Gustavo Petro exhorte Donald Trump à mettre fin à la prohibition du cannabis et à en autoriser l’importation aux Etats-Unis, et ce pour mettre fin à une guerre contre la drogue qui, selon le président colombien, serait responsable de la mort d’ 1 millions de sud-américains
Un coup de semonce sur X
Tout est parti d’un message de Petro sur X la semaine dernière. Le chef de l’État colombien y revient sur le déséquilibre structurel de la guerre contre la drogue telle qu’elle est menée depuis Washington. « En réalité, la Colombie apporte l’argent et les morts dans cette lutte, tandis que les États-Unis fournissent la consommation », écrit-il. Et il enfonce le clou : « La consommation aux États-Unis, et la consommation croissante en Europe, sont responsables de 300 000 assassinats en Colombie et d’un million de morts en Amérique latine. » Pour Petro, le compte est vite fait : les pays andins paient la facture humaine, pendant que les marchés du Nord entretiennent la demande. Dans ce même message, il répond en creux aux attaques américaines, alors que l’administration Trump a ordonné des frappes contre des embarcations soupçonnées de transporter des stupéfiants vers les États-Unis. Le président colombien y voit moins une stratégie qu’un réflexe militaire de plus, sans remise en question du modèle prohibitionniste.
Légaliser, exporter, taxer
Ce que propose Petro à Donald Trump est frontal : « l’opposé » de ce que fait l’administration américaine. Il dit avoir suggéré de supprimer les tarifs sur les produits agricoles colombiens et de légaliser « l’exportation du cannabis », « comme n’importe quel bien ». Autrement dit : si les États-Unis veulent vraiment assécher le narcotrafic, qu’ils ouvrent un marché légal, traçable et régulé, y compris pour les pays producteurs. Petro estime que cette orientation est défendable juridiquement, car l’ONU a déjà revu le statut du cannabis dans les conventions internationales auxquelles la Colombie comme les États-Unis sont parties. Puisque la scène internationale assouplit, pourquoi Washington s’accroche-t-il à la prohibition ? Côté colombien, la réponse est claire : parce que le système actuel profite à la criminalité et à certains circuits financiers, pas aux pays qui meurent. Dans cette logique, Petro appelle aussi les États-Unis à « renforcer la politique de prévention de la consommation » sur leur territoire et à « étudier scientifiquement » si la prohibition est vraiment nécessaire, ou si « une consommation responsable et régulée par l’État » ne permettrait pas, au contraire, de bâtir un cadre plus efficace pour « la poursuite des capitaux et des actifs des narcos dans le monde ». On est là dans une ligne latino-américaine de plus en plus assumée : déplacer la lutte du champ pénal vers le champ économique.
Bras de fer avec Washington
Sauf que Donald Trump n’a pas apprécié. La semaine dernière, l’ex-président américain a traité Gustavo Petro de « chef de la drogue illégale ». Et le Département du Trésor, via l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), a sanctionné le président colombien, certains membres de sa famille et plusieurs de ses conseillers, les accusant d’être impliqués dans le trafic de drogue. Une mesure rare visant un chef d’État en exercice, qui acte le durcissement de Washington. Ce coup de pression américain tombe à un moment où la Colombie avance, elle, vers la légalisation interne : il y a quelques mois, des députés ont approuvé en commission une première étape d’une loi de légalisation nationale du cannabis. Ce n’est qu’un début, le processus est long, mais le signal est là. Petro, lui, ne lâche pas : il répète que les parlementaires qui, en 2023, ont fait capoter une précédente tentative de légalisation n’ont fait que « perpétuer le trafic illégal et la violence » qui va avec. Pour la présidence colombienne, il ne s’agit donc pas d’une lubie progressiste, mais d’une politique de sécurité nationale : tant que le marché reste clandestin, ce sont les groupes armés qui l’exploitent.
Une hypocrisie made in USA
Ce n’est pas la première fois que Gustavo Petro dénonce l’asymétrie nord-sud en matière de drogue. Après une visite aux États-Unis en 2023, il raconte avoir senti l’odeur de cannabis dans les rues de New York. Il y voit « une énorme hypocrisie » : le pays qui a imposé au monde la guerre à la drogue profite désormais d’un marché légal de cannabis, pendant que les producteurs historiques continuent de payer la note. Lors de la Conférence latino-américaine et caribéenne sur les drogues en 2023, il avait déjà rappelé que la Colombie et le Mexique sont « les plus grandes victimes de cette politique », allant jusqu’à comparer la guerre à la drogue à « un génocide ». Et ce discours n’est pas nouveau chez lui : en 2022, à la tribune de l’ONU, Petro avait exhorté les États membres à « changer fondamentalement d’approche » et à renoncer à la prohibition. Dans sa vision, la légalisation du cannabis en Colombie doit aussi s’accompagner de la libération des personnes emprisonnées pour cannabis, afin d’aligner le droit sur la nouvelle réalité du marché. Il voit même un argument supplémentaire du côté des organisations internationales : l’ONU a reclassé le cannabis, donc rien n’empêche des pays comme la Colombie d’en faire un produit agricole et d’en autoriser l’export.
Les feux sont au vert pour la Colombie
À noter aussi qu’un élément de contexte circule dans le même débat américain sur les drogues : certains travaux étatsuniens avancent que le cannabis médical montre une efficacité comparable aux opioïdes, avec moins d’effets indésirables. Le document que commente Petro signale d’ailleurs un intitulé de ce type : « Medical Marijuana Shows Comparable Efficacy to Opioids with Fewer Adverse Events ». Cela nourrit, côté Sud, l’idée que la poursuite aveugle de la prohibition n’est plus ni scientifique ni rationnelle.
Donald Trump, de son côté, n’a jamais vraiment embrassé l’idée d’une légalisation fédérale. Fin août toutefois, il a laissé entendre qu’une décision sur une proposition de reclassification du cannabis pourrait intervenir « dans les semaines qui viennent ». Mais, dans les faits, sa politique drogues reste dominée par la lutte contre les cartels, y compris par des moyens extrajudiciaires controversés : attaques contre des bateaux en eaux internationales, ciblage musclé de filières supposées se diriger vers les États-Unis, sans remise à plat du cœur du problème, à savoir la demande américaine. Petro, lui, prend ce contrepied : si les États-Unis ont un marché légal chez eux, qu’ils acceptent d’ouvrir le marché au Sud et d’en faire un levier de paix plutôt qu’un motif de sanctions. Pour l’instant, Washington a choisi l’inverse. Et la Colombie, elle, continue de compter ses morts.

