Ça démarre fort pour Camille Bazbaz, qui a vingt-deux ans quand il fait ses débuts discographiques au sein du Cri de la mouche, groupe « punkoïde » signé sur le label de Michel Sardou. La suite ? Une dizaine d’albums entre Paris et Kingston avec des musiciens devenus des amis, comme Winston McAnuff, cinq B.O. pour son « poto » Pierre Salvadori et, aujourd’hui, l’aboutissement d’un projet de quinze ans : The Salmon, enregistré avec Tchiky, alias Jérôme Perez, et le chanteur Kiddus I – inoubliable interprète de « Graduation In Zion » dans le film de Theodoros Bafaloukos, Rockers (1978). C’est chez moi qu’il s’est livré et prêté au jeu de la divine interview.
Propos recueillis par Olivier Cachin
ZEWEED : Cinq mots pour te définir ?
Camille Bazbaz : Douceur, colère, amour, reggae, punk-rock.
Trois lieux qui te définissent ?
Paris, Brest, Kingston.
Cinq albums à emporter au Paradis
- J. J. Cale, Troubadour
- Gregory Isaacs, Cool Ruler
- Erik Satie, Gnossiennes
- John Barry, le générique de The Persuaders (Amicalement Vôtre)
- Serge Gainsbourg, Mauvaises Nouvelles des étoiles
Plutôt paradis céleste ou artificiel ?
Ni l’un ni l’autre. L’enfer est sur Terre, c’est ma certitude. Je ne suis pas obsédé par les défonces non plus, ni par l’idée d’un meilleur ailleurs. J’aime bien la vie sur Terre : même si c’est difficile, c’est ici que ça se règle. Je ne crois pas à l’au-delà.

Une journée au paradis de Bazbaz, ça serait quoi?
C’est écrire une chanson, faire de la musique avec les gens que j’aime, boire un coup au comptoir avec mes potes ou me réveiller le matin avec ma chienne, quand j’en ai une, c’est ça mon paradis. Je n’ai pas de fantasme de groupe idéal comme Yarol, je n’ai jamais eu de poster de rock star chez moi, même si j’aime Gregory Isaacs, Jim Morrison, Sly Dunbar, John Bonham. La musique, c’est un peu comme faire l’amour sans se toucher : il y a une intimité partagée. Je m’en fous de Jimi Hendrix et des rock stars, je les aime et je les emmerde.
Ta source préférée de paradis artificiel ?
L’herbe et le whisky.
Quels souvenirs gardes-tu du Cri de la mouche ?
Ma première et plus grande histoire d’amour. J’étais un ado plein de boutons, si je n’avais pas rencontré cette bande de mecs au lycée, je ne suis pas sûr que j’aurais fait de la musique. Dans cette bande de mecs avec qui je traînais depuis la sixième, il y avait le génial Thomas Kuhn ; le chanteur qui, malheureusement, est mort à trente piges. Faire le Belmondo à seize ans, escalader les grues pour impressionner les meufs et les débiles dont je faisais partie, OK, mais avec dix ans de rock’n’roll et d’excès dans la gueule, et peut-être plus… Moi, derrière, qui essaie de le rattraper : « Non, tu ne sauteras pas du Pont-Neuf. Non, tu ne monteras pas sur cette moto bourré »… C’est un peu pour ça que je me suis barré du groupe ; moi, j’avais envie de vivre.
Ton premier album, Dubadelik, est influencé par le reggae…
Les Clash, les Pistols, tous les groupes anglais étaient copains avec les rastas londoniens. Ce sont eux qui m’ont amené au reggae. Mes parents écoutaient « Could You Be Loved » de Bob Marley ; pour moi, c’était un peu du disco débile. À quinze ans j’écoutais The Cure et les Clash, je n’aimais pas le funky à la Kool & The Gang. C’est « Police and Thieves », version Clash, qui a tout déclenché. Je tombe sur l’original de Junior Murvin et je me prends une baffe. Pas du tout le reggae de Marley ! J’ai découvert LKJ parce que j’avais vu une photo, dans Rock & Folk, de Sid Vicious avec un badge de LKJ. Je pensais que c’était un truc antifasciste. Il avait son tee-shirt avec la croix gammée cassée, super provoc’. Je finis donc par écouter Linton Kwesi Johnson et ça me retourne. Je me dis qu’il n’y a pas que la puissance de la guitare, il y a aussi la violence de la basse. Les Jamaïcains ont mis leur hargne dans la basse et le riddim minimal.
Tu as fait cinq B.O. pour les films de Pierre Salvadori.
Ça a commencé très pro avec un message du producteur sur mon répondeur : « Bonjour, M. Pierre Salvadori aimerait beaucoup vous rencontrer et pourquoi pas travailler sur la musique de son film. » En plus, je venais de voir Les Apprentis (1995) ; j’avais l’impression qu’il racontait ma vie ! On se rencontre et on devient potes instantanément. On a passé une après-m à parler de tout sauf du film. Sex Pistols, Tina Turner, Creedence, Jim Morrison… La musique, c’est un passeport, un langage. Et il m’a fait confiance. La musique de film, c’est hyper différent : tu as un cadre, un boss. J’adore me mettre au service des autres.
« Winston McAnuff est un gros smoker. Il ne boit pas, il ne prend pas de drogues dures, il a soixante-sept ans et il fume comme des petits-bourgeois prennent du Xanax »
Tu as aussi travaillé avec un musicien jamaïcain, Winston McAnuff, avec qui tu as notamement joué à la Bob Marley tribute party, organisé par ZEWEED au NoPi en mars dernier.
Bosser avec Winston m’a appris que le reggae est une musique punk, proche du rock’n’roll. Winston me disait : « Quand tu joues ta note, ta caisse claire, imagine que tu es à la chasse au canard. Tu prends ton fusil. » Moi, je voyais Elmer Fudd et Daffy Duck dans les dessins animés. « You want to shoot the bird, shoot BEFORE ! » C’est avant, parce que le temps que ton cerveau donne l’ordre à ton bras, c’est déjà trop tard. C’est génial. Des petites phrases Carambar dub mais, en vrai, ce sont des choses que j’applique toujours. Winston est un gros smoker. Il ne boit pas, il ne prend pas de drogues dures, il a soixante-sept ans et il fume comme des petits-bourgeois prennent du Xanax. C’est pas un junkie psychopathe sous Fentanyl !

Raconte-nous ta rencontre avec Winston.
Le jour où il vient en studio, je prépare un reggae comme un con, parce qu’il est jamaïcain. Il écoute et il me dit que c’est de la merde. Je ne savais pas tuer l’oiseau, j’avais oublié mes années punk. Je le ramène à son hôtel, on se dit à peine au revoir, je me dis que c’est un gros con, je retourne chez « oim », je raconte ça à ma chérie et elle me dit : « Mais tu ne lui as pas fait écouter tes trucs à toi ? » À l’époque, je maquettais mon album Sur le bout de la langue (2004) qui a cartonné. Elle me dit que je suis un con, la nuit passe et je me réveille en me disant qu’elle a raison en fait. Je rappelle Winston, je lui propose de venir écouter d’autres trucs. Et là, il kiffe. Il me dit : « Enlève ta voix, j’ai une idée. » Ce qui aurait vexé des grands chanteurs de variétés, mais moi, connaissant le modus reggae où ,avec un instru’, on peut faire 100 chansons, direct j’enlève ma voix sur deux-trois titres, on commence l’album A Drop (2005) et notre amitié est née. Winston m’a rappelé ce que disait ma grand-mère bretonne : « C’est pas à une Bigoudène qu’on apprend à faire des crêpes. » J’ai revu la tête de ma grand-mère Yvonne mélangée à celle de Winston, il avait trop raison, ce con !
« Lee Perry me demande ce que je fous là, je lui réponds que je suis venu voir si je pouvais lui pomper tous ses plans, il me regarde méchamment… et se marre »
C’était comment, ton premier trip à Kingston ?
Je déboule avec mon ingé son ; à l’aéroport, on attend nos valises qui n’arrivent pas. On va au comptoir Air Jamaica où il y a trois pin-up genre SAS trop sexy qui nous regardent à peine. On sort de l’aéroport, on dit à Winston que nos bagages sont perdus, il va au guichet, tape sur le comptoir, dit aux trois nanas : « Hey man ! » et règle l’histoire. Je passe quinze jours là-bas et quand je repars, je regarde par le hublot et je m’attends à voir Ricardo Montalban et Hervé Villechaize – le nain de L’Île fantastique ! C’était vrai tout ce qu’on a vécu ? Aller acheter du poulet à minuit avec U-Roy qui faisait la queue, Kiddus que je rencontre en studio le troisième jour et qui me saute dans les bras en me disant qu’on va aller acheter des bières à la station-service… Et il y avait un mec dans le studio planqué au fond, Winston me fait : « Tu veux rencontrer Lee Perry ? » Lee Perry est en mode Roland-Garros, comme s’il s’était enduit d’huile et jeté dans un bain de terre battue : il est rouge, sur un trône. Lee Perry me demande ce que je fous là, je lui réponds que je suis venu voir si je pouvais lui pomper tous ses plans, il me regarde méchamment… et se marre. Et tout était comme ça. J’avais une « beuh de ouf », la kiki ; je dormais avec, sous mon oreiller. J’y suis retourné avec Yarol [Poupaud, NDLR] ; je n’y suis jamais allé en touriste, toujours pour la musique.
Comment démarre l’aventure de The Salmon ?
Kiddus, je l’ai rencontré dans un bar à Belleville, en 2008. À force de discuter avec Winston qui savait que j’avais vu Rockers, il a déboulé avec Kiddus : « Tiens, je te présente ton chanteur préféré ! » Je suis en train de boire un café calva, à 11 heures ; il me demande ce que je bois, je lui en commande un, il goûte et trouve ça génial. On s’en enfile 10, on rigole. Punky reggae party ! On s’entend bien ; au bout de deux heures, on trace à mon studio, on commence à bosser. Et ça nous a pris quinze ans. On a enregistré, au fur et à mesure, The Salmon, il y a dix ans ; « Wiggling » il y a un an ; « The Long Road » il y a quinze ans, avec mon pote guitariste Jérôme « Tchiky » Perez, qui a fini par réaliser l’album et le mixer avec moi. Kiddus, on ne savait jamais quand il venait… C’est un tigre blanc ! Un jour, on avait un flûtiste en studio, un autre jour un violoncelliste ; trois ans plus tard, Pam Hall, la choriste de Peter Tosh, un tromboniste, deux percussionnistes dont Fabrice Colombani, alias Cubain, le bassiste des Roots Radics, des batteries de Sly Dunbar, Style Scott et Raphaël Chassin, le bordel total ! On doit être 27 sur l’album.
Kiddus I est une personnalité à part…
C’est un prince mais il est en haillons. À force de ne pas vouloir louvoyer dans le monde de Babylone en l’attaquant frontalement, voilà ce qui se passe. Il vit dans les collines à Kingston. Il déboule à Paris fin octobre pour deux mois. Les paroles de Kiddus sont géniales, on comprend ce qu’il dit, pas comme les nouveaux mecs du dancehall, ils ont perdu de la poésie. C’est pas rigolo le monde dans lequel ils vivent et, en même temps, le Trenchtown de Bob Marley, ça n’était pas mieux, même pire, mais il y écrivait « Three Little Birds ». Maintenant, les mecs te gueulent dessus, tu ne comprends même pas l’insulte ! Je fais mon vieux con, mais j’ai du mal. D’ailleurs, ils n’écoutent plus que du R & B de merde, limite Céline Dion.
Propos recueillis par Olivier Cachin
Album The Salmon chez 22D Music Group
Insta : @bazbazcamille