Pragues, cannabis,

Pragues & le mirage amsterdamois.

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Parmi les nations les plus libérales de l’UE avec le cannabis thérapeutique, la république Tchèque envisage désormais de légaliser le récréatif. Résultat : après les buveurs de bières, les stoners occidentaux commencent à affluer vers sa capitale, autoproclamée « Amsterdam de l’Est », et ses boutiques de CBD aux vitrines racoleuses et mensongères. Car, pour la vie de bohème, il faudra encore attendre un peu…

Dans les serres ventilées de l’entreprise tchèque Zenplanto, à Nelahozeves, à une trentaine de kilomètres de Prague, l’avenir s’annonce radieux. La société envisage de produire une tonne de fleurs séchées de cannabis thérapeutique, cette année, et « grâce à nos législateurs, commente Aleš Hrabák, l’un des cofondateurs de Zenplanto, les conditions pour le développement d’une filière nationale du cannabis médicinal sont idéales ».

Souplesse thérapeutique

Depuis 2012, le pays a en effet légalisé l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques et sa vente légale sur ordonnance en pharmacie. Décédé en 2011, Vaclav Havel, qui présidait la Tchéquie entre 1993 et 2003, avait ouvert la voie : peu de temps avant son départ, l’ancienne figure de la dissidence tchèque avait accordé sa grâce présidentielle à un compatriote de soixante-douze ans qui atténuait les affres de sa maladie de Parkinson grâce à sa propre production de cannabis. La loi autorise désormais l’acquisition de 180 g de fleurs séchées par mois, prescrites par des médecins spécialisés, via un e-formulaire. Jusqu’en 2022, le monopole de la production nationale de cannabis thérapeutique était détenu par une entreprise, Elkoplast CZ, avec laquelle l’Institut national de contrôle des médicaments (ŠÚKL) avait passé un contrat. Désormais Zenplanto, et cinq autres entreprises tchèques ont obtenu une licence, cultivant des plantes comptant jusqu’à 1 % de THC – le taux le plus élevé parmi ceux autorisés dans l’UE.

Modèle allemand

Dans le même temps, la République tchèque est devenue, avec l’Allemagne, le seul pays européen où les soins au cannabis médicinal sont remboursés par l’assurance maladie publique, à hauteur des 90 % du montant d’une prescription de 30 grammes de fleurs séchées par mois. En 2022, la VZP, la plus grande compagnie d’assurance maladie publique du pays, a ainsi remboursé plus de 600 000 euros de soins à près de 3 200 patients sous cannabis thérapeutique. L’année dernière, 210 kilogrammes de cannabis médicinal ont été prescrits à 8 000 patients par l’Agence nationale pour le cannabis médicinal (ŠÚKL), soit quarante-trois fois plus qu’en 2019…

Avec de telles perspectives et ses 1 000 kg de fleurs séchées de cannabis thérapeutique transformées en 2023, Zenplanto se projette désormais au-delà des frontières nationales. L’entreprise envisage en effet d’exporter sa production vers le marché allemand. Zenplanto joue aussi sur le soft power avec l’ambition de faire de la Tchéquie une vitrine européenne des avancées scientifiques sur le cannabis thérapeutique. En avril, Zenplanto parrainait ainsi la dixième conférence sur le cannabis et la science organisée au planétarium de Brno. Organisée par l’International Clinical Research Center (ICRC) réunissant l’hôpital universitaire St. Anne et la faculté de médecine de l’université de Masaryk, la journée comptait comme guest une figure internationale de la recherche sur le cannabis comme de la diaspora tchèque, le chimiste Lumír Ondřej Hanuš, aujourd’hui installé en Israël.

Promesses de trésor du Parti pirate

Un jour, peut-être, Zenplanto se lancera aussi dans le cannabis récréatif, cultivé dans ses jardins par près de 500 000 Tchèques et consommé par deux fois plus d’adultes – soit 6 à 10 % de la population nationale, selon le dernier rapport publié en 2023 par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT, rebaptisé le 2 juillet dernier, en Agence de l’Union européenne sur les drogues, EUDA). En septembre 2022, à l’issue de l’arrivée au pouvoir d’une coalition de centre droit (Spolu, « Ensemble », dirigée par Petr Fiala, le président du parti conservateur ODS), Jindřich Vobořil, coordinateur national anti-drogue du pays, annonçait la mise en œuvre d’une réforme globale visant à légaliser le cannabis récréatif. Le projet de loi, porté par une alliance de cinq partis, dont le Parti pirate d’Ivan Bartoš, ambitionne de se concentrer tout autant sur la réduction des risques sanitaires que de tirer des avantages économiques d’une telle légalisation, entre autres sur la fiscalité. Selon une étude réalisée par le Parti pirate, les caisses de l’État tchèque pourraient ainsi empocher jusqu’à 67 millions d’euros par an, en légalisant et taxant le récréatif tout en permettant, évidemment, des économies budgétaires, côté répressif, et en premier lieu, un désengorgement du système carcéral. « De plus, si nous parvenons à lancer un marché réglementé avec l’Allemagne, cela signifiera d’énormes opportunités à l’export pour notre économie », s’enthousiasmaient les Pirate.

Arlésienne Tchèque 

Mais les rêves de voir la Tchéquie se transformer rapidement en Bohème de la weed ont fait long feu. Cet automne, avec le retrait des Pirate du gouvernement, le projet de loi (qui ne faisait déjà pas consensus parmi les partis les plus conservateurs de la coalition) a été reporté aux calendes grecques. Et, en attendant, on bricole : le gouvernement vient d’approuver des amendements qui dépénaliseraient partiellement la culture et la possession de petites quantités de cannabis récréatif, tout en favorisant les amendes plutôt que les peines de prison. Ce nouvel ajustement du code pénal autoriserait la culture de trois plants de cannabis à teneur en THC supérieure à 1 %, la détention d’un maximum de 50 grammes de cannabis en extérieur et de 25 grammes à la maison. Le gouvernement de Petr Fiala estime pouvoir faire passer ces changements d’ici les élections d’octobre 2025. À moins que le parti TOP 9, déjà vent debout contre la légalisation du cannabis récréatif, ne bloque tout. Le coordinateur national anti-drogue, Jindřich Vobořil, en faveur de la légalisation, avait déjà dû quitter son poste en août dernier, après avoir été confronté à une « pression politique et à celle du monde des affaires ». Et puis, avoir un peu d’herbe sur soi est déjà dépénalisé, alors que la fumer reste techniquement toujours répréhensible, constate la société civile pro-légalisation, emmenée par le pure player Legalizace. Ce cousin tchèque de ZEWEED, qui a déjà eu affaire avec la justice pour « propagation de la toxicomanie », est mené par Robert Veverka, membre du Parti pirate et figure de la vie municipale praguoise.

Touristes enfumés

En attendant, la Tchéquie vit un drôle d’entre-deux avec de nombreuses zones grises. Un flou juridique qui profite en premier lieu aux boutiques et franchises de CBD capitalisant sur la nouvelle image de Prague : celle d’une « Amsterdam de l’Est » en devenir. Dans la capitale, les jeunes touristes occidentaux alternent, aujourd’hui, virées dans les bars à bière-pong et passages dans les boutiques de CBD qui ont poussé par dizaines dans son centre historique. Rasta Koala, Plastic Fantastic, Little Amsterdam, Your Kush, Swiss Queen, Smoking Panda, Mr420… des alentours de la place Venceslas à ceux de l’Horloge astronomique, le mot « cannabis » s’affiche ostensiblement sur les vitrines de la vieille ville. Mais la désillusion guette très vite les stoners et amateurs de défonce : si des semences de cannabis récréatifs y sont en vente (sans que ne soit précisée la teneur en THC, loi oblige), on ne trouve que du CBD à 1 %. Boissons, capsules, sprays, huiles essentielles, fleurs… les marques italiennes et suisses rivalisent aujourd’hui avec des opérateurs nationaux (Euphoria Trade, CBDmat, Carun, SunState ou Konopny Tata) et le business grimpe en flèche. Les ventes de produits à base de CBD, qui ont dépassé l’année dernière les quatre millions d’euros, devraient être doublées d’ici 2028. Mais ce n’est pour autant que du chanvre paramédical…

Marché noir florissant

« chceš trávu nebo hašiš ? », « Huleni ? », « Konopi ? » En bordure de la place Venceslas, il suffit de peu de temps pour tomber sur un vendeur de cannabis récréatif proposant son gramme à 10 euros. Le voyageur plus discret aura déjà obtenu les contacts sur Telegram de dealers particulièrement recommandés, qui peuvent proposer aussi, et hélas, les pires des défonces. La Tchéquie est confrontée à une grave crise de santé publique : 400 000 adultes sont considérés en risque de consommation problématique, en particulier de méthamphétamines et d’opioïdes. Légaliser la filière du récréatif, tout en engrangeant des taxes, permettrait à l’État de prioriser et de doter la prise en charge de ces nouvelles addictions en nette recrudescence. Pas sûr, en revanche, qu’un cannabis légal réglera le problème de l’hyper-tourisme à Prague. Au contraire. L’année dernière, la capitale a été visitée par cinq millions et demi de voyageurs, soit une augmentation de 28 % en un an, et pas seulement pour Kafka. Les Praguois continuent à subir (en râlant de plus en plus) leur réputation de havre de la biture, une ville où la bière reste moins chère que l’eau. Basta les enterrements de vie de garçon en Ryanair : la municipalité praguoise vient de sortir la manière forte : interdire les tournées nocturnes de bars organisées par les agences de voyages. Faudra-t-il faire pareil, demain, avec les touristes de la weed ? Cela mérite bien une petite pause de réflexion sur la route de la légalisation.

Article publié dans le ZEWEED magazine #7

 

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Journaliste, peintre et musicien, Kira Moon est un homme curieux de toutes choses. Un penchant pour la découverte qui l'a emmené à travailler à Los Angeles et Londres. Revenu en France, l'oiseau à plumes bien trempées s'est posé sur la branche Zeweed en 2018. Il en est aujourd'hui le rédacteur en chef.

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