Lyriciste agréé depuis son Opéra Puccino introductif, Oxmo sort un album qu’il annonce comme le dernier. Entretien avec un géant de la rime qui s’est prêté au jeu du questionnaire « On ira tous au Paradis«
Oxmo est un cas unique dans le rap français. Après s’être fait connaître dans l’underground avec ses « Pucc’ Fictions » (des récits mafieux dans lesquels il déroule un storytelling « gangstérisé »), il a su séduire une partie du grand public, celui qui n’écoute que peu le rap français, avec des chansons souvent émouvantes, parfois bouleversantes et toujours teintées de poésie. « L’enfant seul », « La loi du point final », « Toucher l’horizon », « Ma life » : le « Black Jacques Brel » a un répertoire fourni et quelques classiques sous le coude. C’est pourtant un au revoir qu’il nous propose avec La Hauteur de la Lune, dixième album studio annoncé comme son dernier. « J’ai plus rien à prouver, j’ai réussi ma life », rappait-il avec Orelsan. Entretien avec une légende qui n’a pourtant pas dit son dernier (Ox)mot.
Zeweed : Ton péché capital ?
Oxmo Puccino : La colère, mais je la gère assez bien.
C’est le dernier qu’on aurait imaginé pour toi !
Comme quoi je travaille bien ! Il faut se rappeler de mes premiers textes et cette colère qui transpirait. L’intro de mon premier album ! « Je n’ai plus d’amour dans le cœur, aujourd’hui seule la colère emplit mon cœur et je veux que vous partagiez cette colère et je veux que vous soyez tous accablés comme moi. » Je n’ai rien trouvé de plus parfait pour exprimer ce que je ressentais à ce moment-là. Lorsque je parle de paix aujourd’hui, c’est peut-être la raison pour laquelle on me prend au sérieux.
Ton paradis artificiel préféré ?
Sainte Marie-Jeanne, bien sûr.
Selon toi, c’est quoi le Paradis céleste ?
Pour moi, c’est mourir avec le moins de charges, mourir léger, sans craindre trop pour les gens qu’on aime. C’est ça le Paradis céleste.
Qu’est-ce que tu diras à saint Pierre là-haut ?
Ça fait longtemps !

Une personne à faire revenir du Paradis, et pourquoi ?
Ah je ne peux pas faire autant de mal à qui que ce soit, non, non. Je suis persuadé que nous sommes sur Terre pour vivre une expérience qui nous rendra meilleurs ailleurs. Donc la personne qui est ailleurs reviendra quand ça sera nécessaire mais je ne peux pas me permettre de la tirer de là pour la faire revenir parce que c’est forcément plus triste sur Terre. Je ne peux pas faire revenir quelqu’un par amour et lui faire autant de mal. C’est pour ça qu’il faut profiter des gens tant qu’ils sont là.
L’enfer sur Terre, c’est quoi ?
Très bonne question. [Il hésite] L’enfer sur Terre, c’est l’isolement, pas la solitude. Lorsqu’on se retrouve dans quelques mètres carrés avec un petit bout de ciel sans pouvoir parler à personne tous les jours, c’est ça l’enfer.
Pourquoi donc La Hauteur de la Lune est-il annoncé comme ton « dernier album » ?
Mon âge déjà, le temps depuis lequel je fais ça. J’accepte la loi des cycles et j’ai l’impression d’être arrivé au bout d’un cycle. Les artistes que je vois aujourd’hui ont l’âge de ma fille, je sens un décalage. Beaucoup d’artistes qui ont fait les albums de trop n’ont plus été écoutés. Parce qu’on s’accroche à l’image d’eux qu’on se fait, celle de l’époque où on les a le plus aimés. En plus, dans cette course effrénée à la création de contenus, je ne me sens pas dans cette époque-là ; je ne suis pas un fournisseur de contenu, je suis d’une époque où on prenait son temps.
« Aujourd’hui, un artiste qui obtient la reconnaissance à trente ans est un vieil artiste »
Tu crains de ne plus être en phase avec l’époque ?
Les artistes qui remportent le plus de succès sont toujours les plus beaux fruits de leur époque. Dans une vie, il y a un temps pour tout et la petite portion qui est impartie pour être parfaitement le fruit de son époque, être entendu par des gens que ça pourrait toucher, est infime. Peu de personnes arrivent à réunir toutes les conditions à ce moment-là. Aujourd’hui, un artiste qui obtient la reconnaissance à trente ans est un vieil artiste. Moi, je me suis toujours senti décalé et j’ai envie de voir autre chose. J’ai cinquante et un ans. Les artistes que j’ai appréciés, leurs derniers albums ne m’ont pas vraiment touché, malgré l’effort que j’ai fait. Parce que le meilleur est derrière, et il y a cette expression : « L’album de trop ». Je ne vois pas ça comme une fin mais comme le début d’autre chose. Il y avait La Nuit du réveil (2019) où j’avais déjà donné beaucoup mais je l’ai vécu comme une marche ratée. Il y a eu le Covid, entre autres, et c’est la première fois que je me suis dit pfff… Les gens n’ont pas notion de la difficulté que c’est de concevoir un album, qu’il marche ou pas.
On sent une certaine nostalgie dans ta musique, pourtant dans « Les meilleurs », tu dis : « Quoi qu’ils disent, hier n’était pas meilleur »…
C’est une espèce d’incitation à contribuer à rendre le monde moins mauvais qu’il n’est en train d’évoluer. Tous les indicateurs nous persuadent qu’on va vers le pire mais, malgré tout, nous sommes encore là. Et on a encore des éclats de rire à vivre, des bons repas à partager, des parties de foot, des dîners intimes à vivre. Mais, à cause d’un dessein qu’on nous a imposé, on nous fait croire que la vie, ça n’est surtout pas ça. Et on nous fait oublier ces possibilités-là. Dans un monde cauchemardesque, un sourire vous rend votre journée plus belle. Avec un mot, un geste, en une rencontre, on peut faire taire l’idée que tout est absolument noir.
La chanson qui donne son titre à l’album est un duo avec Vanessa Paradis…
J’ai croisé les doigts pendant des mois pour qu’elle accepte de collaborer avec moi sur l’album, parce que le texte, que je trouve très drôle, aurait pu ne pas lui plaire. Ça ne s’est surtout pas fait par Zoom ou via des fichiers ; moi, je travaille à l’ancienne : il faut que je voie les gens, que je parle avec eux, qu’on sympathise, qu’il se passe quelque chose qui rajoute cette petite touche de magie au morceau, qu’il y ait un storytelling, pas juste des e-mails envoyés entre des artistes qui ne se sont jamais vus.

Dans le morceau « Magique », ton invité Tuerie dit être « juste un super-héros devant une supérette ».
Ça, c’est la magie de Tuerie : on l’appelle, il dit oui, dans les trois quarts d’heure il traverse Paris et il est là ; on ne lui dit rien, on veut juste un refrain. Il rentre dans la cabine, il commence par les chœurs, on ne comprend rien à ce qu’il fait. Et tout d’un coup, la vibe qu’il envoie remplit le studio. À chaque fois que je réécoute le morceau, je chante avec le même plaisir que j’ai ressenti quand il est sorti de la cabine. C’est magnifier un moment qui peut sembler anodin, « Je suis comme un super-héros devant une supérette qui refait le monde autour d’une cigarette magique. » : Ça me fait penser à tous ces gens qui passent leur journée devant un café et refont le monde avec les moyens qu’ils ont. Cette scène, pour moi, il l’a rendue magnifique. Tout est magique quand tu sais confier tes secrets à un piano.
5 albums à emporter au Paradis
- L’album de Bob Marley que j’avais chez moi avec des fenêtres escamotables… Babylon By Bus ! Je l’ai trop écouté, c’est mon enfance, ma mère, mon père, mes frères, ma famille.
- Le dernier album de Biggie [The Notorious B.I.G.], Life After Death
- Un album de Philip Glass, je ne sais pas lequel
- La Passion selon saint Matthieu de Bach
- Et le cinquième… L’album de piano que j’ai le plus écouté après John Lewis qui rejoue Bach en version funk : Solo Piano de Chilly Gonzales. J’ai même pensé à écrire des morceaux sur certaines de ses compositions – c’est fou. Surtout quand [le producteur] Renaud Letang m’a raconté comment ils l’ont fait : il a juste joué sans penser à quoi que ce soit, et Renaud a fait un montage. Chilly, c’est un maître.
