Journaliste multimédias, doucement monomaniaque du pourquoi, Philippe Vandel est au Festival de Cannes ce que Gainsbourg était aux Gitanes : un grand habitué. Pour ZEWEED, il revient sur un stupéfiant fait d’arme de l’équipe de Nulle Part Ailleurs, dans lequel il est question de shit , de latex et de Chirac.
Si Philippe Vandel devait être une ponctuation, ce serait indiscutablement un point d’interrogation. Depuis plus de 3 décennies, l’ éternel jeune homme aux 61 printemps décline avec impertinence l’art du « pourquoi » sur tous les supports.
En 1990, il conçoit et présente pour Canal + « paradoxes », avant de proposer en 92, toujours sur Nulle Part Ailleurs (NPA) « le monde de l’absurde ». Soit deux segments composés de séquences micro-trottoir durant lesquelles Vandel demande aux passants, avec une désarmante candeur, de répondre à des questions où l’absurde le dispute au contre-sens.
Sur Nova, où il a fait ses débuts en 84 en tant qu’ingénieur du son, il propose en 93 la première chronique quotidienne des « pourquoi ? », avec une angle mi-informatif mi-goguenard et de grandes questions comme « pourquoi les cygnes ne s’envolent jamais des bassins ? » « pourquoi les enfants demande toujours pourquoi ? »
ZEWEED n’a pas pu résister à la tentation de renverser les rôles l’espace d’une interview afin d’obtenir une réponse à la cruciale question: « Pourquoi NPA a mis du shit dans la tête de Chirac ? »
ZEWEED: J’ai lu qu’une année, alors que l’équipe de Nulle Part Ailleurs (NPA) descendait à Cannes pour le festival, les enthousiastes de la fumette avaient planqué du hash dans la tête en latex de la marionnette de Chirac. C’est vrai? Qui a eu cette stupéfiante idée ?
Philippe Vandel : Oui, c’est vrai, mais qui précisément… aucune idée. Ce que je sais, c’est que ceux qui fumaient du shit à NPA, et dont je ne faisais pas partie (je ne fume même pas de clopes), s’étaient rendus compte qu’il était compliqué de s’en procurer sur place. Ils se sont donc tous cotisés pour acheter, de mémoire, 1.5kg de shit et ont décidé de planquer la grosse boulette dans la tête en latex de la marionnette de Chirac, qui était transportée avec le reste du matériel dans des semi-remorque.
ZW : Pourquoi la tête de Chirac?
PV : C’est là que leur idée était géniale : si par manque de bol ils se faisaient arrêter par la douane volante, ils avaient anticipé ce qu’aurait titré Le Parisien « Un kilo et demi de shit retrouvée dans la tête à Chirac ».
Et c’est bien « dans la tête à Chirac » et non « dans la tête de Chirac »! Je m’en souviens mot pour mot. En l’occurrence, il y avait plusieurs têtes en latex du Président, mais une seule a été garnie.
ZW : Quelle année le fret de cannabis présidentiel ?
PV : Je ne suis pas certain de l’année précise, mais c’était en tous cas lorsque Chirac était Président, et c’est en 1998 que nous sommes descendus pour la dernière fois à Cannes. Donc en 95, 96, 97 ou 98.
ZW : 1,5 kg de shit dans la tête du président : un cerveau pèse le même poids. L’équipe avait poussé la blague à escient ou c’était juste leur conso habituelle pour deux semaines ?
PV : Non, je ne pense vraiment pas que c’était calculé. Mais comme je n’étais pas dans la boucle des fumeurs, je ne peux pas te dire. Il faudrait demander aux intéressés… et ne compte pas sur moi pour balancer des noms. Je n’ai pas tous les détails. Ce que je peux te dire, c’est que ce sont les techniciens, pas les auteurs, qui avaient monté l’opération. Pour info, les auteurs, ils étaient trois : ça aurait fait 500 grammes chacun : pour deux semaines, c’est surhumain ! Et va écrire des textes drôles après ça… Bref : c’est des gens de NPA qui s’étaient groupés, plus la technique, soit une grosse centaine. Evidemment, il était hors de question de faire passer ça par avion.
Autre anecdote cannoise : on prenait deux avions séparés au cas où il y en ait un qui s’écroule. Par exemple, de Greef et Lescure (Alain de Greef, directeur des programmes de CANAL + et Pierre Lescure, PDG du groupe CANAL + à partir de 1994 NDLR) prenaient deux vols distincts. Idem pour Philippe Gildas et Antoine de Caunes. Toutes les équipes étaient coupées en deux, avec un système très démocratique d’ailleurs : ceux qui partaient de Paris avec le premier vol du matin avaient le droit de revenir plus tard. On t’obligeait une seule fois à te lever tôt.
ZW : Cet esprit transgressif, décalé, il est né en conférences de rédaction ou lors des soirées qui les précédaient ?
PV : Il n’y avait pas de conf’ de rédac au sens propre. Chaque entité était autonome : les Guignols faisaient les Guignols dans leur coin, moi je faisais mon truc dans mon coin, de Caunes faisait son truc dans son coin avec ses auteurs, et la bande à Moustic (Jules-Edouard Moustic, créateur historique de Groland, NDLR) était elle aussi totalement autonome. Mais quand Moustic faisait « Le 20h20 », avec ce slogan génial : «Du vin, du hash, et du vin », je pense que c’était avec du vin et du hash, pour de vrai.
ZW : Ah oui, Gonzo!
PV : Ce que nous demandait de Greef, c’était d’être à l’antenne comme on était hors antenne, que l’on se sente les plus libres possibles. Alors oui, c’était sulfureux, oui, on cassait les codes. Mais il faut reconnaitre qu’il était beaucoup plus facile de casser les codes à l’époque qu’aujourd’hui puisque les codes étaient très rigoureux. Par exemple NPA, c’est la 1ère émission où on a tutoyé les gens à l’antenne. Et une fois que tu as tutoyé les gens, ceux qui viennent ensuite ne peuvent pas faire plus.
NPA a aussi été la première grande émission à mélanger la grande info avec la petite info. C’est Philippe Gildas qui avait eu cette intuition quand il était encore à Europe 1. Philippe disait : “Quand les gens sont au café, ils parlent aussi bien de la décision d’un ministre que de la nouvelle Renault. Eh bien nous, on va tout mettre dans le même programme ». Parce qu’avant l’arrivée de NPA, tu avais une émission politique, une pour la bagnole, une pour la promo du dernier Bashung, une émission pour le sport et encore une autre pour rigoler. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Ardisson avec « Tout le monde en parle », en invitant à la même table un curé, une strip-teaseuse et un académicien.