Les temps changent, certes, mais pas pour tout le monde. Elton John, a récemment pris position contre la légalisation du cannabis dans une interview accordée à Time. Autrefois aussi célèbre pour ses frasques que pour ses tubes, le chanteur, sobre depuis des décennies, s’inquiète autant des ravages de ses propres abus passés, avec d’autres drogues, que des politiques visant à ne plus mettre en prison un fumeur de joints.
Si l’on peut comprendre les épreuves personnelles que l’artiste a dû surmonter, son argumentaire pêche sur deux points essentiels : il minimise les ravages causés par la prohibition, et passe sous silence le droit fondamental de chacun de vivre librement sans ingérence de l’État tant que cela ne nuit à personne. Deux oublis majeurs.
« On prend de terribles décisions sous l’effet de la drogue » Elton John
« Je maintiens que c’est addictif. Ça mène vers d’autres drogues », confie Elton John, 77 ans, à Time, alors qu’il vient d’être sacré « icône de l’année ». « Et quand on est défoncé — et je l’ai été — on ne pense pas normalement. La légalisation du cannabis en Amérique et au Canada est l’une des plus grandes erreurs de tous les temps. »
Le chanteur sait de quoi il parle. Ancien addict aux drogues dures, il a fini par trouver son salut en cure de désintoxication. Il admet d’ailleurs avoir réalisé bien trop tard que « sous l’emprise des drogues, on prend de terribles décisions ». Mais ce qu’Elton John omet de considérer, c’est que si la dépendance est destructrice pour certains, les conséquences de la prohibition, elles, le sont pour des sociétés entières.
La guerre contre la drogue plus dangereuse que la drogue?
Depuis des décennies, la « guerre contre les drogues » menée aux États-Unis a englouti des milliards de dollars, criminalisé des millions d’individus et laissé derrière elle un sillage de vies brisées. Comme le soulignent les chercheuses Aliza Cohen et Julie Netherland dans un rapport de la Drug Policy Alliance, « plus d’1,1 million d’arrestations liées aux drogues ont eu lieu en 2020, et la majorité concernait la possession personnelle ». Environ 20 % des prisonniers américains purgent une peine pour des infractions liées à la drogue, avec des disparités raciales criantes.
La prohibition, loin de protéger les populations, pousse les consommateurs vers un marché noir aux produits de pureté douteuse. Résultat ? L’actuelle crise des overdoses, amplifiée par un approvisionnement contaminé au fentanyl. Et comme si cela ne suffisait pas, la guerre contre les drogues alimente corruption, violence et enrichit des cartels de plus en plus puissants.
Contre-appel à la tolérance
Pour les défenseurs des libertés individuelles, l’argument central reste le droit de chacun à disposer de son corps et de ses choix, même s’ils comportent des risques. Comme le rappelait le philosophe John Stuart Mill dans De la liberté, « le seul but pour lequel le pouvoir peut être légitimement exercé contre un membre d’une société civilisée, contre sa volonté, est d’empêcher qu’il nuise aux autres.
Son propre bien n’est pas une justification suffisante. »
Les prohibitionnistes, eux, avancent que les drogues affectent la productivité et mènent à des comportements irresponsables. Mais devons-nous être perpétuellement performants pour la société ? Et quid des dommages causés par les excès de prohibition elle-même : violence, vies ruinées, incarcérations massives ?
Si Elton John a vaincu ses démons personnels et aidé d’autres à s’en sortir, son expérience ne suffit pas à légitimer l’échec manifeste des politiques répressives. En voulant sauver les individus malgré eux, on a sacrifié des millions de vies et alimenté des systèmes d’oppression. À l’heure où le débat sur la légalisation s’intensifie, il serait temps d’écouter ceux qui subissent la guerre contre les drogues plutôt que de chercher à imposer une moralité par la force.