Hugo

Témoignage : “J’ai troqué le THC pour du CBD”

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Grand fumeur de joints devant l’Eternel, notre journaliste Hugo a troqué depuis quelques mois son THC pour du CBD. Et il en est ravi. Un choix sain pour bien commencer l’année, ou en tous cas entamer un vrai dry January. 

A l’époque où j’ai commencé à fumer, il n’y avait à Paris que de la weed. Le THC, c’était trois consonnes que les intervenants de la brigade des stup’ essayaient d’inscrire dans nos têtes de collégiens, et le CBD, ça n’existait pas. J’avais 14 ans et une boulette de shit dénichée dans un tiroir du bureau de mon père. Je cherchais de l’argent, mais ma trouvaille avait beaucoup plus de valeur : j’allais pouvoir être un rebelle aux yeux de mes potes avec un truc qui n’allait pas me tuer — mes parents avaient du shit et une vie stable, une santé bonne, pourquoi pas moi ?

“fumer était devenu plus qu’une habitude, c’était une évidence de mon quotidien”

Au lycée, les occasions de fumer se sont multipliées avec les journées dans les parcs, les recoins des quais de Seine ou d’obscures ruelles, les soirées dans les appartements. A la fac, ayant quitté le foyer familial, c’était plus d’occasions dont il était question, mais de fumer ou ne pas fumer. J’étais libre, je pouvais faire ce que je voulais. Alors j’ai fait ce que je voulais. D’année en année, ma consommation a augmenté avec ma liberté, et, dans toute mon indépendance, j’étais devenu dépendant. Il n’y avait plus de choix, plus de question, fumer était devenu plus qu’une habitude, c’était une évidence de mon quotidien. Quand on fait quelque chose tous les jours pendant dix ans, on se demande ce qu’on pourrait bien faire d’autre. A part ne pas le faire.

Alors, il y a quatre mois, je me suis lancé dans l’aventure. Arrêter m’a vite rappelé à quoi la weed me servait. Avec elle, pas d’impatiences, pas de pensées tourbillonnantes, pas d’insomnies, pas de crises d’angoisse. Les symptômes du sevrage, m’a expliqué un spécialiste chez qui j’étais allé étaler mon désarroi. Avant qu’il me conseille d’en prendre, je pensais que le CBD était le summum de l’inutilité, un coup marketing pour des ados influençables et peureux. Suivant les conseils de l’expert, j’ai acheté dans une des très nombreuses boutiques de CBD de Paris un flacon d’huile de CBD. « 20% pour commencer, et si c’est pas assez, tu reviens, je te mets un 30% ». Chaleureuse, cette façon de garder un peu du parler des dealers. On m’a recommandé cinq gouttes sous la langue trois fois par jour, si bien que je me baladais partout avec mon petit flacon qui ressemblait drôlement à une tétine. Quelques semaines plus tard, je regardais la petite tétine avec des yeux reconnaissants. Placébo ou non, peu m’importe :  après 8 heures de sommeil, je me réveille les idées claires alors que j’émergeais avant dans des brumes matinales qui ne se dissipaient qu’après le déjeuner. J’avais troqué contre les crises d’angoisse le niveau d’anxiété normal et réconfortant d’un Parisien lambda, et le THC devenait de l’histoire ancienne. Se voir changer grâce à un effort qu’on fait consciemment tous les jours, c’est comme prendre du muscle en allant à la salle, c’est gratifiant.

“Placébo ou non, peu m’importe :  après 8 heures de sommeil, je me réveille les idées claires alors que j’émergeais avant dans des brumes matinales qui ne se dissipaient qu’après le déjeuner”

Aujourd’hui, c’est des mois qui sont passés, et le lointain souvenir des joints qui m’assommaient ne me manque plus du tout. Le plaisir de fumer de l’herbe, en revanche, oui. Mais la bonne nouvelle, c’est que maintenant que je suis capable de passer des journées sans ma tétine d’huile de CBD, je fume de temps en temps cette herbe qui ne défonce pas. Le joint de CBD que j’ai roulé de mes mains expertes ressemble à ceux que j’ai fumés de mes 14 à 24 ans : la taille, la forme, l’odeur, le goût. Une ressemblance de surface, mais justement un peu de légèreté ça fait du bien. Outre le fait de m’avoir aidé à retrouver une stabilité mentale et émotionnelle, la consommation de CBD s’est accompagnée chez moi d’autres changements réjouissants. C’est incroyable, mais maintenant, je fais du sport tous les deux jours, je me souviens intégralement des films que je regarde et des livres que je lis, je n’ai plus jamais raté une soirée à cause d’une angoisse sociale maquillée en paresse, et à ces soirées, je parle. Tant d’avantages d’une bienheureuse transition que je vous raconterai plus en détails dans les épisodes à venir de cette chronique fumeuse.

Hugo se fait un film: Soleil Vert

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Chaque semaine, Zeweed vous propose de (re)découvrir une pépite du cinéma. Aujourd’hui, gros plan sur Soleil Vert (1974), le chef-d’oeuvre écolo-trash et dystopique de Richard Fleischer.

New York. 2022. Quarante millions d’habitants. On doit enjamber des corps, morts ou en passe de l’être, pour se déplacer dans la ville. Il fait chaud. Très chaud, et tout le temps. Le monde est plongé dans une canicule permanente, où stagnent dans l’air des particules fines vertes qui donnent au jour des lueurs vaseuses. La couleur verte, disparue de la face du globe avec toute forme de végétation, d’arbres comme de légumes, est devenue celle d’une petite galette carrée qui est la seule forme d’alimentation accessible au commun des mortels. Ce biscuit à base de plancton condensé s’appelle le Soleil Vert. Tel est le monde qu’envisageait pour nous le réalisateur Richard Fleischer en 1974.

Particules fines et canicule

Bien que tout ait changé, il y a toujours des bons et des méchants, des brigands et des policiers. L’assassinat de M. Simonson, d’un homme puissant ouvre l’enquête menée par Charlton Heston qui, une fois n’est pas coutume dans les années 70, incarne un policier désabusé, courageux, nommé Thorn, aussi subtil et viril qu’un taureau. Il partage son taudis d’appartement, où il faut pédaler sur un vélo pour avoir de l’électricité, avec Sol, un vieillard qui se remémore non sans larmes le monde d’avant, où on mangeait de la vraie nourriture et où on publiait livres et journaux par milliers.
De cette nostalgie, Thorn ne comprend rien et il s’en fout : il n’a rien connu d’autre et n’a donc rien à regretter.

Heston s’étonne

Chez Simonson, l’homme puissant assassiné, ce qui attire son attention et met à rude épreuve son flegme olympique, ce n’est pas le crâne ouvert du défunt, mais le confort matériel. L’eau courante, l’air conditionné, la vraie nourriture dans le frigo, le whisky, le savon et surtout, le mobilier. Mobilier, c’est bien le titre que portent les femmes dans Soleil Vert, réduites à des objets domestiques destinés à procurer du plaisir aux hommes. Celle-ci s’appelle Shirl et regarde le cadavre de son ex-propriétaire se faire emmener par la morgue, qui se déplace non pas en voiture funéraire, mais en camion poubelle. Ces éboueurs de la mort ramassent des milliers de corps chaque jour, mais où les amènent-ils ? Que deviennent-ils ? Pourquoi la morgue distribue, en échange d’un cadavre, un jeton d’une valeur de 200$ ? C’est le grand mystère qui plane dans cette société dystopique, et autour de l’enquête de notre brave Thorn.

 

Cannibalisme en galette

Quand il aura compris pourquoi Simonson a été tué, après plusieurs duels western contre des suppôts du gouvernement, envoyés pour étouffer l’affaire, Thorn aura compris l’immonde et prévisible vérité. Il aura compris pourquoi la mort est encouragée au point qu’existe le Foyer, un mouroir ultramoderne où le pauvre et vieux Sol décide de mettre fin à ses jours et où on propose à chaque futur cadavre vingt minutes de bonheur. Alors que Sol sirote son dernier whisky face à des images de la nature jadis foisonnante, sur une musique classique à fond la caisse, Charlton Heston, arrivé trop tard pour empêcher cette euthanasie, découvre ces images, exactement comme il découvre la Statut de la Liberté à la fin de La Planète des singes : mais qu’avons-nous fait ?

Crépuscule vert

Nous sommes en 2021, et la même question se pose : qu’avons-nous fait ? Apparemment, on s’en est un peu mieux sorti que ce qu’envisageait Richard Fleischer. Pourtant, nous ne sommes pas plus respectueux de la nature que les humains de Soleil Vert. Peut-être rattraperons-nous leur destin asphyxié, mais alors qu’est-ce qui fait que nous nous y dirigeons plus lentement ? La porte de sortie du 2022 annoncé par ce film, c’est une erreur fondamentale dans sa vision de l’avenir.
Je l’ai dit plus haut, les femmes dans Soleil Vert sont réduites au rôle de mobilier.

L’objectification de leur corps aurait donc fini de les asservir au désir des hommes, au point où elles acceptent leur statut de meuble sexué sans sourciller. Le fait que le scénario ait tout faux dans ce pessimisme misogyne est une raison suffisante pour avoir de l’espoir à l’égard de notre espèce. Certes, nous épuisons toutes les ressources de la Terre, quitte à survivre dans d’effroyables conditions.
La sentence accablante de Soleil Vert ne s’applique en fait qu’à une certaine idée de la condition masculine, celle dont Charlton Heston est l’ambassadeur. Ce n’est pas grâce à des types comme lui que les femmes ont échappé à une vie domestiquée. C’est probablement grâce à leurs propres combats, à leur propre conscience, à leurs propres efforts, bref, à tout ce que ce film omet d’intégrer à son récit, que les femmes ont fait du monde un endroit pas aussi sale que celui de Soleil vert.

Hugo se fait un film: mother!

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Chaque semaine, je vous propose de (re)découvrir une pépite du cinéma. Alors que la fête des mères approche, c’est le mother! de Daren Aronofsky que j’ai choisi de mettre à l’honneur.

Dès le titre, mother!, septième long-métrage de Darren Aronofsky (Requiem for a dream, Black Swan) laisse présager l’importance des signes. Pas de majuscule au début et un signe de ponctuation : les débuts et fins ne sont pas toujours ce qu’on attend. C’est bien de commencement et d’achèvement qu’il s’agit dans ce huis-clos confinant dans une belle maison perdue en campagne le couple a priori irrésistible que forment Jennifer Lawrence et Javier Bardem. De ses mains aimantes et juvéniles, elle a rebâti pièce par pièce, recoin par recoin le foyer familial qu’un incendie lui a arraché. Aucun d’eux n’a de nom, à l’instar des autres personnages qui viennent envahir peu à peu ce nid d’amour encerclé par une forêt tout aussi anonyme. D’entrée de jeu, nous sommes sans repères, et un peu inquiets, comme les premiers mots de la protagoniste. Apeurée de se trouver seul dans son lit au réveil, elle appelle sans conviction son homme : Baby? A l’image d’une bonne partie des plans du film collent à son buste et tournoient avec lui dans la maison, nous allons accompagner cette femme, qui dit à un moment essayer de construire le paradis, dans l’incompréhension.

Sortant comme par magie des bois épais, un homme, disant être médecin, fait irruption. Méprenant la demeure pour un gîte, il y entre, y fume, y boit, y vomit, et accapare l’attention de l’écrivain en manque de reconnaissance que campe Javier Bardem. Ce dernier révèle au docteur le secret de son inspiration : un mystique cristal, trouvé dans les cendres de sa maison d’enfance. Bon Hollywoodien qu’il est, le réalisateur nous tient la main : son film, c’est une histoire de symboles. Pour mieux perturber le calme que la maîtresse de maison peinera tout le film durant à établir, la femme du docteur fait son entrée. Sulfureuse, elle serpente dans la maison, s’aventure et brise par accident le cristal défendu. Suivent ses deux fils qui, à peine arrivés, se battent jusqu’à la mort, à la mode de Cain et Abel. Voilà pour la genèse du film.

Du sang, mother! en prodiguera autant que le Premier Testament.
Spoiler alerte: plein de gens aux allures de zombies meurent, et ça gicle dans tous les sens, Aronofksy ne se refusant pas le potentiel agitateur d’un bon vieux film d’horreur. Quel rôle attribuer à la protagoniste dans cette allégorie diabolique ? Sa condition de mère au foyer paraît inéluctable au point qu’elle entend battre son coeur dans les murs de la maison : elle est la mère-foyer. Elle peint, elle récure, elle fait le manger, tout ça pour que son mari puisse faire son art.
En panne d’inspiration, il lui fait un gosse à la place, et surprise et ça fait bander sa plume. Alors que le ventre de l’une grossit et que le texte de l’autre attire nombre d’admirateurs s’avérant des fanatiques vandales, les dialogues affublent les deux personnages de qualificatifs équivoques. Ceux qu’on peut désormais appeler « l’artiste » face à sa déesse vont se disputer le bébé. L’artiste veut montrer le fruit de sa semence divine, de sa pénétration de l’Inspiration à la foule en délire d’adoration-défonçage de maison, la déesse veut l’en protéger. Je ne voudrais pas gâcher la suite, mais disons qu’avec ce père aussi abstrait et adulé que l’idée de Dieu et cette mère aussi réelle et persécutée que Santa Maria, leur enfant est promis à un avenir… Aussi brûlant, violent et angoissant que celui de l’humanité et de la planète qui, envers et contre tout, l’abrite.

Aux quatre coins de l’écran comme aux quatre coins du globe, la tension et la chaleur monte à mesure que passe le temps. User de symboles permet d’aller plus vite, de se débarrasser des démonstrations et descriptions laborieuses (comme celles des climatologues qui peinent à se faire entendre). Dans l’accéléré d’histoire de l’humanité qu’est mother!, tout finit en flammes, tout est sacrifié. Tout, sauf le Poète, figure totalisante de la création. Qu’elle soit divine ou artistique, cette création ne peut exister sans la mère Nature, qui nourrit autant qu’elle inspire, inlassablement, du début à la fin, et dans un éternel recommencement. Le créateur est sauvé de l’apocalypse qu’ont amenée les pulsions de ses disciples.

 

On pourrait croire que la métaphore biblique est filée jusqu’au bout, car dans ici aussi, c’est l’amour qui sauve. L’amour infini, l’amour pénitence, l’amour sans retour de nos mamans et du Christ. Mais, Dieu merci, ce film n’est pas évangéliste. Là où la Bible sélectionne ceux qui échappent à l’apocalypse en les menant vers d’autres cieux, à la manière des transhumanistes de la Silicon Valley en passe de devenir des agences de voyage vers Mars, Aronofsky et sa chère mother! ancrent cet amour résilient, moteur de l’espoir de vie, en la mère-foyer.

Avec le dernier cri déchirant de cette dernière, le film se clôt pour nous rappeler la souffrance que nous, humains, lui avons causé et lui causerons encore.
Précieux joyau pour les amateurs de symbolisme, mother! dépasse de loin la douteuse catégorie « thriller psychologique d’horreur » où on le loge trop souvent. Hommage funèbre et furieux à une Terre Mère qui se meure pour nous permettre d’être, sinon des animaux, des poètes, le film d’Aronofsky est, comme les plus belles déclarations d’amour, une longue et délicieuse douleur.