Je suis une fille, et je roule devant des mecs.

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Pierre qui roule n’amasse pas mousse, parait-il.  Cela, je n’en sais rien, mais femme qui roule subit parfois secousse.  Cela, c’est sûr.

Il est 22heures… ou 23 heures, je ne sais plus, je ne regarde jamais l’heure.
En tout cas, le diner touche à sa fin, et si certains se resservent volontiers une part de dessert ou un verre de vin, moi ce que je veux, c’est me rouler un joint.
Je ne digère jamais mieux, qu’en fumant un peu de cannabis, d’une part.
Et puis, tout simplement, je préfère profiter de mes vendredis soirs en étant chimiquement décontractée.

Bien entendu, avant de rouler, j’observe d’abord rapidement l’assistance, ceux qui la composent.
Rouler n’est pas toujours anodin, et je ne veux pas d’embrouilles.
Je me sens presque idiote, il n’y a que des amis, et des amis d’amis ici…
Tout devrait se passer sans encombre.
Je sors ma petite boite, et dépose sur la grande table une feuille, mon grinder…
J’entame le rituel, et fais rouler entre mes doigts, un petit morceau de papier cartonné.
L’ambiance est tamisée.
C’est agréable, cette soirée.
La semaine de bureau est dernière, j’ai sorti l’une de mes tenues de week-end, celle qui laisse voir mes jambes et la peau de mes épaules… mon esprit flotte dans une humeur douce.
Pourtant, ma décontraction et mes omoplates apparentes engendrent brutalement une réflexion.

« Elle s’est cru dans un clip de rap celle-là ou quoi ? »

Certains me dévisagent, mais surtout, beaucoup rigolent.
Je ne sais pas quoi dire, je ne comprends pas bien les réactions qui m’entourent.
Quelque part, je me dis que si j’avais roulé un joint en jean et en baskets, on m’aurait sans doute demandé pourquoi je jouais à la racaille.

Selon les contextes, la réflexion aurait été différente, mais elle aurait été là, quoi qu’il arrive.
Fille facile, racaille, garçon manqué…
C’est ainsi, les filles qui roulent ont souvent droit à une étiquette malvenue, un jugement rapide.

Je cherche à croiser le regard d’une autre fille, et réalise seulement à cet instant, que je roule devant une pleine assemblée d’hommes.

S’il y avait eu mixité, les quelques mecs n’auraient sans doute pas osé une réflexion machiste, époque post me-too oblige.
Si nous n’avions été que des meufs, le sujet n’aurait pas même existé.
Certaines se seraient resservi un peu de rosé, d’autres, auraient suivi ma voie, et se serait lancer dans l’élaboration d’un pétard jumeau.

Elles font bien cela, les filles, dans les séries que nous regardons.
Dans Broad City par exemple.
Alors, entre nous, on assume nos joints, et on ne fait pas semblant de fumer moins que les hommes.

« Tu avais de la beuh sur toi ? »
« Mais à qui tu achètes ça ? »
« Ah, mais tu sais rouler en plus ! »

Les remarques continuent.
C’est peut-être ça le problème, en fait.
Je sais rouler.
Je ne fume pas comme les actrices dans les films de la nouvelle vague, gracieusement, avec une belle fumée grise qui tourbillonne autour de moi.
Moi, je roule.
Et cet acte semble raisonner comme une déclaration d’indépendance aux yeux des hommes autour de la table, ce soir-là.

Après m’avoir pas mal sexualisé, un peu moqué, beaucoup caricaturé, on finit par me suggèrer de fumer mon cannabis dans une petite pipe.
On me veut féminine, et exposer un savoir faire en matière de roulage n’est pas très féminin, semble t’il.

Ca ne me dérangerait pas, de fumer dans une pipe, c’est vrai.
Pas de tabac, pas de papier… pourquoi pas, au fond.

Ils entendent la façon dont j’accepte le conseil, et se rassurent.
Ils se resservent un verre de vin, tirent un peu sur mon joint.
Ils sont quand même contents.
Il faut le dire.

 

Pao

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