KENTARO est un réalisateur ambitieux, dont le premier long métrage, Under the Turquoise Sky, est une réussite savoureuse, savant mélange entre fable occidentale et épopée moyenâgeuse. ZEWEED l’a rencontré.
ZEWEED : C’est un premier film incroyablement maîtrisé. Quel message et valeurs prévalent dans votre oeuvre?
KENTARO : Aujourd’hui, les valeurs de l’ existence sont souvent déterminées par ce que tu as, ton entourage, ta popularité, la qualité des choses matérielles que tu possèdes et ce quelles représentent, les symboles qu’elles véhiculent dans notre société. La pensée dominante, c’est un peu ça. Mais quand tu commences à voir les choses en termes de contribution, les lignes bougent. Que ce soit une contribution culturelle, médicale, financière ou éducative. Dans mon film, j’ai exploré l’idée de retour à des valeurs fondamentales. Sans réelle volonté politique, il y a un message clairement anti-matérialiste, contre la consommation à l’extrême que l’on observe dans les grandes villes. Quand je suis parti en Mongolie, j’ai vu des hommes d’affaires en excursion dans la campagne s’effondrer devant la beauté de ces paysages. Moi qui suis citadin, j’étais en constant choc culturel devant ces vastes steppes et ces coutumes shamans qui n’existent pas dans d’autres pays d’Asie de l’est.
ZW : Under the turquoise sky reste un film d’auteur…
K : Évidemment, ça reste un film avec quelques références cinéphiles. Mais je pense que la particularité de ce film, c’est qu’il s’agit d’un film d’auteur avec des acteurs très connus dans leur pays. C’est une sorte de road movie poétique. Dans mon film, je rends aussi un petit hommage au cinéaste Antonioni, qui avait un œil d’architecte citadin dans ses films. C’est loin d’être un film commercial, mais il me semblait important de prendre le risque de faire un format auteur.
ZW : Comment définiriez vous le cinéma ?
K : Le cinéma, selon moi, ce sont des scènes qui restent parfois longtemps après avoir vu un film. Ce n’est pas tant l’histoire, que des scènes marquantes : le regard d’une actrice, un moment de poésie, des acteurs qui deviennent des coups de pinceaux sur un tableaux. Toutes ces questions trottaient dans ma tête depuis longtemps, et je crois que j’ai inconsciemment cherché à y répondre pendant l’écriture et le montage.
ZW : Qu’est ce qui a inspiré l’écriture de votre film?
K : Under the turquoise sky est un film qui joue avec les codes du récit initiatique tout en explorant la recherche de filiation.
Après trois ans de pandémie, on est dans une époque qui fait, pour moi, écho à la Grande dépression à la fin des années 1920, qui a donné naissance à la popularité de Charlie Chaplin, Harold Lloyd, ou de Buster Keaton. Aujourd’hui, le cinéma traite plutôt les problèmes sociaux et l’identité sexuelle. Mais je crois qu’on arrive dans une époque où on a plus envie de regarder ce genre de thème en face car on les voit en vrai tous les jours. J’avais aussi pensé à la comédie musicale, parce qu’en ce moment on est comme dans une période d’après-guerre.
ZW : Dans quel mesure le film s’est t-il librement improvisé ?
K : Le scénario était déjà écrit avant le tournage. En revanche, je ne voulais pas que les dialogues, par des personnes qui ne parlaient pas la même langue, soient mémorisés par cœur à l’avance. Car souvent c’est tellement plus vrai de créer les dialogues sur place.
ZW : Vous vous êtes depuis toujours destiné au métier de cinéaste?
K : J’ai fait des études d’art, je voulais être peintre, photographe. Et puis, quand j’étais jeune, j’ai eu l’opportunité de faire des castings. Je me suis vite rendu compte que la comédie était un exercice difficile. Je suis entré par la porte d’acteur, entre Paris et New-York. Quand j’ai commencé à travailler, j’ai pleinement pris conscience de la difficulté de devenir bon acteur. C’est un métier très difficile. Puis c’est aussi un métier très noble. Quand j’étais plus jeune, j’étais sûr de vouloir suivre un chemin créatif, sans savoir que cela pourrait se transformer en une véritable carrière. Pour moi, les opportunités que nous avons tous dans la vie relèvent davantage du destin.
ZW : Un message à transmettre aux aspirants cinéastes ?
K : Pour ce film, c’était surtout une question d’un très bon timing. On a trouvé un premier financement par le private equity. A cela s’ajoute la popularité d’acteurs nationaux confirmés, jouissant d’un grand niveau de notoriété. Le projet était complètement art house, ce qui n’existait pas avant en Mongolie, donc pas facile d’élever des fonds. Je n’ai pas de formation d’école de cinéma, mais j’ai fait des clips, des courts métrages, des petits documentaires, et à travers ces projets j’ai pu expérimenter plusieurs techniques car j’avais souvent carte blanche. Je pense, malgré tout, que le processus de la création doit être universel, et je ne pense pas qu’il soit forcément nécessaire de faire une école de cinéma pour devenir réalisateur. On peut commencer par apprendre pas mal de choses en visionnant de bons films des grands maîtres. Quand j’ai fait ce film, j’avais déjà une idée de ce qui allait être drôle, de ce qui allait être touchant, de ce qui allait être beau. Universellement.
ZW : Parlons des acteurs. Ils sont particulièrement incroyables et contribuent à la magie du film.
K : Je trouve que le bon choix des comédiens est quelque chose de très important. J’ai énormément de chance d’avoir trouvé de très grands acteurs en Mongolie. Amra, la plus grande star de Mongolie, a même commencé une carrière à Hollywood. Selon moi, un bon jeu d’acteur touche les gens au niveau viscéral.
Ça me fait aussi penser à la mise en scène des animaux dans le film. C’est difficile de les diriger, car cela revient à apprivoiser l’instinct pur. Par exemple, un cheval à moitié sauvage comme ceux en Mongolie, n’est pas un véhicule. On ne peut pas le monter comme ça. Il faut établir une connexion avec l’animal avant de le monter. Et on ne peut pas bien filmer un animal sans prendre en compte ces facteurs-là. Amra, par exemple, était un bon mélange entre l’intellectuel et l’animal. Pour Yuya, la répartition de ces mélanges était différente. Le but était d’essayer de capter l’animal dans l’humain.