Malgré ces promesses de campagne, le futur chancelier conservateur Friedrich Merz ne peut se permettre d’abroger la loi du 1er avril 2024, qui a légalisé l’usage du cannabis récréatif outre-Rhin. Alors que le Bundestag se retrouve dans une position similaire à celle de l’Assemblée nationale française avec une forte percée de l’extrême droite, et sans majorité absolue dégagée, la CDU-CSU de Merz va devoir composer avec le SPD de Schulz ainsi qu’une opinion publique largement favorable à la légalisation.
Avec 28,5 % des suffrages, la CDU-CSU de Friedrich Merz a remporté le scrutin, mais elle se retrouve dans une situation délicate : la percée de l’extrême droite de l’AfD, qui a dépassé les 20 %, rend impossible toute gouvernance sans coalition avec le SPD (16,4 %). Or, le parti social-démocrate, bien que diminué, conserve un pouvoir de négociation, notamment sur des sujets sociétaux comme la légalisation du cannabis.
C’est dans ce contexte que l’avenir de la réforme entrée en vigueur le 1ᵉʳ avril 2024 se joue. L’Allemagne était alors devenue le plus grand pays européen à légaliser l’usage récréatif du cannabis. Cette loi permet aux adultes de posséder jusqu’à 25 grammes de cannabis, de cultiver jusqu’à trois plants à domicile et de s’inscrire dans des « clubs de cannabis » à but non lucratif. L’objectif affiché par le précédent gouvernement était double : lutter contre le marché noir et garantir un contrôle sanitaire des produits consommés.
Une légalisation populaire, mais critiquée par la droite
Si la réforme a été accueillie avec enthousiasme par une grande partie de la société, elle reste critiquée par la droite conservatrice. Friedrich Merz et son parti ont fait campagne en dénonçant une « banalisation des drogues » et en mettant en avant les risques supposés de cette légalisation, notamment sur la sécurité routière et la santé publique. La CDU-CSU a ainsi promis d’examiner les premiers effets de la loi avant de décider de son avenir.
Pourtant, la réalité politique pourrait bien forcer les conservateurs à tempérer leur discours. D’abord parce que l’opinion publique est largement favorable à la légalisation : un sondage Infratest dimap de décembre 2024 révélait que 59 % des Allemands soutiennent cette mesure. Ensuite, parce que dans un Bundestag éclaté, la CDU-CSU ne peut pas gouverner seule.
Avec une AfD en pleine ascension, toute alliance avec l’extrême droite étant exclue par les autres forces politiques, la seule option viable pour Merz est de former une coalition avec le SPD. Or, ce dernier a soutenu la légalisation du cannabis et ne compte pas revenir dessus.
Le SPD en position d’imposer ses conditions dans un Bundestag sans nette majorité
Si la CDU-CSU veut gouverner efficacement, elle doit composer avec le SPD, qui, bien qu’affaibli électoralement, conserve un rôle central dans la formation d’une majorité. Le parti social-démocrate sait que son poids politique est limité, mais il est aussi conscient que Merz ne peut pas gouverner sans lui.
Le SPD pourrait ainsi faire de la légalisation du cannabis une ligne rouge dans les négociations de coalition. Pour Olaf Scholz et ses alliés, revenir sur cette réforme serait non seulement un affront à leur électorat, mais aussi un signal de faiblesse face aux conservateurs.
De plus, la pression ne vient pas uniquement du SPD. En Allemagne, le débat sur le cannabis dépasse les clivages traditionnels. Les Verts et le FDP, qui avaient soutenu la loi en 2024, restent influents malgré leurs résultats décevants aux élections. Leur appui pourrait être déterminant dans la construction d’une majorité parlementaire.
Un retour en arrière coûteux et risqué
Abroger la loi serait également un casse-tête juridique et logistique. En moins d’un an, des milliers d’Allemands se sont inscrits dans les « clubs de cannabis » et de nombreuses entreprises ont investi dans ce marché naissant. Le retour à l’illégalité impliquerait non seulement des coûts considérables, mais aussi un risque politique pour le gouvernement, qui pourrait être accusé de privilégier une approche idéologique au détriment de la réalité économique et sociale.
Les associations de consommateurs et les professionnels du secteur alertent déjà sur les conséquences d’un revirement. Un retour à la prohibition signifierait un regain d’activité pour le marché noir, une perte de contrôle sur la qualité des produits et une criminalisation inutile des consommateurs.
Un test pour Merz et la CDU-CSU
Friedrich Merz se retrouve donc face à un dilemme. D’un côté, sa base conservatrice attend de lui des mesures fortes contre la légalisation. De l’autre, il ne peut pas ignorer la nécessité de compromis pour gouverner.
S’il cherche à faire passer en force une abrogation, il risque de s’aliéner le SPD et d’affaiblir sa coalition avant même d’avoir commencé à gouverner. S’il accepte de maintenir la loi, il pourrait frustrer une partie de son électorat, mais en échange, il sécuriserait une alliance avec les sociaux-démocrates et éviterait une crise politique.
La CDU-CSU sait qu’elle doit faire des concessions pour assurer sa stabilité. Et la légalisation du cannabis, bien que critiquée, pourrait être un de ces compromis incontournables.
L’avenir du cannabis en Allemagne ne dépend donc pas seulement des convictions de Merz, mais bien des réalités politiques et des équilibres de pouvoir. Dans les prochains mois, les tractations entre la CDU-CSU et le SPD détermineront si l’Allemagne maintient son cap progressiste sur cette question ou si elle choisit, au contraire, un recul aux conséquences incertaines.