L’auteur de cet article est allé partir étudier à Montréal. Là-bas, il nous raconte la première fois qu’il a commandé du cannabis dans un pays qui ne l’avait pas encore légalisé.
Montréal, Aout 2016
C’était ma première soirée à Montréal. Nous étions fin août et l’été se trouvait déjà derrière nous. On pouvait déjà sentir la grande marée du début de semestre sur le point de déferler. Comme la majorité des étudiants qui se trouvait avec moi, je découvrais une nouvelle ville. L’atmosphère était électrique. Toutes les langues possibles s’employaient dans une dynamique propre aux interférences humaines. Dans cet appartement de 120 mètres carrés situé au dernier étage d’une résidence appartenant à la fameuse université McGill, nous étions une soixantaine à se pavaner. Rien à voir avec les apéros parisiens trop cher et trop petit ou les invités doivent impérativement allumer leurs clopes à la fenêtre au risque de laisser la fumée elle aussi, prendre de la place. La fête se déroulait selon mon bon vouloir. Il y a des circonstances comme ça, ou vous avez l’impression que les astres décident de vous servir le monde sur un plateau d’argent.
Je vibrais à toute allure dans une énergie compulsive qui m’engageait à calciner cigarette sur cigarette. La nature entière était fluide. J’appartenais à la masse des ricaneurs qui comme moi, n’avaient que le désir de faire éclore l’intégralité de nos illusions sans qu’elles ne se rompent dans le fracas de la réalité. Il faut le dire aussi, nous dépassions la mesure en buvant comme des forcenés. L’état d’ivresse est le seul véhicule qui arrive à m’expulser hors de moi. C’est un trajet invraisemblable qui me dirige vers une souplesse d’esprit totalement neutre. Il n’y a aucun jugement dans les moments ou la liqueur déborde, cela en devient reposant. Ivre, j’aime tituber pour ne pas apercevoir le monde se rétrécir autour de moi. Vint le moment de la redescente. Nous étions tous obnubilés par le fond de notre verre, cherchant secrètement une réponse, une échappatoire ou bien même une idylle plus accessible. Mes mots n’étaient plus synchronisés avec mes gestes. J’étais un morceau de plomb dans l’eau, une enclume qui se précipitait vers le fond. Je braillais au lieu de dialoguer, glisser au lieu de marcher. Une solide boule stagnait dans ma gorge m’empêchant de respirer convenablement. Un réflexe de survie me fit passer de l’autre côté de la baie vitrée.
En me précipitant sur la terrasse, il y avait un silence que je n’osais polluer avec les relents de mon ivresse. Croulant sur la rambarde, je regardais les étoiles de Montréal tout en gobant sauvagement l’air de la nuit. De haut en bas, je sillonnais les courbes du ciel se fondrent sur le plateau du Mont-Royal, ce quartier quadrilatère appuyé sur le flanc d’une montagne. Mon regard suivait les routes de la ville éclairée par la lune suspendue pour se perdre dans un continent que je ne connaissais pas encore. Je baignais dans l’insoupçonnable.
Enfin, ma conscience amicale me suggéra de rentrer. Dans cet élan d’abandon, je pensais à l’intérêt de mon existence. J’avais l’abominable habitude d’injecter de lourds questionnements dans mes fins de soirée. Mon avenir incertain par exemple, n’hésitait jamais à revenir pour me mettre un dernier coup dans la nuque comme un désenchantement qui prenait le contrôle. Je me sentais alors trahie par la vie. La tête du vaincu, je laissais coulisser la porte en verre. À l’intérieur, l’odeur des joints avait remplacé celle des cigarettes. L’ambiance s’y prêtait. Ils ne restaient que quelques survivants philosophes, déblatérant sur leurs pensées politiques. La question était de savoir si l’UMP, le PS ou le FN représentaient encore la véritable traduction de notre jeunesse. Je reconnus l’un de mes camarades, verre de gin-tonic en main, argumentant sur le fait qu’une reconfiguration du paysage était totalement envisageable, et que l’un de ces 3 pôles serait amené à disparaître. Sur ses genoux, se tenait une très jolie brune qui expulsait la fumée du cône par le nez façon dragon, partageant ainsi sa lassitude à voir cette symétrie trop parfaite entre la droite et la gauche avec dans chaque camp, les protestataires et les gouvernementaux. –De toute façon, ce sont les années qui nous séparent de 2017 qui nous le diront conclut l’un des résistants, allongé sur le canapé, trop occupé à répandre l’herbe dans ce qui semblait être le prochain pétard des illuminés.
Leur herbe était bonne. Mes idées reprirent du sens et je retrouvais ma sociabilité. En tant que ”pti nouveau” dans ce nouveau cercle, je profitais de l’échange du pétard pour m’informer sur comment je pouvais me procurer de la weed. –Et bien c’est simple mec, faut appeler Bob.
Bob, nom classique pour un dealeur, facile à retenir, attachant, personne n’a peur de quelqu’un avec ce nom. Demain, j’appellerai Bob.
Bob a répondu plus vite que n’importe quelle personne sur cette planète. Après lui avoir donné mon adresse, il me dit qu’il serait chez moi à 15h. À 14h49 la sonnerie de mon nouvel appartement retentit. Jamais je n’avais vu un dealeur aussi net et précis dans son travail. En France, il faut au minimum calculer 45minutes de retard, aller dehors, monter dans une voiture donner l’argent, réceptionner l’herbe et partir aussi vite que possible. À Montréal, c’est une tout autre histoire.
Bob est chez moi, sac sur le dos et sourire sur son visage, il me demande s’il peut rentrer et c’est sans crainte que je le reçois.
Comme n’importe quel invité, je lui offre à boire, Bob est content. Il fait encore chaud dehors et je ne suis pas son premier client. Dans son sac, c’est 10 types de weed qui m’attendent sagement, chaque pochon a un nom : Lemon haze, Chocolate loop, Ak-47,PPP. C’est comme si un coffe shop venait de prendre vie devant moi.
–C’est quoi la PPP Bob?
-La PPP c’est une herbe pour Papy, ça te calme direct et tu ne fais plus rien de ta journée. Je ne te conseille pas.
– Absolument, je voudrais une weed qui me fasse rire, qui délie ma langue et qui arrache des discussions, tu as ça?
-Bien sûr!
Bob me sort une weed avec quelques taches blanchâtres sur les têtes et me dit : ça, c’est de la Laughing Buddha, elle a une saveur sucrée, comme des fruits exotiques. Elle est bien connue en Europe. Elle a remporté la 3e place à la compétition Amsterdam Cannabis Cup en 2013. Idéale pour calmer les ardeurs et se mettre dans l’idée de faire la fête. . Attends-toi à avoir un sourire ineffaçable .
Bob a un peu de temps devant lui, il sort de son sac un joint pré-rouler qu’il vend pour les amateurs.
Il me propose gentiment de le partager avec lui et nous discutons. Je lui dis qu’en France, je ne pense même pas pouvoir me rappeler le nom d’un dealeur ou pire encore, son visage. Il me dit que nous les Français, nous n’avons jamais le temps pour rien. À Montréal, on est pote avec son dealeur c’est normal. Son travail est de vendre de la weed. Il se doit d’être toujours à l’heure et exemplaire sinon, trop facile pour l’un de ses clients de trouver quelqu’un d’autre. La weed à Montréal est contrôlée par la Mafia. Une ribambelle de livreurs sillonne la ville sous le nez des radars policiers. Je lui demande alors où il se fournit et me répond qu’il ne voit presque jamais le gars. Quand je n’ai plus rien à vendre, on se voit rapidement chez lui , il me donne de la marchandise, that’s it! Le portable de Bob sonne et tranche notre discussion. Il se met à écrire une adresse qu’il recopie sur un bout de papier, la prochaine livraison est pour maintenant, dans le vieux port de Montréal à 1h de chez moi. Plus le temps de trainer.
J’enlace Bob. Comme tous les Canadiens, c’est une personne plus que chaleureuse. Je le vois repartir et je garde de lui l’intime conviction que nous nous reverrons bientôt.
Jacob