Fashion : en mode chanvre

Longtemps relégué au rang de textile brut, quasi folklorique, et vaguement écolo, le chanvre opère un retour— et cette fois, il ne se contente pas de faire de la figuration dans les rayons green. Il s’infiltre dans les imaginaires mode, non comme une éalternative au coton, mais comme une matière à repenser.

Des labels comme Story mfg., Evade House d’Evangelina Julia, ou MARKAWARE s’en emparent avec des approches opposées mais complémentaires : d’un côté, gestes lents, teintures naturelles, broderies méditatives ; de l’autre, ligne radicale, silhouettes chamaniques, crochet sensualisé.
Dans tous les cas : fini le chanvre babos. Place à la matière-mode, très contemporaine.

De la marge au manifeste 

Longtemps mis de côté pour sa rugosité, son grain, son ancrage trop “terrestre”, le chanvre était peut-être trop réel pour une mode qui valorisait l’illusion. Aujourd’hui, dans un paysage saturé de plastiques bio-sourcés et de storytelling creux, le chanvre pose une autre question : et si on arrêtait de mimer l’innovation pour renouer avec ce qui a toujours fonctionné ?
Ce retour ne doit rien à la nostalgie. Il s’agit d’un changement de regard. Ce que l’on jugeait “rugueux” est devenu sensuel. Ce qu’on appelait “roots” devient désirable. Le chanvre n’est plus enfermé dans l’esthétique du bio-primitif. Il est passé de la boutique ésotérique au showroom de créateur. 

C’est que la mode, aujourd’hui, ne cherche plus à faire“propre” ou “écolo” — elle cherche à faire vrai. Et dans une époque où même le recyclé est marketé, le chanvre offre une matérialité indisciplinée moins facilement récupérable. Il force à ralentir. À penser la coupe différemment. À assumer un certain grain — au sens propre comme au sens figuré et poétique.
Car le chanvre réintroduit la vérité des fibres, la force des gestes, la temporalité du vivant. Il ne prétend pas être la solution. Il incarne une autre grammaire stylistique — plus texturée, plus authentique, plus radicale.

Et les designers qui s’en emparent le savent : travailler le chanvre aujourd’hui, ce n’est pas faire une collection green. C’est faire un statement stylistique et politique.

Douceur vs désir 

D’un côté : Story mfg. et MARKAWARE. Le chanvre s’y déploie dans une esthétique du lien et du soin. Teint à la main, brodé, parfois rapiécé, il évoque une temporalité anti-performative, presque désarmante. On est dans la douceur, l’intimité, l’éloge du geste. Une mode qui ne crie pas, mais qui reste.

MARKAWARE Hemp Collection Spring_Summer 25
MARKAWARE - Spring Summer 25

De l’autre : Evade House par Evangelina Julia. Le chanvre est ici tout sauf apaisé — il explose en sensualité. Crocheté à la main dans une esthétique mystique et organique, il devient peau, armure, sexué. Portée par des artistes comme Charli XCX ou Julia Fox, sa couture artisanale assume la tension entre fragilité textile et puissance du corps. On est loin du tissu écolo-planplan : ici, le chanvre est incandescent.

EvadeHouse Saison 2019
EVADE HOUSE 2025 - photographer GERAY_MENA

Le cutting edge AELIS et PANGAIA. 

Chez AELIS, maison de Haute Couture fondée par Sofia Crociani, le chanvre accède au rang de matière précieuse. Sculpté, suspendu, magnifié, il s’inscrit dans une logique de rigueur technique au service d’une liberté formelle. Ce n’est plus une fibre brute — c’est un levier d’émotion, un langage de la fragilité. Le geste couture n’est pas effacé, mais reconfiguré… Le chanvre, ici, gagne ses lettres de noblesse non pas par ornement, mais par intensité. 

AELIS Couture SS 2025

Puis vient PANGAIA, où la matière est langage technologique. Le chanvre y devient support d’innovation biotech : teintures issues de bactéries, fibres régénératives, armure douce d’un futur plus net. On est encore plus loin de la rusticité folklorique. On entre dans une couture du XXIe siècle, où les matériaux sont aussi des manifestes. C’est le projet nommé PANhemp™ — comprendre encres atmosphériques, colorants alimentaires recyclés — tout est calculé, calibré, pensé pour l’impact et la beauté fonctionnelle. Ici, le chanvre n’est plus une contrainte à contourner, mais un vecteur d’esthétique augmentée.
Deux axes modes donc, pour une même ambition : faire du chanvre un matériau d’invention stylistique, et non d’excuse durable.

Langage textile 

Le chanvre ne fait pas d’effet wow !. Il fait effet monde. Ce n’est pas une surface, c’est un terrain d’expérimentation. Et c’est en ce sens qu’il ouvre la voie à un design incarné, non plus dominé par l’image, mais par l’expérience. Dans un monde post-pandémique obsédé par la reconnexion, il se pose comme une matière-remède : le chanvre ne parle pas d’austérité, il parle d’ancrage. C’est une autre idée du luxe : sentir, durer, être en lien. Non pas posséder la matière, mais l’habiter.
Cette fibre tisse un récit. Le vêtement en chanvre devient un lieu d’inscription.

Story MFG SS 25
Story MFG SS 25

 

C’est aussi ce qui en fait une fibre propice à la renaissance d’un certain artisanat. Parce qu’il  demandant du temps, un savoir-faire et d’autre outils de confection, il ravive l’importance du craft dans un secteur de moins en moins obsédé par l’automatisation. Le chanvre valorise le geste. Il rend visible l’humain derrière le vêtement.
Dans une époque où le « fait-main » devient une forme de résistance, il en est l’un des supports les plus puissants.

Révolution circulaire

Avec le chanvre, une autre grammaire du vêtement se dessine. Une mode qui ne cherche plus à innover pour innover, mais à régénérer du lien. Entre corps et textile. Entre terre et geste. Entre artisanat et technologie.
Ce n’est plus une matière du passé. C’est une langue vivante, en pleine mutation. À mi-chemin entre biotech low-impact, spiritualité textile et artisanat augmenté, le chanvre propose donc une vision régénérative de la création : moins spectaculaire, plus essentielle.

Et dans ce futur du vêtement, l’artisanat ne disparaît pas — il évolue. Il transforme le vêtement en interface sensible entre le corps et le monde. Le chanvre, par son exigence même, réinstalle l’humain dans la boucle créative. 
Il ne s’agit finalement pas de faire du chanvre une icône marketing. Il s’agit de lui redonner sa capacité d’agir, de transformer — par le style, par le sens, par la sensation. 

Qu’on se le dise :  la vraie révolution n’est pas dans les imprimantes 3D ou les NFT en tissu. Elle est dans le retour à une matière qui a toujours été là, et qu’on commence enfin à reécouter.
Le chanvre ne sauvera pas à lui tout seul l’impact écologique de la mode. Mais il peut l’aider à redevenir un terrain de style, pas juste de storytelling. Et dans une époque qui recycle tout sauf le sens, c’est déjà un luxe rare.

Par Doria A.

Insta : 

@shunsukeishikaw
@markaware_marka_official
@aeliscouture
@storymfg

 

Credits photos:
MARKAWARE Hemp Collection Printemps/Eté 2025 [2 images]
MARKAWARE, par le designer Shunsuke Ishikawa
Photographe @shuhei_tsunejawa
Evade House d’Evangelina Juli [2 Photos]
Photographe pour Image Saison 2019 Sasha Chaika @sashachaika
Photographe  pour saison 2025 GERAY MENA @geraymena
Story mfg [2 photos]
Campagne Printemps/Eté 2025
Photographe : Hollie Fernando @holliefernando
AELIS Couture [2 Photos]
Défilé Printemps/Eté 2025 - 2 images
Credits @Lauchmetrics

 

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Journaliste, peintre et musicien, Georges Desjardin-Legault est un homme curieux de toutes choses. Un penchant pour la découverte qui l'a emmené à travailler à Los Angeles et Londres. Revenu au Canada, l'oiseau à plumes bien trempées s'est posé sur la branche Zeweed en 2018. Il est aujourd'hui rédacteur en chef du site.

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