Yann Bisiou

Qui voulait la peau du chanvre bien-être?

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Yann Bisiou, maître de conférences à l’université Paul Valéry–Montpellier III, a accompagné les professionnels du CBD dans leur lutte contre l’interdiction de la vente de fleurs prise fin 2021. Pour ZEWEED, il revient sur la victoire obtenue le 29 décembre dernier au Conseil d’État, épilogue d’une bataille sous-marine entre chanvre industriel et chanvre bien-être?

ZEWEED : Juste avant le passage à la nouvelle année, le Conseil d’État a annulé l’interdiction de la vente de fleurs de CBD. Cette décision vient-elle définitivement clore le débat sur le chanvre bien-être ?
Yann Bisiou : Tout d’abord, il est indéniable qu’il s’agit d’une victoire pour tous les acteurs de la filière bien-être. La décision est logique et normale mais elle ne règle pas tout. Le Conseil d’État a annulé l’arrêté par défaut de proportionnalité en estimant que le produit « n’a pas d’effet psychotrope et ne provoque pas de dépendance ». Sur cette base, le gouvernement peut prendre un nouvel arrêté qu’il estimera proportionné, restreignant à nouveau la vente de fleurs brutes et remettant une nouvelle pièce dans la machine. C’est d’ailleurs ce que la MILDECA (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Addictions, NDLR) a annoncé après la décision. Nous devons rester vigilants et espérer que le gouvernement accepte de travailler avec les acteurs du CBD pour aider à son développement en France.

ZEWEED : Ce n’est pas le cas ?
Y.B. : Trois syndicats sont à la manœuvre en matière de cannabis bien-être : l’Union des Professionnels du CBD (UPCBD), qui s’occupe des commerçants ; l’Association Française des Producteurs de Chanvre (AFPC), tournée vers les producteurs ; et le Syndicat du Chanvre (SPC), qui est plus divers. Leur « problème », c’est d’avoir, dès le départ, avancé en ordre dispersé. Depuis environ trois ans, il y a beaucoup plus de rencontres et d’actions communes entre ces syndicats qui entendent présenter un front uni. Ils ont par exemple agi de concert l’an dernier lorsque l’État a présenté son arrêté contre le CBD. Cette victoire dé- montre l’importance pour eux de se structurer.

ZEWEED : Comment expliquer cet acharnement du gouvernement pour interdire le CBD ?
Y.B. : Le parallèle presque systématique effec- tué avec le cannabis démontre une méconnaissance du produit. On peut aussi supposer que pour des raisons électorales, le gouvernement ait préféré se montrer ferme en la matière afin de ne pas perdre le suffrage d’une droite dure. Mais ces facteurs ne suffisent pas. Il faut aussi rappeler que les syndicats du chanvre bien-être font face à Interchanvre, une organisation interprofessionnelle qui structure toute la filière du chanvre industriel. Ce sont eux qui ont l’oreille du gouvernement.

 

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Yann Bisiou: “Le chanvre industriel veut la peau du chanvre bien-être”

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Vendredi 31 décembre, un arrêté surprise publié au Journal Officiel interdisait du jour au lendemain la possession et la vente de fleurs de CBD en France. Yann Bisiou* nous explique pourquoi le gouvernement veut tant de mal à la filière chanvre bien-être, en dépit d’un marché européen estimé à 1,4 milliards en 2023.

L’arrêté du 31 décembre n’a pas manqué de surprendre aussi bien les acteurs que les observateurs de la filière CBD française, ça a été votre cas?
Oui. Au delà d’avoir eu le mérite de ruiner mon réveillon parce que j’ai passé ma nuit de 31 à mettre en place une riposte avec l’UPCBD (Union des Professionnels du CBD), le timing de la publication n’aura pas manqué de m’étonner. Il était entendu que la MILDECA (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues Et les Conduites Addictives) rendrait son rapport à la mi-janvier. Il n’était pas acté qu’elle le rende mais si elle devait le faire, le bon sens aurait voulu qu’elle remette sa copie après la décision du Conseil Constitutionnel, attendue pour le vendredi 7 janvier.

“Il faut aussi tenir compte de l’influence d’un lobby très hostile au CBD: celui du chanvre industriel”

Comment expliquer cette précipitation de la part du gouvernement?
Il y a à mon sens pas mal d’obstination. Ce que j’appellerai de l’amour propre bureaucratique. Cela fait maintenant trois ans que nous expliquons en vain aux pouvoirs publiques qu’assimiler le CBD à un stupéfiant est un non-sens, aussi bien d’un point de vue juridique que sanitaire.
Mais si une certaine posture morale et politique explique en partie la position du gouvernement, il faut aussi de tenir compte de l’influence d’un lobby très hostile au CBD: celui du chanvre industriel. Ils sont là depuis 30 ans et subsistent sur un modèle économique très fragile, qui tient à coup de subventions massives de l’Union Européenne dans le cadre de la PAC.
Ces gens-là n’ont jamais supporté l’arrivée dans le secteur de jeunes au look de start-upper et leurs méthodes différentes. En bref: la filière chanvre industriel, représentée entre autre par Inter Chanvre, veut la peau du chanvre bien-être par peur qu’il détruise leur marché.
Je suis convaincu qu’ils ont largement été à la manoeuvre pour la publication soudaine de l’arrêté.
D’ailleurs, la filière chanvre industriel et son syndicat Inter Chanvre se sont félicités de la publication de l’arrêté avec une étonnante rapidité.
Alors que la nouvelle a surpris tout le monde, le 31 décembre au matin, Inter Chanvre publiait un communiqué de presse bien étudié.

“La filière chanvre industrielle a peur que le chanvre bien-être détruise leur marché”

Ce n’est donc pas la MILDECA la grande coupable?
En ce qui concerne ce genre de décision, tout est arbitré au niveau du gouvernement car la MILDECA n’est pas décisionnaire. Pour moi, sur ce dossier, il s’agit d’un arbitrage entre le ministère de l’Intérieur et les syndicats du chanvre industriel via le ministère de l’Agriculture. Inter Chanvre a toujours été très hostile au CBD. J’avais d’ailleurs eu une passe d’arme avec sa directrice Nathalie Fichaux sur le sujet, en décembre 2019 à l’Assemblée Nationale.

Extrait du communiqué de presse d’Inter Chanvre

Que risquent aujourd’hui les commerces contrevenants ?
Les autorités vont très vraisemblablement s’appuyer sur la réglementation sur les stupéfiants et les substances vénéneuses. C’est donc la législation sur les stupéfiants qui s’applique. A savoir que si vous êtes à la tête d’une entreprise en tant que producteur/importateur/vendeur de fleurs de CBD, c’est la réclusion à perpétuité, assortie d’une peine de sureté incompressible de 18 ans. Avec un procès tenu dans une cour d’assise spéciale, au même titre que les terroristes.
Mais en pratique, l’application des peines va être très compliquée à mettre en oeuvre puisque le jugement rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence comme celui de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) dans l’affaire Kanavape prévalent sur les dispositions de l’arrêté. En l’occurence, les deux cours ont estimé que le CBD n’était pas une drogue et que par conséquence, la législation sur les stupéfiants ne pouvait s’appliquer au CBD. Il est tout à fait envisageable qu’aucune peine ni sanction ne puisse être imposée.

“En pratique, l’application des peines va être très compliquée à mettre en oeuvre”

Quelle durée de vie donnez-vous à l’arrêté de 31 décembre?
Plusieurs cas de figure: le premier scénario pourrait voir l’arrêté rendu caduc dès le mercredi 5 janvier,  par le conseil d’Etat à la suite du recours en référé-liberté que nous avons déposé lundi 3 janvier à 10h00. Le Conseil d’Etat a 48 heures pour rendre son jugement, nous serons donc vite fixés. Pour autant, les chances de succès sont minces.
En cas de jugement défavorable de la part du Conseil d’Etat, nous avons prévu avec les trois principaux syndicats le SPC, l’UFPC et l’UPCBD (Syndicat Professionnel du Chanvre, Union Française des Producteurs de Cannabinoïdes et L’Union des Producteurs de CBD) de nous pourvoir en appel avec un référé en suspension. Le jugement serait alors rendu mi-février.
Second scénario, plus favorable pour nous : le 7 janvier, le Conseil Constitutionnel doit se prononcer sur la question des critères de classement des stupéfiants. S’il ne tranche pas directement sur la question CBD, une décision de Conseil Constitutionnel dans le sens des défendants signifierait la mort de l’arrêté.
Troisième cas de figure: celui du recours pur et simple en excès de pouvoir, qui prendrait entre 6 mois et deux ans.

*Docteur en droit privé et science criminelle Yann Bisiou est Maître de conférences à l’Université Paul Valéry – Montpellier III

le Conseil d’Etat invalide l’interdiction de vente et consommation des fleurs de chanvre CBD

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Après plus de trois semaines de joutes juridiques et de sueurs froides pour les commerces de CBD, le Conseil d’Etat a décidé de suspendre l’arrêté du 31 décembre interdisant la vente et possession de fleurs de chanvre CBD. Une grande victoire pour la filière française, un énième revers pour le gouvernement.

Le Conseil d’Etat a suspendu hier lundi 24 janvier l’arrêté du gouvernement interdisant la vente de la fleur de chanvre CBD. La plus haute juridiction administrative française avait été saisie dès le 3 janvier par l’Union des Professionnels du CBD (UPCBD). Cette dernière avait déposée avec ses conseils Yann Bisiou et Xavier Pizarro une demande en référé suspension de l’arrêté prohibant la détention et la vente de fleurs de chanvre CBD.

“Doute sérieux sur la légalité de cette mesure (…) en raison de son caractère disproportionné”

“Le juge des référés du Conseil d’Etat estime qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de cette mesure d’interdiction générale et absolue en raison de son caractère disproportionné“, peut-on notement lire dans le communiqué publié après le rendu du verdict.
Contacté par Zeweed, Yann Bisiou ne dissimulait pas son plaisir « Ca m’a peut-être foutu mon réveillon du 31 en l’air, puisqu’avec Xavier (Pizarro NDLR) on a passé la nuit à monter notre demande de référé en suspension, mais ça valait vraiment le coup ! C’est une belle victoire! »

Le taux légal de THC passe de 0.2 à 0.3%

Une bonne nouvelle qui en cache une autre puisque le même Conseil d’Etat retient le taux de 0,3% de THC comme nouvelle norme autorisée, au lieu des 0.2% jusque là tolérés.
«Il n’apparaît pas, au terme de l’instruction contradictoire et des échanges qui ont eu lieu lors de l’audience publique, que les fleurs et feuilles de cannabis sativa L. dont la teneur en THC est inférieure à 0,3 % présenteraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction totale et absolue : ce seuil est précisément celui retenu par l’arrêté contesté lui-même pour caractériser les plantes de cannabis autorisées à la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle » précisent les sages.

La filière chanvre CBD française sauvée?

Quant à l’avenir de la filière, Yann Bisiou est confiant: “Honnêtement, je crois que la MILDECA et le gouvernement ont pris une telle claque que je ne les vois pas repartir à la charge dans six mois, à l’issue de la suspension de l’arrêté en question, qui ne devrait d’ailleurs pas être validé par Conseil d’Etat qui étudie donc de plus près le dossier d’ici-là. Nous avons aussi déposé un référé en abus de pouvoir dont le jugement devrait être rendu en notre faveur dans quelques mois. Histoire de rien laisser au hasard” précise le maitre de conférence à l’Université Paul Valery de Montpellier. “Le gouvernement savait que l’arrêté du 30 décembre ne pouvait tenir dans le temps, au regard de la loi européenne notement. Ils ont tenté le coup d’intimidation, mais ils ne savaient pas à qui ils avaient à faire!  Le champagne du réveillon va enfin servir !! “(rires)
L’Etat devra verser la somme totale de 13 000 euros aux 13 sociétés requérantes.

 

Le commerce de fleurs de CBD en France (presque) sauvé par la Commission Européenne.

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Vendredi 12 novembre, la Commission Européenne (CE) répondait défavorablement à la demande française d’interdire le commerce de fleurs de CBD sur son territoire. Si la décision de la CE ne permet toujours pas aux cultivateurs de produire des fleurs, elle donne un sursis stratégique au commerce de sommités florales dans l’Hexagone.

« C’est une troisième gifle pour le gouvernement. »
Interrogé par Zeweed sur la décision de la CE, Yann Bisiou ne mâche pas ses mots.
«Je ne vois pas comment la France peut soutenir sa position. Si le gouvernement souhaite poursuivre son combat contre la filière chanvre française et le CBD, il lui faudra proposer un autre texte. Et quand on voit que dans la première proposition envoyée à Bruxelles, il n’est fait aucun distingo entre feuilles et fleurs, on peut imaginer que la prochaine mouture de texte prohibant les fleurs de CBD n’est pas pour demain » précise le juriste et maître de conférence à l’Université Paul Valéry de Montpellier.

“Texte écrit par un stagiaire”

Même analyse du coté du Syndicat Professionnel du Chanvre (SPC).
« Le projet transmis s’avère problématique de par les nombreuses imperfections, imprécisions qui le parcourent. Lorsque le texte avait été dévoilé, de nombreux juristes et avocats avaient fait remarquer qu’il semblait  “avoir été écrit par un stagiaire” »  s’amuse son président Aurélien Delcroix.
Cerise sur la fleur : la CE fait gentiment remarquer à la France que le commerce du CBD « relève surtout du droit de la consommation ».
La Commission observe aussi que le texte Français ne comporte aucune approche réglementaire par typologie de produits.
Comme il n’est pas précisé le niveau de THC admis par type de produit (alimentaire, complément alimentaire, vap, cosmétique), la CE souligne qu’à 0,2% de THC en alimentaire, les doses ingérables de THC recommandées par l’EFSA*  seraient largement dépassées et pointe du doigt la non-prise en compte des notions de sécurité” précise le fondateur du syndicat.

Cacophonie gouvernementale

La CE remarque également que les extraits de chanvre ne sont pas considérés comme Novel Food (NF) par la proposition alors qu’en parallèle la note de la MILDECA** publiée simultanément levait le doute à ce sujet en précisant que la France classerait les extraits de chanvre, dont le CBD, en NF.
« Enfin, la Commission Européenne met un bémol, certes prudent, sur l’interdiction de commercialisation du chanvre brut en infusions, c’est à dire en mélanges de plantes » poursuit Aurélien Delcroix.
En revanche, rien n’est précisé quant à l’interdiction des fleurs à fumer et surtout sur l’absence de justification liée à la santé publique, demande pourtant requise et formulée dans l’arrêt Kanavape de la CJUE***.
« Ce mauvais statu quo continu de priver la filière française de la production de fleurs, alors que les ventes de sommités florales brutes représentent 50% du marché global » regrette-t-il.

Consommateurs perdants

Pour Yann Bisiou, si les commerces vendant des fleurs de CBD ne sont pas à l’abri de poursuites (même si aucune condamnation n’est possible),  ce sont surtout les consommateurs qui soufrent de la politique prohibitionniste gouvernement :  “le commerce de fleurs de CBD étant encore en zone grise en France, il n’y a aucune réglementation, aucun critères de qualité, rien pour cadrer le marché. En jouant la montre, le gouvernement n’assume pas ses responsabilités de régulateur. Et ce manquement ce fait au détriment des consommateurs. Un comble en pleine crise sanitaire.”
Le choix d’avoir mené une guerre contre le chanvre tout azimuts, au détriment de la filière français (et d’un marché européen estimé à 4 milliards d’euros en 2021), risque d’être difficile à assumer pour le futur candidat Macron.

*EFSA: L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) est l’ une des principales agences de l’Union européenne. Elle est chargée de l’évaluation des risques dans le domaine des denrées alimentaires.
**MILDECA: Mission Interministerielle de Lutte Contre les Conduites Addictives.
***Jeudi 18 Novembre, la cour de cassation d’Aix en Provence rendra son jugement dans l’affaire Kanavape