Vendredi 31 décembre, un arrêté surprise publié au Journal Officiel interdisait du jour au lendemain la possession et la vente de fleurs de CBD en France. Yann Bisiou* nous explique pourquoi le gouvernement veut tant de mal à la filière chanvre bien-être, en dépit d’un marché européen estimé à 1,4 milliards en 2023.
L’arrêté du 31 décembre n’a pas manqué de surprendre aussi bien les acteurs que les observateurs de la filière CBD française, ça a été votre cas?
Oui. Au delà d’avoir eu le mérite de ruiner mon réveillon parce que j’ai passé ma nuit de 31 à mettre en place une riposte avec l’UPCBD (Union des Professionnels du CBD), le timing de la publication n’aura pas manqué de m’étonner. Il était entendu que la MILDECA (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues Et les Conduites Addictives) rendrait son rapport à la mi-janvier. Il n’était pas acté qu’elle le rende mais si elle devait le faire, le bon sens aurait voulu qu’elle remette sa copie après la décision du Conseil Constitutionnel, attendue pour le vendredi 7 janvier.
“Il faut aussi tenir compte de l’influence d’un lobby très hostile au CBD: celui du chanvre industriel”
Comment expliquer cette précipitation de la part du gouvernement?
Il y a à mon sens pas mal d’obstination. Ce que j’appellerai de l’amour propre bureaucratique. Cela fait maintenant trois ans que nous expliquons en vain aux pouvoirs publiques qu’assimiler le CBD à un stupéfiant est un non-sens, aussi bien d’un point de vue juridique que sanitaire.
Mais si une certaine posture morale et politique explique en partie la position du gouvernement, il faut aussi de tenir compte de l’influence d’un lobby très hostile au CBD: celui du chanvre industriel. Ils sont là depuis 30 ans et subsistent sur un modèle économique très fragile, qui tient à coup de subventions massives de l’Union Européenne dans le cadre de la PAC.
Ces gens-là n’ont jamais supporté l’arrivée dans le secteur de jeunes au look de start-upper et leurs méthodes différentes. En bref: la filière chanvre industriel, représentée entre autre par Inter Chanvre, veut la peau du chanvre bien-être par peur qu’il détruise leur marché.
Je suis convaincu qu’ils ont largement été à la manoeuvre pour la publication soudaine de l’arrêté.
D’ailleurs, la filière chanvre industriel et son syndicat Inter Chanvre se sont félicités de la publication de l’arrêté avec une étonnante rapidité.
Alors que la nouvelle a surpris tout le monde, le 31 décembre au matin, Inter Chanvre publiait un communiqué de presse bien étudié.
“La filière chanvre industrielle a peur que le chanvre bien-être détruise leur marché”
Ce n’est donc pas la MILDECA la grande coupable?
En ce qui concerne ce genre de décision, tout est arbitré au niveau du gouvernement car la MILDECA n’est pas décisionnaire. Pour moi, sur ce dossier, il s’agit d’un arbitrage entre le ministère de l’Intérieur et les syndicats du chanvre industriel via le ministère de l’Agriculture. Inter Chanvre a toujours été très hostile au CBD. J’avais d’ailleurs eu une passe d’arme avec sa directrice Nathalie Fichaux sur le sujet, en décembre 2019 à l’Assemblée Nationale.
Que risquent aujourd’hui les commerces contrevenants ?
Les autorités vont très vraisemblablement s’appuyer sur la réglementation sur les stupéfiants et les substances vénéneuses. C’est donc la législation sur les stupéfiants qui s’applique. A savoir que si vous êtes à la tête d’une entreprise en tant que producteur/importateur/vendeur de fleurs de CBD, c’est la réclusion à perpétuité, assortie d’une peine de sureté incompressible de 18 ans. Avec un procès tenu dans une cour d’assise spéciale, au même titre que les terroristes.
Mais en pratique, l’application des peines va être très compliquée à mettre en oeuvre puisque le jugement rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence comme celui de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) dans l’affaire Kanavape prévalent sur les dispositions de l’arrêté. En l’occurence, les deux cours ont estimé que le CBD n’était pas une drogue et que par conséquence, la législation sur les stupéfiants ne pouvait s’appliquer au CBD. Il est tout à fait envisageable qu’aucune peine ni sanction ne puisse être imposée.
“En pratique, l’application des peines va être très compliquée à mettre en oeuvre”
Quelle durée de vie donnez-vous à l’arrêté de 31 décembre?
Plusieurs cas de figure: le premier scénario pourrait voir l’arrêté rendu caduc dès le mercredi 5 janvier, par le conseil d’Etat à la suite du recours en référé-liberté que nous avons déposé lundi 3 janvier à 10h00. Le Conseil d’Etat a 48 heures pour rendre son jugement, nous serons donc vite fixés. Pour autant, les chances de succès sont minces.
En cas de jugement défavorable de la part du Conseil d’Etat, nous avons prévu avec les trois principaux syndicats le SPC, l’UFPC et l’UPCBD (Syndicat Professionnel du Chanvre, Union Française des Producteurs de Cannabinoïdes et L’Union des Producteurs de CBD) de nous pourvoir en appel avec un référé en suspension. Le jugement serait alors rendu mi-février.
Second scénario, plus favorable pour nous : le 7 janvier, le Conseil Constitutionnel doit se prononcer sur la question des critères de classement des stupéfiants. S’il ne tranche pas directement sur la question CBD, une décision de Conseil Constitutionnel dans le sens des défendants signifierait la mort de l’arrêté.
Troisième cas de figure: celui du recours pur et simple en excès de pouvoir, qui prendrait entre 6 mois et deux ans.