques entrés en résistance de l’ordre établi, cet hibernatus New-Yorkais va rapidement rallier, bon gré mal-gré, leur mouvement révolutionnaire. Inconnu et jamais fiché dans cette société faussement utopique, Miles Monroe aura pour mission d’ infiltrer le projet “Aires”, abominable initiative élaborée par un gouvernement totalitaire aux allures de régime Nazi 2.0.

 

Parodiant largement les théories du 1984 d’Orwell et le 2001 de Kubrick (Woody aura entre autre à faire à une machine en tout points semblables à HAL, l’ordinateur fou de l’Odyssée de l’Espace), le plus célèbre des névrosés de la grosse pomme s’en donne à cœur joie en jouant à l’hypocondriaque flippé à l’idée de devoir régler 200 ans de loyer en retard. Autre sujet d’inquiétude méthaphysique: le décongelé constate qu’il n’a pas eu de relation sexuelle depuis 204 ans (en comptant ses 4 années de mariage avec son ex-femme).

Le film est aussi un bel hommage au muet, particulièrement à Chaplin et aux Marx Brothers que Allen adule. Diane Keaton y est absolument éblouissante de beauté, dans un rôle tout aussi déluré que celui de son ancien partenaire de scène et de coeur.

Au delà de la comédie-pantalonade et ses courses poursuites à la Benny Hill, Woody et les Robots regorge d’idées que l’on rêverait de pouvoir caresser un jour . A commencer par “The Orb”, une boule qui défonce quand on la tripote.
Un outil de plaisir rêvé en ces temps au contact défendu et un engin idéal pour décoller sans fumée.

On croisera aussi dans cet ovni cinématographique des voitures électriques, des carottes géantes génétiquement modifiées ainsi qu’une mémorable séquence sur le clonage. Il s’agira pour Woody et Diane Keaton de cloner le président défunt… à partir du seul membre retrouvé après la disparition du dirigeant: son nez. Soit deux décennies avant la première tentative de clonage (le mouton dolly au Royaume-Uni ).

Last but not least:  l’orgasmatron, ou comment pratiquer du safe sex en quelque secondes.

Sacré Woody!

La nourriture des Dieux, ultime manifeste psychédélique de McKenna

//

Terence McKenna est l’héritier de grandes figures de l’ère psychédélique US comme Huxley, Leary ou Burroughs. Diplômé de l’Université de Berkeley, ses sujets de prédilection sont le chamanisme et l’utilisation rituelle de plantes hallucinogènes à travers les âges. Focus sur  La Nourriture des Dieux, ouvrage que l’auteur lui-même désignait comme son “manifeste psychédélique”.

Le premier constat fait par McKenna est celui d’une société contemporaine qui s’attèle aux problèmes des dépendances aux drogues psychédéliques sur la base du modèle d’une société de consommation et d’individualisme qui ne laisse plus de place à l’onirisme et à la spiritualité ; « Qu’avons-nous perdu en niant la légitimité des pulsions individuelles vers l’usage de substances permettant un accès personnel au transcendantal et au sacré ? Répondre à ces questions nous amènera, je l’espère, à mesurer pleinement ce qu’il en coûte de nier la dimension spirituelle de la nature pour la considérer seulement comme une « ressource » à exploiter. »

Il ne s’agit bien entendu pas de faire l’apologie d’une consommation excessive de substances psycho actives ou de dessiner une frontière manichéenne entre ceux qui en usent et les autres mais d’ouvrir le débat à une consommation spirituelle qui vise la communion avec la nature et l’adoucissement de l’ego dominateur et destructeur. «  Il existe un lien de causalité étroit entre la répression qui touche la fascination humaine pour les états de conscience modifiés et la situation périlleuse dans laquelle se trouvent aujourd’hui toutes les formes de vie sur Terre ».

Dans son ouvrage Le Calice et L’Épée, McKenna part du postulat selon lequel des sociétés de partenariat plus féminisés ont précédé les sociétés dominatrices, matérialistes et dominées par le sexe masculin. MacKenna défend que nous sommes héritiers de cette société de domination et d’ego pour qui « modifier sa conscience au moyen de plantes ou de produits divers est intrinsèquement mauvais et reflète une attitude onaniste, perverse et anti-sociale », et qu’il est nécessaire voire urgent de faire évoluer le paradigme en s’inspirant des sociétés originelles de partenariat. Car ce qui rend le cannabis si détestable aux sociétés bourgeoises, alors qu’il est presque la première production agricole au Etats-Unis par exemple, c’est bien qu’il dissout les frontières de l’ego, apaise l’esprit, tout en laissant intacte la structure de la société ordinaire.

Verrons-nous un jour une société qui a renoué son alliance avec la nature et la spiritualité, une société qui prend le temps de vivre et de s’émerveiller en ralentissant la cadence ? Le cannabis et la normalisation de son usage font-ils partie intégrante de cette société nouvelle ? Peut-être. Nous étudierons, dans cette série d’articles, les écrits et les auteurs qui l’ont défendu.

 

Bonus, l’analyse des drogues psychédéliques de Mc Kenna